Des médecins veulent que le code de déontologie interdise les relations sexuelles avec les patients, l'Ordre s'y oppose

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Publié le 27/03/2018

Au fil des années, sur son forum dédié aux relations médecins/patients www.atoute.org, le Dr Dominique Dupagne, généraliste parisien, a pu récolter de nombreux témoignages de patientes victimes de professionnels de santé ayant profité de leur vulnérabilité pour les séduire. « J’avais régulièrement des femmes qui postaient : est-ce que c’est normal que mon médecin me caresse les cheveux et me fasse un bisou dans le cou ? Ou elles décrivaient leur emprise auprès d’un médecin auquel elles n’avaient pas pu résister, et leur détresse terrifiante face à ce qu’elles avaient subi, le fait que personne ne comprenait et que tout le monde leur disait que c’était de leur faute », explique-t-il.

Un vide juridique

Marie, Cassandre et Ariane se sont rencontrées sur le forum. Toutes trois ont été abusées par un psychiatre et ont porté plainte contre ces professionnels de santé. Pour se défendre, l’abuseur de Marie a évoqué l’absence d’article du code de déontologie interdisant aux médecins des relations sexuelles dans le cadre professionnel. « Elle m’a fait découvrir cela, j’ai trouvé ça incroyable », souligne le Dr Dupagne. En effet dans le code de déontologie médicale, juridiquement opposable aux médecins, il n’y a pas de mention à ce sujet. Les professionnels mis en cause s’appuient souvent sur ce vide juridique pour se défendre et échapper aux sanctions. Les trois patientes portent, depuis plusieurs années, ce combat d’ajouter un article spécifique sur la question.

Aujourd’hui des professionnels de santé à l’initiative du Dr Dupagne ont décidé de soutenir ce combat avec la création d’une pétition baptisée Pétition Hippocrate. Les Drs Gilles Lazimi, Jean-Paul Hamon, Alain Beaupin, Irène Frachon, Baptiste Beaulieu mais aussi Jacques Testart, le Planning familial de Paris ou la dessinatrice Pénélope Bagieu font partie des 16 premiers signataires de cette pétition. « Tous les travaux psychologiques qui existent disent qu’il n’y a pas de symétrie dans la relation entre quelqu’un qui est aidé et quelqu’un qui est aidant. On l’a vu dans l’affaire Hazout ou le docteur promettait un bébé à des femmes infertiles, une femme avait décrit comment elle s’était sentie incapable de résister à la séduction de ce médecin », explique le Dr Dupagne.

En l’absence de support juridique, les plaintes des victimes auprès de l’Ordre aboutissent souvent à des relaxes ou sanctions symboliques. « L’objectif global, ce n’est pas que l’interdit dans le code de déontologie fasse diminuer le comportement des prédateurs sexuels. Ce qu’on veut ce que les femmes qui ont été abusées par un médecin et souhaitent porter plainte arrêtent d’être considérées par l'Ordre comme des érotomanes. Elles ne doivent plus s’entendre répondre qu’elles étaient consentantes mais l'Ordre doit demander au Dr untel pourquoi il a transgressé l’interdit. »

Fin de non-recevoir de l'Ordre

C’est pourquoi, ces personnalités demandent aujourd’hui à la ministre de la Santé d’agir dans ce domaine et à l’Ordre des médecins de soutenir cette requête. Le Cnom qui a reçu le Dr Dupagne, a voulu couper court au débat en affirmant ce mardi qu’il ne soutenait pas répondre favorablement à cette requête. Dans un communiqué, il explique être engagé « contre toute forme d’abus à caractère sexuel », et précise les articles qui permettent déjà selon lui de le condamner dans le code de déontologie médicale. Le Cnom estime la requête des médecins « inappropriée ». « Je suis déçu. Je n’ai pas de doute sur le fait que l'Ordre est concerné et n'est pas dans le déni. En revanche je ne suis pas d’accord avec ses responsables quand ils disent qu’il faut faire de la pédagogie et que ça suffit. Ils tournent autour du pot, font des commentaires extrêmement fermes mais ne veulent pas qu’on inscrive cette interdiction dans le code lui-même », estime le Dr Dupagne.

L’Ordre oppose deux arguments à la pétition, l'un d’ordre juridique, puisqu’il considère qu’une telle mesure contreviendrait au droit européen sur la liberté des personnes. « Je ne comprends pas comment ça peut être contraire au droit européen et appliqué par les Pays-Bas, la Roumanie et l’Angleterre », réfute le Dr Dupagne. L’Ordre estime aussi que cette mesure est inutile car des textes permettent déjà de condamner les relations abusives. Et pour les relations consenties, cela reviendrait à s’immiscer dans la vie privée des personnes. Le Dr Dupagne désapprouve ce point de vue. « L'Ordre n’a apparemment pas compris qu’une relation entre un médecin et sa patiente n’est pas librement consentie. Il ne s'agit pas d'une relation normale. »


Source : lequotidiendumedecin.fr