L’origine placentaire de la prééclampsie, incontestée, est liée à un défaut d’ancrage du placenta, qui envahit trop superficiellement l’utérus maternel, et notamment ses vaisseaux. Mais l’étiologie de ce défaut reste inconnue. En revanche, l’origine du syndrome maternel associant hypertension artérielle (HTA), protéinurie, voire hépatite nécrosante et crise convulsive a été majoritairement élucidée ces quinze dernières années. « Ces manifestations maternelles sont en grande partie dues au fait que le placenta “anormal” sécrète localement trop de facteurs antiangiogéniques, en particulier le facteur sFlt-1 (soluble fms-like tyrosine kinase-1). C’est en effet cet excès de sFlt-1 qui induit l’HTA et la protéinurie en perturbant la barrière glomérulaire. C’est pourquoi plusieurs travaux se sont attachés à tenter de réduire la concentration de sFlt-1 plasmatique dans le sang maternel, et/ou à contrer ses effets biologiques », explique le Pr Alexandre Hertig (CHU Tenon, Paris).
Un effet rebond avec l'aphérèse
Pour réduire la concentration sanguine de sFlt-1, une technique d’aphérèse extracorporelle – technique proche de la LDL-aphérèse utilisée dans les hyperlipidémies familiales majeures – a été évaluée par un travail germano-américain, dans deux études pilotes portant sur 3 puis 11 patientes prééclamptiques. Les résultats ont montré qu’une heure et demie d’aphérèse permettait de réduire de 18 % la concentration en sFlt-1, avec semble-t-il un bénéfice tensionnel, même si ce n’était pas une étude randomisée. « Nous avons du coup lancé en France un essai pour évaluer l’impact clinique de l’aphérèse dans un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC). Seules les femmes souffrant de prééclampsies entre la 20e et la 27e semaine d’aménorrhée étaient incluses, un terme où la mortalité périnatale est autour de 100 %… Mais après l’inclusion de 2 patientes, sur les 9 planifiées, l’essai a dû être interrompu précocement. En effet, si l’aphérèse s’est accompagnée dans un premier temps d’une amélioration immédiate du tableau clinique, au second jour un effet rebond intense s’est manifesté. Pour nous, cette technique n’a donc aucun avenir, du moins en France », conclut le Pr Hertig.
Une baisse de pression artérielle sous Viagra
Le sFlt-1 soluble se lie au récepteur du VEFG et induit donc chez la mère une carence relative en VEGF, diminuant ainsi la production de monoxyde d’azote, vasodilatateur via le GMPc. Le sildénafil (Viagra) s’opposant au catabolisme du GMPc, il a semblé intéressant de le tester dans la prééclampsie. Dans un modèle murin, son efficacité s’est révélée spectaculaire : diminution des symptômes de prééclampsie et naissance de souriceaux de plus grand poids (moindre retard de croissance).
En 2016, une étude clinique randomisée (Viagra versus placebo), ayant inclus 100 femmes en prééclampsie entre 24 et 33 semaines d’aménorrhée, a fait la une (1). Elle a mis en évidence une réduction de 14 mm Hg de la pression artérielle moyenne sous Viagra, sans effet secondaire ni maternel ni fœtal, mais sans toutefois gagner plus de cinq jours de grossesse. « Le Viagra peut donc à l’heure actuelle être considéré comme le meilleur traitement antihypertenseur de la prééclampsie, selon le Pr Hertig. À l’avenir, il est même possible qu’on puisse l’utiliser plus précocement, avant que la femme ne devienne symptomatique, pour une efficacité sur des critères majeurs comme le terme de l’accouchement. Plusieurs études sont d’ailleurs en cours, notamment dans la prééclampsie précoce et la prééclampsie modérée » (2).
D’après un entretien avec le Pr Alexandre Hertig (CHU Tenon, Paris)
(1) Trapani A. Jr, Gonçalves L. F., Trapani T. F. et al. « Perinatal and hemodynamic evaluation of sildenafil citrate for preeclampsia treatment: a randomized controlled trial », Obstetrics & Gynecology, vol. 128, n o 2, août 2016, p. 253-259
(2) Paauw N. D., Terstappen F., Ganzevoort W. et al. « Sildenafil during pregnancy: a preclinical meta-analysis on fetal growth and maternal blood pressure », Hypertension, vol. 70, n o 5, nov. 2017, p. 998-1006
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