8 h 30. Le Dr Alain Husson reprend sa ligne téléphonique et attaque ses consultations sur rendez-vous dans son cabinet des Aspres, un bourg de l’Orne (700 habitants) où ce praticien formé à Paris a choisi de se poser en 1999, pour des raisons familiales. Un cabinet indépendant, aménagé dans une grande bâtisse de pierre, au cœur du village. Pas de secrétariat, même à distance : « Avec le portable, explique-t-il, je préfère gérer les appels en direct pour évaluer moi-même les demandes. C’est un gain de temps. »
10 h 30. La salle d’attente s’est remplie avec les patients qui viennent alors consulter sans rendez-vous, jusqu’à 12 h 30, 13 heures, « parfois, en période épidémique comme maintenant, jusqu’à 14 heures. Je m’adapte avec une souplesse que je ne pourrais pas avoir dans un pôle, où les horaires sont contraints. »
14 heures, le Dr Husson s’attable à son ordinateur. Une heure 30 à cliquer, numériser, mettre à jour. « Une secrétaire ne pourrait pas gérer la hotline pour les logiciels. Là encore, seul, j’économise du temps et je gagne en efficacité », souligne-t-il.
15 h 30, départ en visite. « Je suis toujours content d’aller voir les gens chez eux, dans un rayon de 15 km, des personnes isolées souvent. C’est en vous rendant au lit du patient que vous découvrez le contexte émotionnel et social et que vous finissez par comprendre ce que vous ne verrez pas en consultation. Les visites sont passionnantes. Mais elles ne sont pas rentables pour les jeunes qui voient trois patients au pôle dans le même temps où je fais une visite pour 39 euros ! », déplore le praticien.
18 heures Retour au cabinet, reprise des consultations. « À 20 heures, je branche le répondeur pour le 15, mais plus tard si besoin. Toujours la souplesse de l’exercice indépendant, je suis vraiment un libéral », conclut le Dr Husson.
Courir avec sa trousse pour un infarctus ?
À une vingtaine de km de là, dans le pôle de santé libéral et ambulatoire de Mortagne-au-Perche, créé en 2015, avec aujourd’hui 7 généralistes à temps plein et au total 63 professionnels de santé, le Dr Jean-Marie Gal, quand il ne vaque pas à ses responsabilités ordinales et représentatives (il est président de l’Ordre dans l’Orne), organise sa journée à peu près selon le même déroulé : 8 h 30, consultations sur rendez-vous, 10 h 30 direction l’Institut médico-social et quelques visites, 14 h 30, retour au pôle et consultations jusqu’à 21 heures ou 21 h 30.
Comme le Dr Husson, il a une patientèle « très riche sur le plan pathologique ; beaucoup de cancers, des lymphomes en particulier, de maladies cardio-vasculaires, de diabète, de pathologies neurodégénératives. Mais le gros avantage du pôle, c’est que je n’ai qu’à traverser "la rue", la grande allée qui parcourt les 1 900 m² du bâtiment sur deux niveaux, pour trouver une infirmière, orienter vers un des professionnels de second recours qui sont intégrés ici. Et puis pour les cas complexes, nous partageons ensemble les informations, alors que quand j’étais indépendant, nous ne nous parlions pas. »
Cette confraternité ne manque pas au Dr Husson : « je suis formé à trouver l’info sur internet, dès que j’en ai besoin et ça m’évite de perdre des heures en réunion et de me faire piquer au vol des clients, comme c’est fréquent dans les pôles où beaucoup se tirent dans les pattes. »
Pour les visites, le Dr Gal en convient, au pôle, certains ou certaines n’en assurent plus du tout. « Mais on change de monde, constate-t-il : quel sens cela a-t-il aujourd’hui de partir avec sa trousse sur un infarctus ou un accouchement ? Et puis la télémédecine est en train de connecter les campagnes, notamment dans les EHPAD. Ce qui rassure nos patients, c’est la continuité des soins. Les pôles ne font pas entraîner la fermeture des cabinets isolés, ils maintiennent en fait la présence médicale grâce à leurs satellites, avec des jeunes qui sont maintenant attirés par cet exercice. Nous enrayons la désertification dans un département que fuyaient les internes. »
Un clocher, un médecin, c’est fini !
Une analyse que ne partage pas le Dr Husson. Lui voit sa pratique « menacée à terme par les super-centres pluridisciplinaires qu’on nous aménage. Dans la foulée, avec l’arrivée du tiers-payant généralisé et la montée en ligne des mutuelles, c’est la médecine libérale qui est condamnée », pronostique-t-il. Cette médecine en milieu rural, le généraliste des Âpres l’aime, la vit et la défend au nom des valeurs de liberté du médecin et de proximité avec le patient.
« Mais vous savez, dans nos campagnes, objecte le Dr Gal, depuis 35 ans, je suis resté médecin de famille en passant d’un exercice isolé à un cabinet de groupe, puis au pôle. Mes patients sont ma famille. Simplement, nous devons lancer aujourd’hui des dynamiques en raisonnant en bassins de vie. Un clocher, un médecin, c’est fini ! »
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