« L’iatrogénie liée aux benzodiazépines, bien que très sous-estimée, est bien documentée par des études scientifiques, indique le Pr Belmin (hôpital Universitaire Charles-Foix), qui veut faire prendre conscience que leur prescription n’est pas anodine. Quand un patient se fracture le col du fémur, sachons évoquer le potentiel facteur déclenchant de la chute qu’est la prise de benzodiazépines. Mieux encore, éliminons ce facteur de risque modifiable avant la fracture ! »
On savait que la prise prolongée de benzodiazépines a des effets négatifs sur la mémoire ; émerge maintenant son impact sur le risque de maladie d’Alzheimer. « L’étude épidémiologique Paquid (1) en Aquitaine a bien documenté cette association chez les patients ayant une exposition ancienne (l’exposition récente aurait pu faire conclure que la maladie d’Alzheimer est la cause et non la conséquence de la prise de benzodiazépines). Quant à celle de la Régie de l’assurance maladie du Québec (2), elle montre un risque de maladie d’Alzheimer qui augmente au-delà de trois mois d’utilisation pour atteindre près de 51 % chez les plus de 65 ans », précise le Pr Belmin.
Le cercle vicieux de la toxicomanie
« Contrairement aux idées reçues, le bénéfice d’une prise de benzodiazépines est faible. Son efficacité hypnotique est connue et documentée pour une utilisation courte. Elle augmente en moyenne de quinze minutes la durée du sommeil, ce qui est faible. Quant à l’efficacité au long cours, elle n’a pas été étudiée », regrette le Pr Belmin.
Quant à la dénomination anxiolytique des benzodiazépines, elle est selon lui « très ambiguë, car les troubles anxieux au sens psychiatrique relèvent en première intention d’autres médications, le plus souvent d’inhibiteurs de recapture de la sérotonine. Cette ambiguïté sémantique les fait facilement prescrire à des patients inquiets, stressés, anxieux au sens courant du terme parce qu’ils traversent une période difficile, mais dont l’état ne relève pas d’une thérapie médicamenteuse ».
Au-delà de trois semaines d’utilisation s’installe une dépendance au sens de l’addictologie. C’est probablement l’addiction la plus répandue chez les sujets âgés : plus d’un tiers de la population générale des plus de 80 ans consomme de façon chronique des benzodiazépines (3). Elles savent se rendre indispensables, comme déplore le spécialiste : « Au premier oubli de la boîte, par exemple à l’occasion d’un départ en vacances, les insomnies sont terribles. Le patient ignore qu’elles sont liées au syndrome de sevrage, et cela renforce et fixe chez lui l’idée qu’il s’agit d’un médicament de première nécessité. » Ce cercle vicieux de la toxicomanie explique les réticences des patients à arrêter le traitement.
La balance bénéfice-risque étant peu favorable, mieux vaut éviter la primoprescription de ces molécules. Si le patient en consomme déjà, la bonne pratique consiste à interrompre le traitement pour le libérer de cette addiction (4). « Cela vaut la peine de prendre quinze minutes pour l’expliquer à son patient… même s’il est plus facile de renouveler en quinze secondes la prescription en bas de l’ordonnance. C’est une affaire de temps et d’énergie. Ne baissons pas les bras ! », insiste le Pr Belmin.
La désintoxication est réalisable
L’hôpital Charles-Foix d’Ivry-sur-Seine a mis en place un programme d'éducation thérapeutique, Benzo-Free, agréé par l’ARS. Sur six à douze semaines, en sept sessions avec une infirmière d’éducation thérapeutique et un médecin, il permet d’accompagner, motiver et aider les personnes âgées, y compris les patients externes, à se libérer de ces médicaments potentiellement nocifs (5). Au programme, des séances individuelles pour évaluer la motivation, diminuer les posologies, et des ateliers en groupe pour informer sur les troubles du sommeil, l’anxiété, l’hygiène du sommeil et la relaxation. « Le patient réalise qu’il n’est pas seul dans son cas. En quatre ans, nous n’avons jamais observé de syndrome de sevrage en réalisant une réduction progressive de façon proactive avec la participation du patient », assure le Pr Belmin, qui invite les collègues qui souhaiteraient échanger sur le sujet à le contacter.
« D’autres services de gériatrie proposent avec succès des protocoles sur quatre semaines aux personnes hospitalisées en soins de suite, poursuit-il. Dans une prise en charge de ce type, le patient est plus passif. Le risque à la sortie est que les produits réapparaissent sur l’ordonnance. »
D’après un entretien avec le Pr Joël Belmin, chef du pôle gériatrie de l’hôpital universitaire Charles-Foix (Ivry-sur-Seine). Courriel : j.belmin@aphp.fr
(1) Biliotti de Gage S. et al., BMJ. 2012;345:e6231
(2) Biliotti de Gage S. et al., BMJ. 2014;349:g5205
(3) Rapport ANSM 2017
(4) Recommandations de bonne pratique de la HAS (2008) : www.has-sante.fr/portail/jcms/c_601509/fr/modalites-d-arret-des-benzodi…
(5) Précisions sur www.seformeralageriatrie.org/education-therapeutique-cfx
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