Vies de médecin

Frédéric Saunier : la prévention en mer est son affaire

Par
Publié le 20/02/2017
Article réservé aux abonnés
Frédéric Saunier

Frédéric Saunier
Crédit photo : BARBARA GUICHETEAU

Au service de santé des gens de mer (SSGM), cet ancien médecin généraliste se sent « comme un poisson dans l'eau » (sic). Voilà douze ans déjà que Frédéric Saunier a quitté son cabinet de la banlieue industrielle du Havre (76) pour un poste de contractuel de la fonction publique, rattaché au ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. Un changement de cap motivé par une envie d'évolution professionnelle et un vif intérêt pour la mer. En témoignent les affiches de bateaux tapissant sa salle de consultation. « Au Havre, le lien est très fort entre la ville et la chose maritime », observe ce plaisancier de longue date.

En bon marin, il choisit d'ailleurs de revenir s'installer dans son port natal, une fois bouclées ses études à Rouen. Une expérience de la médecine de soins qu'il juge « utile aujourd’hui pour l'exercice de la médecine des gens de mer ». Ce qui ne l'empêche pas de bien distinguer les deux activités : « C'est notamment une erreur de poursuivre un raisonnement de médecin généraliste en tant que médecin du travail. »

Le second se situe en effet à la charnière entre emploi et santé, avec la fonction quasi « régalienne » de juger de l'aptitude professionnelle d'un marin, dont les conditions sont définies par les textes. Autres différences notables : le cadre administratif de sa fonction et l'état de ses patients, « a priori en bonne santé ».

Restent une même posture d'écoute et une attention aux maux d'autrui. Une conscience humaine qu'il estime partagée par la communauté des marins, dont la sécurité à bord relève de la responsabilité partagée. Pour minimiser les risques, un dépistage de substances psychoactives est réalisé à la première visite et les capacités sensorielles sont passées au crible. Question de vigilance en mer. Certaines affections, comme l’épilepsie, ou la prise d’un traitement anticoagulant, représentent des contre-indications. « L’amblyopie peut également être incompatible avec certaines fonctions et un accident coronaire peut vous rendre inapte à la navigation au long cours. »

Éloignement sanitaire

Frédéric Saunier le sait : il règne dans le métier « une grande fierté d'appartenance ». D’où le drame que peut signifier « une inaptitude à naviguer, synonyme pour certains de perte d'identité ». Pas question toutefois pour le médecin de différer les résultats de ses visites (périodiques, tous les 1 à 2 ans, de reprise ou d’entrée dans la profession), même si cela peut être parfois « source de tension ». Par mesure de précaution, il est souvent amené à solliciter des avis complémentaires, auprès de collègues et de spécialistes, avant d'émettre un diagnostic définitif.

« À l'échelle de chaque région, des commissions sont organisées tous les mois pour statuer sur les dossiers délicats », souligne-t-il. Une opportunité pour échanger sur les difficultés rencontrées et trouver des solutions collégiales. « Même si la part d'autonomie reste importante, impossible de fonctionner comme en libéral. L'esprit collectif est la règle, avec une nécessité de cohérence nationale. » Et de comparer, a posteriori, « les solitudes du médecin de ville et du commandant de bord face à la prise de décision ».

Au début des années 2000, le praticien en solitaire voit passer dans un magazine spécialisé une annonce pour le recrutement d'un médecin à la Direction interrégionale de la mer (DIRM) Manche-Est/Mer du Nord : s'en suit une première prise de contact avec le service qu'il finit par intégrer en janvier 2005, sous condition de décrocher un diplôme d'université de médecine maritime ou une capacité de médecine du travail. Il opte pour la seconde option et retourne sur les bancs de la fac à Rouen pour une formation, « opérant une passerelle entre les médecines de soins et du travail », mise à jour des connaissances à l’appui.

Sur le terrain, il découvre ensuite les difficultés associées aux métiers de la mer, « présentant encore une risquologie élevée [équivalente aux transports mais inférieure au BTP], associée à une problématique d’éloignement sanitaire en cas d’urgence ». Dans la communauté des marins, il distingue deux profils : « Le matelot sur un bateau de pêche, qui cumule beaucoup d’heures, exposé aux intempéries, avec un effort physique conséquent à produire et un risque élevé de troubles musculo-squelettiques ; et l’officier sur un navire au long cours, responsable d’un établissement quasi-industriel, contraint à l’éloignement familial et au repos sur son lieu de travail, avec des risques proches de ceux de la pétrochimie. » On retrouve cette catégorisation chez les employeurs, allant des petits patrons de pêche, à la logique proche de l’artisanat, aux grands armateurs, à la tête de bâtiments titanesques, comme ceux construits sur les chantiers de Saint-Nazaire, où Frédéric Saunier a jeté l’ancre en 2015, à la faveur d’une promotion en tant que médecin régional.

Mission de formation

À 57 ans, il coordonne désormais sept médecins des gens de mer (tous fonctionnant en binôme avec un infirmier) à l’échelle de la DIRM Nord-Atlantique, qui couvre le littoral Ouest de Saint-Malo aux Sables-d’Olonne. Lui partage son temps entre Nantes, siège de l’interrégion, et Saint-Nazaire. Et s’estime « très loin d’avoir fait le tour du poste », qui englobe aussi une mission d’hygiène et de prévention du travail à bord des bateaux battant pavillons français. L’objectif : « Vérifier l’habitabilité, l’alimentation, le stockage, la pharmacie… des navires à quai », des chalutiers aux porte-conteneurs, en passant par les dragues ou les remorques portuaires. L’occasion de rappeler au passage les standards en vigueur, conseiller les équipages, relayer des messages, voire agir en cas de (rare) manquement, avec la possibilité de détention d’un bateau au port.

Autres domaines d’intervention : l’information aux armateurs, avec une participation aux CHSCT, et la formation médicale aux (futurs) marins, plus ou moins poussée suivant la taille et l’éloignement du navire, des bases de secourisme à des soins, comme la pose d’agrafes ou des injections intramusculaires. La diversité de ces missions impose aux médecins des gens de mer une triple veille : médicale, sociale et professionnelle, pour prévenir les effets néfastes du travail sur la santé. Avec une obligation de pragmatisme, partagée par les marins. À terre comme au large, « il s’agit de prendre la réalité comme elle vient ».

Barbara Guicheteau
En complément

Source : Le Quotidien du médecin: 9557