Il y a 50 ans, le Pr Christiaan Barnard osait la première greffe de coeur

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Publié le 01/12/2017
Christiaan Barnard

Christiaan Barnard
Crédit photo : AFP

« Mon Dieu, cela va marcher », aurait dit le Pr Christiaan Barnard, au milieu de cette nuit du 2 au 3 décembre 1967, au Cap, en Afrique du Sud. Sur la table d'opération, Louis Washkansky, 53 ans, vient de recevoir le cœur de Denise Darvall, 25 ans, violemment percutée par une voiture, l'après-midi même, depuis en état de mort cérébrale.

« S'il n'y a plus d'espoir pour ma fille, alors essayez de sauver cet homme », avait consenti le père de Denise Darvall, à l'hôpital Groote Schuur du Cap. Souffrant d'insuffisance cardiaque terminale, Louis Washkansky n'a plus que quelques semaines à vivre. Coïncidence, sa femme Ann Washkansky a assisté au terrible accident qui emporte Denise Darvall. 

Une renommée mondiale

Le Pr Barnard a tenu à attendre que le cœur de la jeune femme ne cesse de battre, après l'arrêt de la machine respiratoire. 12 minutes. Puis le cœur est prélevé, placé dans une solution à 10 degrés, transféré au bloc et inséré dans la poitrine de Louis Washkansky. Dernière anastomose : « Ce fut la seconde de vérité, chacun des vingt médecins, infirmières et techniques qui s'affairaient dans la salle d'opération penchait la tête pour mieux voir. L'anesthésiste annonça alors le rythme du pouls : 50, 70, 75 et puis une demi-heure plus tard : 100 », raconte un interne, témoin de cette première médicale. « L'ambiance était extraordinaire. Nous savions que tout s'était bien passé. Le Pr Barnard enleva soudain ses gants et demanda une tasse de thé », poursuit-il. 

« Je me sens beaucoup mieux », déclare Louis Washkansky 33 heures après, baptisant son chirurgien d'« homme aux mains d'or ». Le patient est surnommé « l'homme au cœur de jeune fille », par les médias, qui relaient généreusement la première transplantation de cœur au monde (ici en France). « Le samedi, j'étais un chirurgien en Afrique du Sud, très peu connu. Le Lundi, j'étais une sommité mondiale », commentera trente ans plus tard le Pr Barnard. Louis Washkansky décède 18 jours après l'opération d'une pneumonie. Le chirurgien est descendu « dans son bureau de l'école de médecine et a pleuré », se souvient Dene Friedmann, une infirmière de l'équipe. 

Surprise, tollé et tabou

Jusqu'à ce 3 décembre 1967, seulement des foies et des reins avaient été transplantés. Le Pr Barnard, 45 ans, créé la surprise : car la première était plutôt attendue de la part des États-Unis, notamment du service de Walton Lillehoi, à l'université du Minnesota où il s'est formé, aux côtés de Norman Shumway, qui travaillait sur les greffes du cœur chez le chien à l'université de Stanford, ou du Pr français Christian Cabrol (qui fut pionnier en Europe, en avril 1968). 

Mais la législation alors en vigueur aux États-Unis imposait pour qu'une personne soit considérée comme morte, que le cœur ait effectivement cessé de battre. Alors qu'en Afrique du Sud, deux déclarations de décès de la part de médecins expérimentés suffisaient.

En faisant admettre une définition de la mort en termes de fonction cérébrale, le Pr Barnard brise donc un tabou, tout en composant avec le contexte de l'apartheid. « Il aurait été inconcevable de donner à un Blanc le cœur d'une personne de couleur. Le premier donneur devait absolument être un blanc », témoigne Dene Friedmann. 

L'opération du cœur, saluée par la communauté scientifique, ne laisse pas de choquer les mentalités. Le Pr Barnard reçoit des insultes : « Vautour, sadique, anormal, boucher ». D'aucuns lui reprochent de rivaliser avec Dieu. « La bataille du cœur, les chirurgiens ont-ils le droit », titre en Une Paris Match.

Deuxième transplantation, un an plus tard

Le 2 janvier 1968, le Pr Barnard tentera une deuxième transplantation cardiaque, du cœur d'un pêcheur, sur un dentiste du Cap de 58 ans, qui survivra près de 7 mois. C'est véritablement 10 ans plus tard, avec l'arrivée des cyclosporines, que ces greffes accroîtront significativement la durée de vie des patients et connaîtront leur essor. Mais le Pr Barnard, atteint de rhumatismes aux mains, n'opérera plus guère. 

Il meurt en 2001, à 78 ans. « Sa mort est une grande perte pour le pays après toutes ses contributions, dira l'ancien président sud-africain Nelson Mandela. Il était également une voix contre l'apartheid. » Jacques Chirac a salué celui qui « restera comme le symbole d'une médecine moderne et audacieuse, capable de dépasser les idées reçues pour apporter la solution aux victimes de la souffrance et de la maladie »


Source : lequotidiendumedecin.fr