Principales modifications physiologiques au cours de la grossesse.
1. Modifications hormonales
Parmi les variations hormonales, on note une élévation significative des hormones stéroïdes. En fin de grossesse, les taux plasmatiques atteignent 100 ng/ml pour la progestérone et 6 ng/ml pour les estrogènes : soit 10 à 30 fois les taux du cycle menstruel. Nous savons que les gencives possèdent des récepteurs aux hormones stéroïdes situés au sein des parois vasculaires. Les variations hormonales de la grossesse provoquent donc une hypervascularisation, une tendance œdémateuse et un état congestif des gencives. On parle de parodontopathies gravidiques.
2. Modifications salivaires
D’un point de vue qualitatif, l’état gravidique fait chuter le pH buccal de 6,7 à 6,2. Cette acidification buccale favorise l’érosion de l’émail, les candidoses et l’apparition de caries. Le taux élevé de progestérone entraîne une diminution de la concentration de l’anion bicarbonate en lien avec la baisse du pH, ce qui amoindrit « l’effet tampon » de la salive.
D’un point de vue quantitatif, en début de grossesse la femme souffre souvent d’une hypersalivation transitoire. C’est l’imprégnation hormonale qui favorise la diminution de la contractilité du cardia et qui engendre des reflux gastro-œsophagiens (aggravés par les nausées matinales). Des érosions dentaires apparaissent alors par déminéralisation acide de l’émail.
3. Modifications bactériologiques
Des études ont mis en évidence une modification de la flore buccale au cours de la grossesse. L’élévation systématique de l’estradiol et de la progestérone fait proliférer une bactérie sous-gingivale appelée Prevotella intermedia Gram négatif. Sa présence en nombre est responsable de la plupart des gingivites et autres lésions purulentes de la bouche. Cela parfois, malgré une bonne hygiène bucco-dentaire de la femme enceinte.
4. Modifications immunologiques
En augmentant, les hormones affectent la réponse immunitaire de la femme. Elles inhibent le chimiotactisme des neutrophiles, la phagocytose et les activités antigéniques des anticorps T cellulaires.
Impact
Impact de la grossesse sur les différentes maladies bucco-dentaires.
1. L’érosion
L’érosion dentaire est une dissolution des tissus minéralisés sous l’action de substances chimiques. Sa survenue est liée à l’attaque acide provoquée par les vomissements et les reflux gastro-œsophagiens. Une alimentation trop fréquente avec absorption de boissons ou d’aliments acides tels que sodas ou jus de fruits peut également la générer. Il est bon de conseiller à la femme d’éviter tout brossage de dents après un vomissement. Un simple rinçage de la bouche avec de l’eau suffit.
2. La carie
En début de grossesse, de nombreuses femmes ont des nausées et vomissent. Pour diminuer cet inconfort, elles fragmentent leur alimentation et s’orientent davantage vers des boissons et des aliments sucrés ; elles adoptent ainsi un comportement alimentaire cariogène.
3. La gingivite
La gingivite gravidique est une altération tissulaire gingivale due à l’élévation des taux de progestérone et d’œstrogène associée à un changement des habitudes alimentaires. On l’observe dès le deuxième mois de grossesse, puis du quatrième au huitième mois, même chez les femmes ayant une hygiène bucco-dentaire correcte.
Le dentiste effectuera un détartrage. Il donnera des conseils destinés à améliorer l’hygiène bucco-dentaire avec l’enseignement d’une technique de brossage efficace.
4. La parodontite
Elle se manifeste par des lésions inflammatoires sous forme de poches qui entraînent la destruction des tissus de soutien de la dent.
Le spécialiste mesurera le taux d’inflammation. Il évaluera ainsi la destruction osseuse et la gravité de l’atteinte. Le traitement est identique à celui de la gingivite. Il pourra être complété par un surfaçage radiculaire et un curetage parodontal.
5. L’epulis gravidique
C’est une tumeur gingivale nodulaire bénigne qui apparaît à partir du troisième mois de grossesse. Elle siège sur le maxillaire antérieur, entre deux dents, et peut entraîner par son volume une mobilité dentaire. Elle se présente sous la forme d’un tissu pédiculé, rouge, indolore, saignant au moindre contact.
Son étiologie est incertaine, mais on s’accorde à dire que les facteurs d’irritation que sont le tartre, la plaque dentaire ou une restauration dentaire défectueuse, sont en cause. La récidive de cette pathologie est possible en cas de grossesse ultérieure : la tumeur est alors d’apparition plus précoce et plus volumineuse.
Pour la traiter, on pratique un détartrage et un polissage des surfaces dentaires. L’exérèse est possible à l’aide d’un bistouri électrique. On effectuera une électrocoagulation de la base de l’épulis sous anesthésie locale.
Conséquences sur la naissance
Conséquences des pathologies bucco-dentaires sur la naissance.
De nombreuses études ont démontré que 30 à 50 % des cas de menace d’accouchement prématuré et de retard de croissance ont une origine infectieuse d’ordre local (génitale ou urinaire) ou d’ordre général (maladies parodontales).
En 1996, l’étude d’Offenbacher et coll. a montré que le risque de donner naissance à un enfant hypotrophe était 7,5 fois supérieur pour une femme souffrant de parodontite. Cette même étude, poursuivie et complétée en 1998, a démontré que chez toutes les femmes souffrant de parodondite et ayant accouché d’enfants prématurés, on avait trouvé une concentration de prostaglandine E2 (PGE2) dans le fluide gingival bien supérieur à la norme. Il a été prouvé que la production de PGE2 résulte du mécanisme complexe de l’infection et qu’elle prédispose à la survenue de contractions utérines.
Plus récemment, en 2006, Offenbacher et coll. ont démontré que la progression de la maladie parodontale pendant la grossesse était prédictive d’un risque augmenté d’accouchement prématuré dû à un état souvent pré-éclamptique de la mère.
Les soins
Au premier trimestre de grossesse.
Seule une consultation de dépistage est conseillée étant donné les risques d’avortement spontané et les risques tératogènes. Le chirurgien-dentiste recherchera d’éventuels signes de maladie parodontale et de lésions carieuses. Il pourra effectuer un détartrage préventif et dispensera toutes les informations nécessaires à une bonne hygiène de la future mère.
Du quatrième au septième mois
C’est la période la plus adaptée pour d’éventuels soins. Le praticien pourra pratiquer des soins en utilisant un anesthésique local possédant des molécules qui ne traversent pas la barrière placentaire. Il pourra aussi prescrire des antalgiques.
Les traitements complexes tels que chirurgie et pose de prothèse, seront reportés après la naissance.
Le huitième et le neuvième mois
C’est une période de contrôle de l’état bucco-dentaire. Les soins sont plus difficilement réalisables en raison de la menace d’accouchement et de la position sur le fauteuil qui peut accroître le risque du « syndrome cave ». En cas d’urgence dentaire, il faudra veiller à ce que les rendez-vous soient de courte durée et que la femme ait une position semi-assise inclinée vers la gauche.
L’examen radiographique
Selon l’American College of Radiology, il n’y a aucune mesure de diagnostic radiologique qui en cas d’utilisation unique, provoquerait une dose d’irradiation suffisante pour présenter un risque quelconque pour le développement normal de l’embryon et du fœtus. Selon le principe de précaution, la femme enceinte sera protégée par un tablier de plomb.
Les prescriptions médicamenteuses
Quel que soit le trimestre de grossesse, il est possible de prescrire du paracétamol en cas de douleur. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont à éviter car ils pourraient entraîner la fermeture prématurée du canal artériel.
En cas de nécessité, les antibiotiques peuvent être utilisés sans crainte, étant donné les conséquences non négligeables du syndrome infectieux sur la grossesse. On privilégie la pénicilline ou les macrolides (en cas d’allergie).
Les anesthésiques locaux
« L’articaïne » est généralement utilisée. Cette molécule ne traverse pas la barrière placentaire et est inoffensive pour le fœtus.
Prise en charge de l’assurance-maladie
Il est à regretter que la prise en charge de la santé bucco-dentaire de la femme enceinte ne soit de 100 % qu’à partir du sixième mois de grossesse. Les soins n’étant possibles que jusqu’au septième mois, cela ne laisse que peu de temps au praticien pour réaliser les actes qu’il juge nécessaires.
Les conséquences d’une mauvaise santé bucco-dentaire ne sont plus à démontrer. Il faut informer les femmes et les inciter à consulter leur dentiste afin de repérer dès que possible les situations à risque. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire qu’une véritable collaboration s’établisse entre les différents acteurs de la grossesse : médecins généralistes, sages-femmes, gynécologues obstétriciens et chirurgiens-dentistes. Des plaquettes informatives doivent être remises aux femmes dès la déclaration administrative de leur état de grossesse.
Bibliographie
Haute Autorité de Santé – A.N.A.E.S. Parodontopathies : diagnostic et traitements, 2002.
Offenbacher, Boggesse, Murtha et coll. : Progressive periodontal disease and risk of very preterm delivery –janvier 2006
Mémoire de Julie Jacquet-sage-femme, Université de Nancy 1
Sellaoui N. : La parodontite est-elle un facteur de risque des accouchements prématurés ? Thèse de chirurgie dentaire, Strasbourg 2003.
Chollet S. : Prévention des risques bucco-dentaires chez la femme enceinte. Thèse de chirurgie dentaire, Reims 2006.
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