L’Académie de médecine a adopté avec « une majorité confortable » mardi après-midi un rapport sur "la situation sanitaire et sociale des migrants en France". Sans volonté de faire des « déclarations percutantes », mais avec le souci d’« exprimer son point de vue » et de « donner des conseils sur des problèmes de santé publique ». « Et l’immigration est un problème majeur de santé publique », a expliqué le Pr Marc Gentilini, rapporteur du groupe de travail. Convaincu qu’on ne « donne pas suffisamment la parole aux acteurs » qui travaillent dans ce domaine, le groupe de travail de l'Académie s’est appuyé pour son rapport sur les auditions, d’avril à novembre 2019, des ONG, des services de l’État, des collectivités locales, de la société civile, de la recherche et du monde politique. Le tout pour dresser un état des lieux et formuler huit recommandations aux pouvoirs publics.
Une immigration insuffisamment documentée
En préambule, l’institution souligne un manque d’études sur la santé des migrants et la difficulté à en avoir sur une population où 10 % sont demandeurs d’asile mais les 90 % restants sont des migrants économiques « dont on ne connaît pas vraiment le nombre, les flux », souligne le Pr Pierre-François Plouin, membre du groupe de travail. « Il n’y a pas d’étude nationale, nous n’avons que des données recueillies aux points de consultation de ces personnes », ajoute-t-il. Un état de fait qui pousse notamment le groupe de travail à demander la promotion de la recherche appliquée aux conditions sanitaires et sociales des personnes migrantes.
Avec les données disponibles, le rapport souligne des patients souvent complexes avec plusieurs pathologies en même temps, une fréquence plus importante des troubles psychiques, des infections, des pathologies chroniques ainsi que des problèmes d’addictions liés notamment aux conditions de vie dans le pays d’accueil. Le rapport pointe aussi le problème des femmes migrantes enceintes qui vivent dans la rue et sont souvent prises en charge tardivement. « En France plus de 700 familles dorment dans la rue chaque soir à Paris », rappelle Dominique Kerouedan, secrétaire du groupe de travail. Concernant la situation des mineurs isolés, l’Académie rappelle son opposition aux techniques radio pour évaluer l’âge osseux et redit que les ARS « doivent faire respecter la présomption de minorité des jeunes étrangers isolés qui se déclarent mineurs ».
Réaffecter des compétences au ministère de la Santé
Parmi les acteurs auditionnés, le Défenseur des droits se montre particulièrement sévère et déplore que l’État, « défaillant », « se défausse trop souvent sur des associations ». Il exprime également ses craintes de voir arriver des restrictions au panier de soins couvert par l’Aide médicale d'état (AME) et notamment pour les pathologies psychiatriques. Il regrette aussi que la suspicion de fraude dans la santé soit un sujet récurrent « alors qu’elle ne représente que 1 % des demandes de titres de séjour pour soins ».
Par ailleurs, il apporte un regard critique sur le transfert du ministère de la Santé vers celui de l’Intérieur des services médicaux qui examinent les demandes de titres de séjour pour soins. Le rapport souligne que depuis ce transfert, l’attribution d’un titre de séjour pour maladie est passée « de 75 % à 50 % ». Le Défenseur des droits souligne des délais d’instruction plus long et une baisse d’avis favorables notamment pour certaines maladies comme l’infection par le VIH, les pathologies psychiatriques ou les hépatites. Dans sa deuxième recommandation, l’Académie demande donc de réaffecter ce service au ministère de la Santé.
Des recommandations pas appliquées
Les conclusions des auditions permettent aussi de montrer qu’en dépit des recommandations existantes, de la part de la HAS ou du Haut Conseil de la Santé publique, les professionnels de santé du secteur public, privé ou associatif, méconnaissent parfois ce qui est préconisé. « Il est regrettable d’observer les occasions manquées de mettre en place un suivi sanitaire de qualité accessible », souligne le rapport. Les migrants eux-mêmes ignorent souvent leurs droits et les dispositifs accessibles, comme les Pass (permanences d’accès aux soins de santé), dont le rapport pointe par ailleurs le budget modique de 70 millions d’euros.
De manière globale, le rapport juge que « la situation des étrangers arrivant en France est préoccupante sur les plans sanitaires, social et éthique ». Une conclusion qui pousse l’Académie à recommander la création d’une protection maladie réellement universelle, immédiate et inconditionnelle, rassemblant AME et PUMa (ex-CMU) pour toute personne résidant sur le territoire national. Alors qu’en décembre est paru un nouveau décret qui impose désormais un délai de carence de trois mois aux demandeurs d’asile avant de pouvoir accéder à la PUMa, l’Académie demande aussi de permettre à tout demandeur d’un titre de séjour, en situation régulière ou non, de bénéficier dès son arrivée « d’un hébergement décent, d’un examen médical et d’un accès aux soins ».
Rappeler les professionnels à leur serment d'Hippocrate
L’Académie souhaite rappeler aux professionnels de santé les recommandations du ministère concernant le parcours de santé des primo-arrivants, et leur « remémorer » leur serment d’Hippocrate, en lien avec les 10 % de refus de soins encore enregistrés actuellement. Le rapport appuie également la nécessité d’ « informer en toute objectivité le public et les médias sur la réalité des flux migratoires et leurs conséquences », afin d’éviter toute dérive et récupération politique. Par rapport à cela, Dominique Kerouedan a notamment tenu à souligner, « c’est une question que se posent de nombreux citoyens ou professionnels mais le risque sanitaire pour la population française est nul ».
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