L’Académie s’alarme et veut préserver l’indispensable

L’autopsie médico-scientifique se meurt, le progrès médical s’atrophie

Publié le 13/04/2015
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

D’un autre siècle ? Rien n’est moins sûr... Le passage au 21e siècle a précipité le déclin de l’autopsie médico-scientifique, qui est devenue « archaïque ». « En 2013, 588 autopsies d’adultes, 433 d’enfants et 6 541 actes de fœtopathologie ont été recensés en France métropolitaine », indique l’Académie nationale de Médecine dans un rapport sur l’autopsie médico-scientifique. « Autant dire qu’il n’y en a plus du tout », s’alarme le Pr Dominique Lecomte, médecin légiste émérite et l’un des rapporteurs. Pourtant, bien différente de l’autopsie médico-légale et du don d’organe, l’autopsie médico-scientifique a aussi son utilité. « Irremplaçable », estime le Pr Lecomte.

Certitude diagnostique

« C’est le seul moyen d’avoir une certitude diagnostique. Rien ne peut remplacer la corrélation anatomo-clinique », explique-t-elle au « Quotidien ». Les erreurs diagnostiques seraient « bien plus fréquentes, que l’on ne l’imagine ». Le chiffre avancé est impressionnant. Ce serait de l’ordre d’un tiers, comme l’ont retrouvé une métaanalyse internationale (28 %), une étude parisienne en 2004 (31 %) et les registres de fœtopathologie (23-43 %). L’autopsie médico-scientifique, « c’est aussi un outil de veille sanitaire, souligne le Pr Lecomte. Un outil qui devrait faire partie de la démarche qualité, surtout pour les cas cliniques mal expliqués ». Elle est d’ailleurs nécessaire au diagnostic d’affections transmissibles comme la maladie de Creutzfeld-Jacob. Et c’est une façon d’avoir une meilleure connaissance des médicaments et de leurs effets secondaires, et de faire « des avancées en thérapeutique », insiste-t-elle.

Des règles d’éthique et de bonne pratique

« Il y a encore une vingtaine d’années, il y avait à l’hôpital Saint Antoine (Paris) au moins une autopsie par jour. Les chirurgiens "descendaient" nous rejondre au sous-sol pour "voir" les raisons du décès », se souvient le médecin légiste. Quelles sont les raisons d’une telle désaffection ? « La T2A a marqué un coup d’arrêt », explique-t-elle. Ce système de financement, qui est basé sur l’acte de soins, exclut de fait l’autopsie médico-scientifique. À cela s’est ajouté le coût supplémentaire de la mise aux normes en 2004 pour limiter le risque de maladies transmissibles, telles que le VIH. « Des directeurs d’hôpitaux ont alors décidé de fermer les centres d’autopsie », se rappelle-t-elle. Et il n’y a pas fallu en découdre avec la résistance des anatomo-pathologistes, peu motivés pour ces actes chronophages et peu valorisés.

Les freins ne sont pas que financiers. Le circuit réglementaire est lourd sur le plan administratif et exigeant sur le plan humain. « Pour qu’une demande d’autopsie se passe sans heurt, - ce qui est toujours délicat avec une famille endeuillée -, il faut avoir noué une relation avec le malade et la "personne de confiance" dès l’entrée à l’hôpital, estime le Pr Lecomte, qui a réalisé plus de 19 000 autopsies au cours de sa carrière. Tout se fait dans une très grande transparence avec la famille ». Le respect du corps est fondamental au cours de l’autopsie médico-scientifique, qui est encadrée par des règles d’éthique et de bonne pratique. Comme le rapport le souligne, il n’existe en réalité aucune interdiction religieuse à l’autopsie, qui est souvent avancée comme « prétexte ». Seuls les Tziganes le rejettent formellement.

Le virtuel ne suffira pas

À part, l’exemple de la fœtopathologie, « qui présente des bénéfices directs pour la famille. C’est important de connaître les raisons exactes du décès avant d’envisager une nouvelle grossesse », explique le Pr Lecomte. Elle est aujourd’hui bien plus pratiquée, mieux acceptée et soutenue que ne l’est l’autopsie de l’enfant et de l’adulte, expose le rapport. En cas d’interruption médicale de grossesse, il permet d’identifier des anomalies non détectées, de modifier le diagnostic final et de faire évoluer le conseil génétique. C’est là aussi un outil de veille sanitaire pour les agents tératogènes.

Si l’évolution ne va pas s’inverser, l’Académie de médecine fait des recommandations pour préserver « l’indispensable ». « Si l’autopsie virtuelle est un complément utile, tout laisse penser qu’elle ne remplacera pas l’autopsie classique », estime le Pr Lecomte. La mesure principale consiste à mettre en place des réseaux régionaux ou interrégionaux autour des centres nationaux de référence, « au mieux avec des équipes mobiles », relève le Pr Lecomte. D’autres modes de financement sont possibles, notamment via les missions de recherche et d’enseignement (MERRI, MIGAC). La demande d’autopsie est facilitée par la déclaration d’une personne de confiance, ce qui devrait être indispensable lors de toute hospitalisation. Des campagnes d’information permettraient d’informer à la fois le personnel hospitalier et la population générale de l’intérêt de l’autopsie, « malgré les apports techniques modernes d’investigation ».

Rapport publié le 7 avril 2015
Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du Médecin: 9403