Il n’existe pas aujourd’hui de consensus sur la prise en charge de la non-fermeture du canal artériel chez les « extrêmes prématurés », ces grands prématurés nés avant 28 semaines d’aménorrhée (SA). Une étude française récente publiée dans le « JAMA » et réalisée à partir de la cohorte EPIPAGE 2 pourrait faire évoluer cet état de fait. « En France, la moitié des équipes s’occupe du canal artériel, l’autre pas du tout, expose le Pr Jean-Christophe Rozé, chef du service néonatalogie et réanimation pédiatrique au CHU de Nantes et premier auteur de l’étude. C’est un sujet très chaud pour les néonatalogistes ! »
Si la non-fermeture du canal artériel à 3 jours de vie est assez fréquente chez les très grands prématurés, il existe très peu de données scientifiques disponibles à ce sujet. « En 40 ans, depuis les 2 publications parues en 1976 dans le "New England Journal of Medicine", on n’en sait pas plus », indique le Pr Rozé. Si les conséquences hémodynamiques de ce shunt du cœur gauche vers le droit sont associées à une mortalité augmentée et à un risque augmenté de complications - hémorragie pulmonaire, hypotension, hémorragie intraventriculaire, entérocolite ulcéronécrosante -, il n’est pas démontré non plus que le traitement pharmacologique par inhibiteurs de la cyclooxygénase améliore les choses.
Deux stratégies en face à face
« De nombreuses équipes ont alors préféré opter pour un traitement conservateur, poursuit le Pr Rozé. En effet si l’on s’intéresse au devenir spontané du canal artériel, il se ferme ». Pourtant, il semble exister de réels bénéfices à dépister, et donc traiter, un canal artériel trop large. Récemment, une étude randomisée australienne publiée en 2014 a été interrompue précocement car la stratégie interventionniste était associée à moins d’hémorragies pulmonaires. Ici, l’étude observationnelle française va beaucoup plus loin en montrant que la réalisation d’une échographie cardiaque précoce, et donc le traitement, diminue la mortalité des très grands prématurés.
L’analyse a inclus les bébés nés avant 29 SA hospitalisés dans 68 unités de réanimation néonatale en France entre avril et décembre 2011. Ce qui représente au final 847 nouveau-nés dépistés, dit « exposés », et 666 « non exposés » ; 605 enfants de chaque groupe ont pu être appariés. Selon l’analyse, il faut dépister 23 nouveau-nés pour éviter 1 décès. Mais l’étude met à jour un autre constat : il y a en proportion moins de bébés traités quel que soit le moment lors de l’hospitalisation dans le groupe non dépisté que dans le groupe dépisté (43 % versus 55 %). « La plus forte mortalité du groupe non exposé était principalement observée chez les nouveau-nés non traités, qui étaient plus élevés dans ce groupe », précisent les auteurs. Les enfants exposés avaient 36 % moins de risque de décéder (14,2 % versus 18,5 %) et 40 % moins de risque d’avoir une hémorragie pulmonaire (6 % versus 9 %).
Une étude originale
Si ce travail français observationnel a retenu l’attention, c’est qu’il a su poser la bonne question. « Traiter précocement ou pas, dépister ou non, le regard extérieur du statisticien nous a aidés à arriver à formuler correctement le problème, explique le néonatalogiste. La plupart des études précédentes se sont focalisées sur le timing du traitement précoce plutôt que sur les risques à fermer un canal artériel persistant par rapport à une surveillance prolongée. Puis, pour se défaire au maximum des facteurs confondants liés à ce type d’étude, nous avons utilisé une méthode stratifiée sur score de propension et un ajustement rigoureux. »
L’équipe a souligné en conclusion : « l’originalité de cette étude tient à ce qu’elle évalue l’association entre la mortalité hospitalière et un dépistage précoce plutôt qu’avec un traitement précoce. Les néonatalogistes qui préfèrent le traitement conservateur du canal artériel ne dépistent pas activement les nouveau-nés. » Alors que les Américains réalisent très peu d’échographie en néonatalogie, les éditeurs tempèrent les résultats en demandant confirmation. En France, un essai mené à Nantes par le Dr Véronique Gournay, également co-auteur de cette étude, est en train d’évaluer l’ibuprofène dans le traitement de la non-fermeture du canal artériel.
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