Le 7 janvier 2015, à 11 h 20, deux hommes cagoulés et armés se présentent au numéro 10 de la rue Nicolas-Appert et ouvrent le feu à plusieurs reprises dans le siège du journal satyrique « Charlie Hebdo ».
Environ 10 minutes plus tard, un appel parvient au standard de police secours, à 11 h 40, les premières équipes d’urgence du SAMU 75 et de la brigade des sapeurs pompiers de paris (BSPP) arrivent sur les lieux.
Les urgentistes constatent que 12 patients en arrêts respiratoires, principalement atteints au Thorax et au cou, peuvent d’ores et déjà être considérés comme décédés. Ils dénombrent également quatre victimes en urgence absolue nécessitant une hémostase à l’aide de garrots et de pansements de contrôle.
Le « damage control »
Sur place, les médecins ont appliqué les principes du « Damage control » hérité des théâtres d’opération militaire, avec la lutte contre l’hypothermie et un remplissage des patients avant l’envoie vers le bloc opératoire avec des garrots, parfois de fortune et des pansements de contrôle. L’opération est un succès puisque le temps médian de prise en charge a été de 30 minutes, et la distance médiane à parcourir avec les blessés jusqu’au CHU était de 7,5 km. Ce temps est bien plus court que celui observé lors des attentats à la bombe des années quatre-vingt-dix qui ont frappé la capitale.
L’une des principales différences réside dans l’absence presque totale de recours au poste médical avancé (PMA), afin d’assurer une évacuation plus rapide vers les hôpitaux. « Nous avions des patients en forte instabilité hémodynamique, le tri en PMA aurait pu les tuer ! » explique le Dr Éric Ramdani, présent sur les lieux avec le Dr Pierre Carly du SAMU 75.
Cette rapidité est le fruit de la préparation des services d’urgence menés conjointement avec la préfecture de police de Paris depuis la fusillade de Nanterre de mars 2002, premier événement du genre en France, qui coûta la vie à huit élus et en blessa 19 autres. Le premier appel avait été reçu à 1 h 15 et les quinze patients en urgences absolues pour des plaies au thorax et à l’abdomen ont été admis à partir de 2 h 50 du matin. « On était loin de la demi-heure de Charlie Hebdo, commente le Dr François Templier du SAMU 49, pour qui la principale difficulté a été de s’approprier une situation inhabituelle. Plusieurs personnes étaient en arrêt cardiaque, d’autres avaient besoin de soins urgents, on se posait alors la difficile question du moment où l’on doit décider de se concentrer sur les patients qui sont sauvables. »
Un changement de paradigme
Pour les secours, intervenir après de telles fusillades constitue un changement de paradigme important par rapport aux interventions « traditionnelles » sur les sites d’attentats à la bombe. En premier lieu, les types de blessure sont très différents. Le blast d’une explosion provoque tout un éventail de lésions primaires (onde de pression) secondaires (éclats projetés) tertiaires (projection du corps) et quaternaires (brûlures) dont la gravité est plus simple à évaluer sur les lieux que celles des blessures par balles dont les dommages dépendent du parcours du projectile, peu évident à évaluer de l’extérieur.
La différence se retrouve aussi dans les chiffres : « lors de la série d’attentats terroristes à la bombe de 1995 et 1996, nous avons recensé 238 victimes, principalement touchées par le Blast, dont seulement 3 % sont décédées car elles étaient en contact direct avec la bombe lors de son explosion » rappelle le Dr Pierre Carly. Lors de la prise en charge sur le terrain, on recensait à l’époque 15 % d’urgences absolues touchées par le blast secondaire, 49 % d’urgences relatives et 34 % d’impliqués, c’est-à-dire de témoins qui nécessitaient une prise en charge psychologique.
Des proportions qui sont bien différentes de celles de l’attentat de Charlie Hebdo où l’on comptait une majorité de patients déclarés morts sur place, et plus de 100 impliqués. La raison en est simple : la fusillade s’est déplacée dans la capitale, impliquant un nombre croissant de témoins qui ont été reçus dans le PMA, sous surveillance policière constante. Le risque terroriste était en effet toujours présent : outre les tireurs toujours en liberté, il n’était pas exclu que des terroristes fassent partie des témoins. De plus, une attaque dirigée contre les secours en cours d’intervention restait envisageable. C’est la raison pour laquelle une collaboration constante entre SAMU, BSPP, DOPC (direction de l’ordre public et de la circulation) et direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP).
« Quand nous sommes arrivés sur les lieux, la zone n’était pas encore sécurisée, se souvient le Dr Carly, nous étions habillés en blanc avec des bandes réfléchissantes. Nous étions des cibles parfaites. C’est un point que nous pourrions nous améliorer en acquérant des notions extrêmement simples de sécurité auprès des médecins militaires. »
Des pistes d’amélioration pour l’avenir
D’autres voies d’améliorations peuvent également être explorées comme celle de la thoracotomie préhospitalière de réanimation. Dans un article paru en 2011 dans la revue « Injury » sur l’intérêt de la thoracotomie préhospitalière dans un contexte militaire, les auteurs concluaient que cette opération était probablement trop complexe pour être réalisée dans des conditions aussi difficiles. Mais qu’en est-il dans un environnement plus « contrôlé » ? Des expériences menées au Royaume-Uni montrent que l’on atteint jusqu’à 10 % de survie si l’on pratique une thoracotomie préhospitalière, sur une série de 39 patients admis aux urgences. « Il s’agissait principalement de plaies causées par des armes blanches, précise le Dr Pierre Carly, c’est une voie qu’il faudra explorer. »
Une question hante également les services d’urgences : que se passerait-il si une telle séquence d’événements (attentat de Charlie Hebdo suivie des prises d’otage de l’Hyper Cacher de la porte de Vincenne et de Dammartin-en-Goële) se déroulait ailleurs qu’en Île de France ? « Si une fusillade comme celle de Nanterre s’était produite dans la région des Pays de Loire l’ensemble des moyens de 4 des 5 départements des pays de la Loire aurait été engagé », explique le Dr Templier.
Les attentats de janvier préfigurent ceux qui pourraient toucher la France dans les années à venir, avec peut-être une ampleur bien supérieure. « Il s’agissait d’une petite fusillade, comparée à celles de Bombay (173 morts et 312 blessés en 2008 N.D.L.R) ou de Nairobi (213 morts et plusieurs milliers de blessés en 1993), commente le Pr Carly, nous devons élargir nos capacités de damage control, pour répondre à des attaques multisites qui combinent fusillade et attentats à la bombe ».
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