Un petit pas… pour éviter tout faux pas ? S’il constitue une étape sur la voie escarpée de la nouvelle répartition des tâches des professionnels de santé, l’amendement 453 au projet de loi « Bachelot », adopté par l’Assemblée nationale, illustre aussi la difficulté d’avancer sur le terrain sensible des champs de compétence, terrain où les conflits de territoire ne sont jamais très loin. De quoi s’agit-il ?
La première partie de l’amendement, défendu par Bérengère Poletti (UMP, Ardennes), elle-même de cette profession, permettra à la sage-femme de proposer un frottis cervico-utérin à la femme enceinte. La deuxième partie étend les compétences des sages-femmes dans les domaines de la prescription de la contraception et de suivi gynécologique de prévention sous réserve d’adresser la femme à un médecin « en cas de situation pathologique ». Le dispositif est donc encadré. Bérengère Poletti a déminé le terrain en expliquant que la pratique de ces gestes supplémentaires « relève tout à fait des compétences des sages-femmes qui ont la capacité d’informer les femmes de la diversité de la contraception ».
La mesure se présente comme une avancée pour la santé publique. Une grossesse sur cinq se termine par une IVG, insiste l’exposé des motifs de l’article. Le taux d’IVG est de 14,6 pour 1 000 femmes en âge de procréer (et grimpe à 22 en Ile-de-France), bien au-delà de la moyenne européenne (11,2/1 000). D’où l’idée de faciliter l’accès à la contraception à une certaine frange de la population, en particulier les adolescentes. La mesuredoit notamment permettre de cibler les mineures qui fréquentent les centres de planification familiale ou de PMI, dans le cadre de la prévention des grossesses non désirées.75 % des 210 000 IVG concernent les 35 ans et moins, dont 13 400 mineures, chiffre qui progresse de 1 % par an. Le projet permettra de toucher des populations qui « pour des raisons économiques ou du fait d’une raréfaction de l’offre de soins dans certaines zones périurbaines et rurales ne peuvent accéder aux soins dispensés par les médecins ». Pour beaucoup, l’extension du champ de compétences des sages-femmes apparaît comme une réponse à la diminution régulière des effectifs des gynécologues médicaux (20 internes par an depuis 2003).
« On coupe le métier en tranches ».
Si Roselyne Bachelot a émis un avis favorable à l’amendement Poletti (la ministre n’a toutefois fait aucun commentaire…), la discussion qui a accompagné son adoption a rappelé le caractère sensible du débat. Bérengère Poletti a indiqué qu’elle avait retiré en commission un autre amendement qui concernait cette fois la prescription de l’IVG médicamenteuse, non pas en raison de « pressions », mais parce que « les sages-femmes ne me semblaient pas prêtes à assumer cette compétence supplémentaire ». Le député socialiste Jean-Marie Le Guen a saisi cette tribune pour fustiger « un certain corporatisme médical étriqué » . Etil a déploré que le gouvernement n’ait pas accepté un amendement « donnant aux médecins de PMI la possibilité de prescrire ».
Même circonscrit, l’amendement étendant les compétences des sages-femmes suscite déjà quelques remous. Le comité de défense de la gynécologie médicale (CDGM), créé en 1997 à l'initiative de femmes et de gynécologues médicaux, pourrait (re)monter au front. Pour Claude Groussin, coprésidente (non-médecin), « on est en train de couper la gynécologue médicale en petits morceaux et d’éparpiller les compétences pour de mauvais prétextes. Un bout aux généralistes, un aux sages-femmes, un autre aux infirmières. C’est une entreprise de démolition, les femmes ne vont plus s’y retrouver ».
Moinsradicaux, mais très réservés, les gynécologues médicaux du SYNGOF (Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France) ont mis en doute la capacité des sages-femmes à assumer un élargissement de leurs missions « sans l’assurance d’une formation adéquate ». « La formation actuelle des sages-femmes, qui est centrée sur le suivi de la grossesse normale, ne comporte que quelques heures sur la contraception et très peu d’heures sur le suivi gynécologique (notamment le dépistage carcinologique mammaire) ou celui des pathologies de la femme en médecine générale notamment les pathologies cardiovasculaires, métaboliques et maladies de système qui peuvent être des contre-indications à certaines formes de contraception », argumente le syndicat. Le Dr Marc-Alain Rozan, président du SYNGOF, estime qu’ « il faudra suivre cela de très près » mais annonce déjà que ce dispositif ne permettra nullement de changer de braquet sur l’éducation à la contraception. Il aurait jugé plus efficace une éducation ciblée dans les collèges et les lycées ou la mise en place d’une consultation annuelle de prévention à partir de 13 ans, anonyme et gratuite. Le Dr Brigitte Letombe, présidente de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale (FNGGM) est « sous le choc » après avoir bataillé sans succès contre l’élargissement des missions des sages-femmes à la prescription de contraception . « J’ai alerté Roselyne Bachelot depuis février 2008. Si c’était trop précoce pour l’IVG, ça l’était aussi pour la contraception hormonale ».
Les organisations de sages-femmes se réjouissent de cette extension du champ de leurs compétences sans sous-estimer le défi. « On revendique depuis des années cette place de premier recours dans la maternité normale, cette ouverture est donc bienvenue mais il faudra qu’elle s’accompagne d’une formation ad hoc, explique Jacqueline Lavillonnière, présidente de l’Union nationale des syndicats de sages-femmes (UNSSF). Il peut y avoir des conflits avec les gynécologues mais je pense que cela s’apaisera car nous ne sommes pas si nombreux pour nous bagarrer… ».
› CYRILLE DUPUIS
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