#PayeTonUterus, #1in10, #sanshormone… Ces dernières années, dans le sillage de #MeToo, les prises de parole et les revendications des femmes sur leur prise en charge gynécologique se sont multipliées. Des propos amplifiés par les réseaux sociaux et de plus en plus pris en compte par le corps médical.
Première tendance qui ébranle les pratiques : une aspiration à davantage de naturalité. Si cette demande n’est pas généralisée, comme le souligne le Pr Joëlle Belaisch-Allart, présidente du Collège national des gynécologues-obstétriciens français (CNGOF), elle est « très nettement » exprimée par certaines générations, constate le Dr Isabelle Héron, présidente de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale (FNCGM) citant en particulier les 20-30 ans.
En matière de contraception, cet intérêt pour « le naturel » relève parfois d’un véritable « hormonobashing », déplore le Dr Héron. « Nombre de jeunes femmes ne veulent plus d’hormones », confirme le Dr Sylvain Bouquet, généraliste en Ardèche et vice-président du Collège de la médecine générale (CMG). Une hormonophobie déclenchée par le scandale de la pilule Diane notamment, nourrie par des considérations écologiques, et que pourraient alimenter encore de récentes alertes de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur les progestatifs, prévoient le Dr Héron et le Pr Belaisch-Allart.
Dialoguer face à l’hormonophobie
Si elle peut être légitime, cette hormonophobie peut parfois devenir problématique, avec un risque potentiel de grossesse non désirée. « Je ne dispose pas de chiffres mais je constate dans ma patientèle une hausse des IVG chez des jeunes femmes qui ont arrêté leur pilule d’elle-même, sans en parler », témoigne le Dr Bouquet. D’autant que les alternatives manquent : si le stérilet non hormonal, le suivi de la température ou la contraception définitive – féminine mais surtout masculine – suscitent un nouvel engouement, ces options ne sont pas toujours idéales. « 20 % des nullipares ne supportent pas le stérilet non hormonal », déplore le Dr Bouquet, tandis que la méthode des températures reste peu efficace, et la contraception définitive peu adaptée à nombre de jeunes couples.
Malgré ces difficultés, ce rejet des hormones pourrait aussi avoir contribué à favoriser les échanges. « Ce phénomène nous oblige à écouter davantage les patientes afin de comprendre leurs craintes et à mieux expliquer les bénéfices et risques de chaque méthode », plaide le Dr Héron.
Des pathologies moins taboues
De plus en plus, l’heure est aussi au dialogue pour certaines pathologies pelviennes longtemps restées dans l’ombre.
À l’instar, indique le Pr Belaisch-Allart, de l’endométriose ou du syndrome des ovaires polykystiques, dont le repérage et la prise en charge se retrouvent améliorés. Alors qu’« il y a une quinzaine d’années, l’endométriose restait peu connue des médecins », nombre de généralistes savent désormais reconnaître les plaintes et symptômes suspects, voire des images caractéristiques à l’échographie, rapporte le Dr Bouquet. Côté traitement, « des filières de soins se sont organisées, et la prise en charge s’est formalisée », se félicite le Pr Belaisch-Allart.
Plus récemment, les critiques des patientes se sont étendues à la prise en charge des fausses couches, jugées trop superficielle. Or « si, sur le plan médical, ce sont des évènements banals, pour les femmes, une fausse couche peut représenter la perte d’espoirs importants », souligne le Pr Belaisch-Allart. Ainsi, la conduite à tenir est désormais de poser la question du ressenti et « d’ouvrir si besoin la porte à un suivi psychologique, sans rien imposer », résume le Dr Bouquet.
En mars, Santé publique France a aussi jeté un pavé dans la mare concernant la dépression du post-partum, dénonçant un défaut de prévention à l’occasion de la publication de chiffres inquiétants sur la prévalence du trouble dépressif et du suicide maternels.
L’examen pelvien repensé
Mais la gynécologie semble surtout transformée par les accusations de violences. « Il y avait déjà auparavant eu des médecins radiés de l’Ordre pour des comportements, gestes ou propos inadaptés, mais cette fois, les plaintes ont fait beaucoup de bruit, et c’est très bien », rappelle le Dr Bouquet. De quoi inquiéter des professionnels malveillants – qui ne doivent pas rester impunis afin de ne pas alimenter la défiance envers le corps médical, insiste le Dr Héron – et pousser les autres praticiens, bien intentionnés, à « réfléchir à leurs pratiques » et « s’interroger sur la façon dont chaque geste ou parole peut être vécu et interprété », juge le généraliste. L’enjeu : favoriser la bienveillance, le lien de confiance, et lutter contre une angoisse qui s’est installée de tous les côtés. « De plus en plus de femmes, par peur du gynécologue, renoncent à un suivi, et de plus en plus de médecins, par peur des réactions de leurs patientes, renoncent à des examens », analyse le Pr Belaisch-Allart.
Dans ce contexte, de nouvelles recommandations redéfinissent la place de l’examen pelvien. « Nous avons réalisé une revue de la littérature afin de déterminer dans quels cas il est utile ou au contraire inutile de conduire un examen ou de poser un speculum », résume la présidente du CNGOF. Par exemple, « si l’examen reste indispensable avant de poser un stérilet, il n’est pas nécessaire lors d’une demande de contraception hormonale chez une jeune fille sans antécédent ni symptôme », illustre le Pr Belaisch-Allart. En outre, le CNGOF propose une charte de consultation, à « afficher dans les lieux d’attente ». Un texte qui fixe quelques bonnes pratiques : explication des « objectifs » et « modalités » de tout geste, recueil systématique du consentement oral, possibilité laissée aux patientes d’interrompre tout examen ou encore de se dévêtir « dans le respect de la pudeur », etc.
Au total, analyse le Dr Bouquet, les prises de parole des femmes n’aboutissent pas tant à des évolutions sur le fond qu’à des changements communicationnels et relationnels. « Le paternalisme est mort », déclare ainsi le Pr Belaisch-Allart. Et cette évolution des mentalités semble s’exporter à l’ensemble des disciplines médicales. « On se dit que même des gestes anodins peuvent être mal vécus et méritent de délivrer des explications, de recueillir un consentement, de rechercher une décision médicale partagée – même si cela est encore plus important pour l’examen gynécologique », entrevoit le Dr Bouquet.
Les progestatifs en question
Coup sur coup, plusieurs actualités sont venues bousculer les progestatifs. Début mars, une vaste étude parue dans PLOS medecine a notamment suggéré que la contraception par progestatifs seuls pourrait être associée, au même titre que les œstroprogestatifs, à un léger surrisque de cancer du sein avec une augmentation (réversible à l’arrêt) du risque relatif de 20 à 30 %.
Quelques jours plus tôt, les progestatifs avaient été pointés du doigt par l’ANSM, l’agence suspectant un surrisque de méningiome avec l’ensemble de la classe, au-delà de l’acétate de nomégestrol, de chlormadinone ou de cyprotérone. D’où un appel à la prudence… en l’attente de résultats d’études.
Un excès de précaution dénoncé par les gynécologues, qui estiment que ces alertes, « non validées scientifiquement », peuvent « affoler la population » et « détourner certaines patientes de leur traitement », s’alarme le Dr Héron. Et ce, alors que ces molécules restent très efficaces dans certaines indications et peuvent éviter la chirurgie dans nombre de situations.
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