"Le nombre croissant d'études évaluant des thérapies ciblées et ambulatoires témoigne du dynamisme dans ce domaine, qu'il s'agisse d'études randomisées à haut niveau de preuves menées chez un grand nombre de patients ou d'essais aux résultats plus préliminaires. La LLC et le myélome constituent le type même d'hémopathies où les connaissances acquises dans le domaine de la physiopathologie et de l'oncogénèse ont directement débouché sur des progrès thérapeutiques spectaculaires très prometteurs" témoigne le Pr Paul COPPO.
Le concept de thérapie ciblé est déjà ancien puisqu'il a été utilisé dans la leucémie myéloïde chronique (LMC) avec les inhibiteurs de tyrosine kinase ciblant en particulier l’oncogène ABL, et avant avec le premier anticorps monoclonal anti-CD 20 ciblant les lymphocytes B. Ces nouvelles thérapies font reculer la chimiothérapie classique, permettant le passage à des traitements plus ambulatoires, d'autant que certaines de ces molécules ont une prise orale. Si elles ne sont pas dénuées d'effets secondaires, elles évitent néanmoins les complications classiques de la chimiothérapie (aplasie, transfusions, fièvre…) et préservent l'image que les patients ont d’eux-mêmes en évitant la perte des cheveux, de poids, la fatigue… etc.
LLC : des traitements de plus en plus ciblés
L’ibrutinib, un inhibiteur de la protéine BTK (Bruton tyrosine kinase), dérégulée dans la leucémie lymphoïde chronique (LLC), a fait l'objet de plusieurs études très intéressantes.
L'une a été menée chez 547 patients de plus de 65 ans (71 ans en moyenne) naïfs de traitement, atteints de LLC à risque intermédiaire ou élevé, pour comparer l'ibrutinib associé ou non au rituximab (R) au traitement standard de référence, combinant le rituximab à la bendamustine (BR). Avec un recul de plus de 2 ans, on constate que la réponse est plus prolongée dans les deux groupes ibrutinib, avec une survie sans progression (SSP) de 87 %/88% vs 74 % sous BR, et des effets secondaires – risque infectieux, de fibrillation atriale, d'HTA - acceptables compte tenu de la gravité de la maladie et de l’iatrogénie des traitements classiques (aplasies, infections, besoins transfusionnels, hospitalisations… etc). Ce bénéfice se retrouvait chez les différents sous-groupes de patients, en particuliers les porteurs d'une del 17P (anomalie cytogénétique de mauvais pronostic), alors que la différence était moins franche chez les personnes avec un statut IGHV muté, considéré comme de bon pronostic. À noter que l'association du rituximab à l’ibrutinib n’a pas conféré d’avantage supplémentaire.
Chez les sujets plus jeunes (âge moyen 57 ans), une étude présentée lors de la session « Late Breaking abstracts » et menée chez 529 patients naïfs de traitement (excluant les del 17P qui ne répondent pas au traitement classique) montre que par rapport à l'immunochimiothérapie de référence FCR (fludarabine, cyclophosphamide, rituximab), l'association IR (ibrutinib+rituximab) amène une réponse plus longue, avec une amélioration de la SSP et de la survie globale (SG) et moins d'effets secondaires. Le recul est encore modeste, et ces résultats doivent mûrir pour acquérir un niveau de preuve plus important.
Le venetoclax est un inhibiteur de la protéine oncogène BCL2, qui donne également des taux de réponse très intéressants dans la LLC. Ainsi, chez des patients en rechute ou réfractaires, une association de vénétoclax avec le rituximab est supérieure à la chimiothérapie de type bendamustine + rituximab (BR) sur la SSP, et se traduit également par un gain en SG. Dans la même indication, l'association ibrutinib+venetoclax semble prometteuse. En première ligne, cette association y compris chez des patients à haut risque, donne 100 % de réponses avec un taux de réponses complètes qui peut atteindre jusqu'à 96 % après 18 mois de traitement. On peut espérer obtenir ainsi des réponses plus profondes et prolongées, ouvrant des perspectives d’arrêts de traitements. Là aussi un recul plus important est nécessaire pour pouvoir porter des conclusions définitives.
Le représentant d'une autre classe de thérapie ciblée inhibant la protéine PI3kinase delta, l'idelalisib, à prise orale, donne des résultats très intéressants en association avec le rituximab dans les LLC en rechute ou réfractaires.
"En étant plus ciblés, les traitements deviennent plus efficaces et, dans une certaine mesure, moins toxiques puisqu’ils évitent l’iatrogénie des chimiothérapies classiques et permettent d'envisager une prise en charge plus ambulatoire, se félicite l'hématologue. Avec ce large panel de molécules, l'enjeu des prochaines années sera d’évaluer la manière de les articuler les unes par rapport aux autres, à quel moment les associer, ou les utiliser de façon séquentielle en fonction de la réponse du patient, afin d’envisager en particulier des arrêts thérapeutiques en cas de réponses complètes ".
Myélome : le daratumumab à l'honneur
Chez les patients inéligibles à une greffe, les résultats à long terme de l'étude ALCYONE confirment que l'adjonction du daratumumab à un des standards thérapeutiques actuels, l’association bortezomib, melphalan et prednisone (VMP) en première ligne de traitement améliore significativement la SSP pour un profil de tolérance acceptable. Une étude de tolérance l'associant au bortezomib, lenalidomide et dexamethasone (VRd) est en cours chez les patients éligibles à une autogreffe.
Après avoir montré son efficacité chez les patients en rechute, l'association daratumumab-lenalidomide-dexamethasone (DRd) était évaluée en première ligne de traitement versus le standard lenalidomide-dexamethasone (Rd) dans l'étude MAIA. Présentée lors des « Late Breaking Abstracts » dans les myélomes non éligibles à un traitement intensif, elle a inclus 737 patients (âge médian de 73 ans). La SSP à 30 mois est de 71 % sous DRd vs 56 % pour le traitement classique, soit une réduction de 44 % du risque de progression ou de décès. Les patients traités par DRd ont 2 à 3 fois plus de chances d’obtenir une réponse complète avec une maladie résiduelle négative, facteur pronostique important impactant la durée de la réponse. Le recul est encore insuffisant pour évaluer l’effet de ces résultats sur la survie globale. La tolérance est similaire à celle observée dans les essais précédents."En ce qui concerne le myélome, tous les patients seront vraisemblablement dans un futur proche traités dès le diagnostic par les traitements standards associés au daratumumab, et l’obtention d’une maladie résiduelle indétectable devrait prochainement être un objectif à atteindre plus systématiquement " , remarque le Pr COPPO.
Une tendance générale dans d'autres hémopathies
On assiste aux mêmes progrès dans d'autres pathologies comme les lymphomes qui bénéficient des thérapies ciblées que ce soit en première ligne, en cas de rechutes ou dans les formes réfractaires. La combinaison de la molécule anti-BCL2 vénétoclax avec le traitement standard R-CHOP dans le lymphome B diffus à grandes cellules se montre prometteuse dans l'étude CAVALLI de phase 2 avec une toxicité acceptable et un avantage en termes de SSP et surtout de réponse complète chez les patients BCL2+. Ainsi, ces nouvelles molécules devraient permettre de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques guidées par la biologie de la tumeur, comme cela a été suggéré dans certains lymphomes B agressifs.
Un anticorps conjugué anti-CD30, le brentuximab vedotin a prouvé dans l'étude de phase III ECHELON-2 son efficacité en association avec le CHP (cyclophosphamide, doxorubicine, prednisone) sur la SSP et la SG, avec un profil de sécurité identique au CHOP (cyclophosphamide, doxorubicine, vincristine, prednisone) en première ligne de traitement dans les lymphomes T périphériques exprimant le CD30. Cette étude est importante dans la mesure où les lymphomes T périphériques restent des pathologies de mauvais pronostic pour lequelles les besoins non pourvus et la nécessité de progrès thérapeutiques sont immenses.
"Nous sommes donc confortés dans ce changement de paradigme, et le pari que nous faisons à partir des études présentées cette année au congrès de l’ASH est que les années à venir confirmeront ce virage ambulatoire où le patient ne sera hospitalisé qu’à la phase initiale de la maladie afin d’établir son projet de soins et de comprendre sa maladie. Il devra par la suite s'approprier son projet thérapeutique avec l’aide d'un encadrement et d'une éducation thérapeutique rigoureux, conclut le Pr COPPO. Il n'est pas exclu par ailleurs qu'en augmentant la demi-vie des anticorps monoclonaux, on puisse les administrer par voie sous-cutanée, ce qui permettrait à terme un traitement totalement ambulatoire".
Les cellules CAR-T toujours en vedette
Dans les lymphomes diffus à grandes cellules, trois études mettent en évidence une réponse globale de l’ordre de 80 % à J30, de 50 % - 60 % à J100 avec 40 % - 50 % de réponse complète à J100. Au prix d'un relargage cytokinique dans plus de 80 % des cas (moins de 15 % au stade 3) et d'une certaine toxicité neurologique. Dans la LLC, un prétraitement par ibrutinib semble améliorer l'efficacité et la tolérance des CAR-T cells anti-CD19.
On dispose maintenant de cellules CAR-T à double cible, anti-CD19 et anti-CD22, ce qui permettrait de réduire l'échappement au traitement dans les LAL en rechute.
Les CAR-T ciblant l'antigène de maturation des lymphocytes B (BCMA) sont en développement dans le traitement du myélome et ont été présentés à l'ASH avec divers profils de sécurité et de tolérance.
D'après un entretien avec le Pr Paul COPPO, Hématologie, Hôpital Saint Antoine
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