Signe des temps, début janvier se tenait à Paris le 1er congrès d’échographie en médecine générale, réunissant près de 400 généralistes. « C’était au-delà de nos espérances », commente le Dr Jean-Marie Bourgeois, à l’origine de l’initiative. Pour ce pionnier, qui a créé il y a plus de 20 ans, à Nîmes, le Centre francophone de formation en échographie (CFFE), organisme privé de formation destiné à démocratiser l’échographie, « les généralistes qui l’utilisent sont tellement enthousiastes qu’à l’évidence, cette pratique va se développer ».
Pour le moment, la France reste toutefois très loin de pays comme le Japon ou l’Allemagne, où l’échographie est courante en médecine générale. Selon le Conseil national de l’ordre des médecins, au 1er janvier 2014, 0,4 % des généralistes déclaraient exercer une activité d’échographie. Mais il s’agissait de généralistes ayant choisi cette orientation. Il existe très peu de données sur l’échographie dans l’exercice quotidien de la médecine générale. Une enquête de l’ORS (Observatoire régional de la santé) d’Alsace réalisée en 2014 indiquait que sur 85 internes en médecine générale, deux étaient inscrits (ou le souhaitaient) à un diplôme universitaire (DU) ou inter-universitaire (DIU) d’échographie. Dans sa thèse sur l’« Utilisation de l’échographie par les médecins généralistes en France » (2016), le Dr Elsa Many observait que 8 % des généralistes interrogés utilisaient un appareil d’échographie, pourcentage certainement très sur-évalué puisqu’une partie du recrutement avait été faite dans un forum de généralistes utilisant l’échographie.
Le Dr Isabelle Cibois-Honnorat, généraliste à Mirabeau (Vaucluse), dans une zone semi-rurale, utilise un échographe depuis cinq ou six ans avec enthousiasme. « C’est l’avenir, estime-t-elle. La médecine fait des progrès. Il faut nous former pour les intégrer dans nos pratiques. Les généralistes sont en première ligne, ils doivent donc être équipés. Je dispose déjà d’un ECG et du matériel pour faire des EFR et dépister des déficits visuels et auditifs chez les nourrissons. »
Un bon examen “de débrouillage”
Le Dr Jérome Roumy (CHU de Tours), coordinateur national du DIU échographies et techniques ultrasonores, est un peu plus modéré, estimant que l’échographie stricto sensu n’a pas de place dans le cabinet du généraliste mais peut être intéressante pour étayer un diagnostic, répondre à une question ponctuelle. « C’est un très bon examen de débrouillage. »
De fait, « il y a un certain nombre de questions cliniques auxquelles l’échographie peut apporter une réponse binaire (oui ou non) ou, au pire, ne pas être contributive, explique le Dr Bourgeois. Par exemple, devant une personne âgée confuse, un des premiers diagnostics à évoquer est un globe vésical. L’échographie apporte la réponse très facilement. Les suspicions de colique néphrétique sont très fréquentes. Dans ce cas, il est urgent de déterminer si une dilation rénale modérée ou importante menace le rein. L’échographie permet de guider la conduite à tenir. Pour le diagnostic d’appendicite compliquée, elle apporte une réponse oui ou non à 100 %. Une trentaine de situations de ce type sont validées par la littérature. Pour chacune, il faut probablement une heure de formation. En médecine, on gère de l’incertitude en permanence. L’échographie apporte une certitude. Et cela concerne les questions les plus cruciales, car les situations graves sont souvent évidentes en échographie. » Douleurs abdominales, suspicion de thrombose veineuse profonde, échographie thyroïdienne, recherche de souffrance rénale, entre autres, font partie des indications les plus souvent mentionnées par les médecins ayant répondu à l’enquête de thèse du Dr Elsa Many.
PRATIQUE : Où se former ?
En dehors du DIU d’échographie, plusieurs formations sont possibles pour acquérir les bases de la technique :
•DU d’échographie en médecine générale, UFR de médecine de Brest :
40 h de formation (6 journées), plus 120 h de stages (à réaliser en 1 à 3 ans). Coût : 600 euros.
•Formations du CFFE :
- Prise en main d’un échographe : 3 jours. Coût : 1 995 euros.
- Formation online avec cours interactifs et visioconférences.
Coût : 950 euros
•Formations avec des organismes agréés DPC ou FAF-PM,
gratuites et indemnisées (Adesa)
•DU d’échoscopie à l’université de Bordeaux. 70 h de formation, plus 3 périodes de stages de 3 jours. Coût : 350 euros (reprise d’études non financées) ou 500 euros/an (reprise d’études financées).
« Nous travaillons actuellement avec la Cnam, le Collège national des généralistes enseignants et les constructeurs pour étendre ce DU au niveau national dans les prochaines années, précise le Pr Roumy. Nous réfléchissons aussi à un diplôme en ligne, homogène sur toute la France. C’est une période transitoire, car nous sommes en train de former les nouvelles générations d’étudiants à ce type d’outil. »
Cadre réglementaire mal défini
Plusieurs obstacles freinent cependant la diffusion de l’échographie, parmi lesquels le coût de l’échographe, le manque de disponibilité pour se former, mais aussi l’hétérogénéité des formations et l’absence de cadre réglementaire, qui peuvent faire craindre aux généralistes de s’aventurer au-delà de leurs compétences. Aucune réglementation spécifique ne concerne l’échographie, sauf pour l’obstétrique. D’après le Code de la santé publique, les échographies fœtales à visée médicale ne peuvent en effet être pratiquées que par des médecins ayant un diplôme inter-universitaire d’échographie en gynécologie-obstétrique ou des sages-femmes titulaires d’une attestation en échographie obstétricale. Cela concerne notamment les échographies des 12, 22 et 32es semaines. Dans les autres cas, il faut se référer au Code de déontologie médicale, qui stipule dans son article 70 que « tout médecin est, en principe, habilité à pratiquer tous les actes de diagnostic, de prévention et de traitement. Mais il ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose ». Seuls les praticiens titulaires d’un DIU en échographie et techniques ultrasonores peuvent déclarer cette orientation au Cnom et mentionner “échographie” sur leur plaque. En revanche, aucune formation spécifique n’est exigée pour intégrer l’utilisation d’un échographe dans sa pratique quotidienne.
« La situation est la même pour tous les examens que nous faisons en médecine générale, remarque le Dr Cibois-Honnorat. Le généraliste a toutes les compétences qu’il veut bien obtenir et, à partir du moment où il juge les avoir, il peut pratiquer des actes. Par exemple, je fais des dermatoscopies. De même, je ne suis pas échographiste, mais je fais des échographies pour débrouiller certaines situations difficiles, dans la limite de mes compétences. Hier soir, grâce à cela, j’ai écarté une suspicion de phlébite, mais j’ai adressé la patiente à un angiologue pour une échographie totale de son arbre veineux. »
Le Dr François Simon, président de la section “exercice professionnel” au Conseil national de l’Ordre des médecins va dans le même sens : « Comme dans tous les domaines, ce qui fait la compétence, c’est la formation, mais aussi la pratique, car la compétence ne se maintient que dans la mesure où on l’exerce, et la qualité de l’appareil. Si le généraliste respecte ces trois éléments, il peut utiliser l’échographie dans son exercice quotidien. Cela va lui permettre de structurer son diagnostic et d’avancer. »
Dans la thèse du Dr Many, les généralistes consultés désignent à plusieurs reprises la formation comme élément déclenchant dans l’acquisition d’un échographe. Mais a contrario, pour plus d’un tiers (35,5 %) des praticiens interrogés, l’impératif d’apprentissage est au contraire considéré comme un frein à cette pratique.
Autre facteur limitant, le coût des échographes, même si plusieurs sociétés développent actuellement des appareils à moindre coût. Actuellement, « un bon échographe coûte entre 15 000 et 25 000 euros, estime le Dr Cibois-Honnorat, mais le coût n’est pas un obstacle dans la mesure où l’on peut coter les échographies à partir du moment où elles ont été faites convenablement et où l’on remet un compte rendu et des images. Hier par exemple, une patiente est venue pour une suspicion de colique hépatique. J’ai fait une échographie complète que j’ai cotée. Ainsi, j’ai pu amortir mon échographe, mais je ne lui demande pas d’être rentable. Ce n’est pas mon but ».
Le généraliste a-t-il réellement le droit de coter ses échographies, quelle que soit la formation suivie ? Oui, selon le Cnom, qui précise qu’hormis le cas particulier des échographies obstétricales, un médecin non titulaire du DIU a bien le droit d’établir une cotation. La Cnam ne vérifie pas les diplômes du praticien.
L’absence de cadre juridique précis ouvre toutefois le champ à des interprétations très diverses. Le Dr Roumy, par exemple, ne voit pas les choses du même œil : « L’utilisation d’un échographe en médecine générale se limite à l’échoscopie complétant l’examen clinique, acte non coté, valable uniquement pour quelques questions extrêmement simples. En revanche, pour coter un acte d’imagerie, il faut avoir le DIU, seul diplôme reconnu par le Conseil national de l’Ordre des médecins. Si un médecin cote une échographie abdominale, par exemple, sans avoir le diplôme et sans avoir réalisé un examen complet, c’est préjudiciable pour le patient et risquerait à terme de dévaloriser l’ensemble des actes d’échographie. Le système est en train d’être revu pour harmoniser les pratiques en France, même si actuellement la législation est souple. »
De fait, beaucoup regrettent le manque de cadre clair, pour assurer la qualité des actes mais aussi limiter les coûts pour la collectivité. L’échographie représente le premier poste de dépense en imagerie de ville : 1 303 millions d’euros (soit un tiers des dépenses d’imagerie), en progression de 2,5 % par an depuis 2007. « Les conditions d’utilisation et de tarification de l’échographie méritent particulièrement d’être encadrées et revues à la lumière de son mode de diffusion (les médecins radiologues ne réalisent que la moitié des actes d’échographie facturés à l’Assurance maladie) et de l’évolution de sa place dans le parcours de soins », indiquait un rapport de la Cour des comptes en 2016, qui recommandait notamment de revoir les libellés d’actes pour mieux différencier les tarifs en fonction de la nature et de la complexité de l’examen.
PRATIQUE : Quelle cotation ?
Une échographie ne peut être cotée et remboursée par l’Assurance maladie que si elle est formalisée, de durée suffisante et donne lieu à la remise d’un compte rendu détaillé mentionnant le nom et la date de l’appareil utilisé, accompagné d’images de bonne qualité.
Les cotations varient de 34,97 euros (échographie transcutanée de la glande thyroïde) à 75,60 euros (écho-doppler de l’aorte abdominale, des branches viscérales et des artères iliaques, ou écho-doppler des veines du membre inférieur et des veines iliaques pour la recherche d’une thrombose veineuse profonde) pour les actes réalisables par le médecin généraliste. Ces cotations ne peuvent être cumulées entre elles, ni avec le Cs de la consultation.
« Cela va dans le sens de l’histoire »
Pour le Dr Bourgeois, les pouvoirs publics devraient encourager cet intérêt pour l’échographie, « car cela augmente l’efficience du généraliste et peut contribuer à réduire l’engorgement des urgences ».
Le Dr Simon fait un constat proche. Pour lui, de toute évidence, l’échographie est appelée à se développer, d’autant plus que le prix du matériel s’est effondré en quelques années et que la qualité a augmenté. « Il existe des échographes de qualité tout à fait accessibles, remarque-t-il. Et le fait qu’il soit difficile dans certains endroits d’avoir accès à un rendez-vous échographique rend cet examen plus utile aux généralistes et à ses patients. Cela va dans le sens de l’histoire. Au-delà de la médecine générale, on voit l’échographie arriver dans les formations de certaines spécialités. Les urgentistes, par exemple, l’utilisent au quotidien, y compris sur le terrain ».
« C’est un outil merveilleux, qui nous fait redécouvrir la médecine, conclut le Dr Cibois-Honnorat. Je suis intimement persuadée que dans 10 ans, tous nos internes seront équipés. Pas seulement en raison de la démographie médicale, mais aussi parce que la technique évolue et que nous ne pouvons pas rester des médecins aux mains nues. Mais il faut absolument garder la clinique. Elle est indispensable. »
Des échographes pilotés à distances
Une autre façon de faire entrer l’échographie dans les cabinets de médecine générale mais sans impliquer directement le généraliste, serait d’utiliser la télé-échographie robotisée. Le CHU de Tours est en train de mener une expérimentation dans ce sens. Un échographe muni d’une sonde robotisée va être installé dans une maison de santé de Richelieu. Un médecin expert pilotera le bras robotisé depuis le CHU et analysera les images. Ce type de système a déjà été testé avec succès dans des zones peu médicalisées, en France et dans des pays en voie de développement.
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