L'utilité des traitements symptomatiques de la maladie d'Alzheimer (MA) fait débat. Alors que la Haute Autorité de Santé (HAS) doit procéder à la réévaluation de ces médicaments, la fédération nationale des Centres Mémoire de Ressources et de Recherches (CMRR) a pris les devants.
« Le risque, c'est que le service médical rendu (SMR) soit encore dégradé et que cela justifie un déremboursement, explique le Pr Mathieu Ceccaldi, présidente de la FCMRR et neurologue à Marseille (APHM). La vision de ces médicaments est très péjorative depuis quelques années, et on a même entendu parler de scandale des anti-Alzheimer. On avait la nette impression d'un décalage avec ce qui était fait sur le terrain, d'où notre enquête à 10 questions. L'idée était de préciser l'usage qui en est fait par les spécialistes dans le domaine et de porter ces éléments de terrain à la connaissance de l'autorité de santé ». D'après l'enquête, près de 88 % estiment injustifiée l'image négative qui leur est associée. Deux médecins sur trois estiment que la disparition de ces traitements aurait un effet négatif sur la prise en charge des malades.
Quatre molécules toutes génériquées
L'enquête a été envoyée aux 28 CMRR, qui avaient la charge de la diffuser aux consultations mémoire (CM) de leur région, au nombre de plus de 400 au total sur le territoire. Sur les 433 questionnaires reçus, 428 ont été exploitables. « L'étude étant indirecte, il est difficile d'estimer le nombre de médecins concernés par l'enquête, explique le Pr Ceccaldi. Sans doute1 000-1 500 au total, avec 150-200 médecins temps plein au sein des 28 CMRR. Ce sont des hospitaliers pour l'essentiel, il existe peu de CM ayant le label en libéral ».
Quatre molécules sont actuellement sur le marché, « toutes génériquées depuis 2016 », précise le Pr Ceccaldi, trois inhibiteurs de l'acétylcholinestérase (IAChE) - le donézépil (Aricept), la galantamine (Réminyl), la rivastigmine (Exelon) - et un antagoniste des récepteurs NMDA, la mémantine (Ebixa). Les IAChE ont une AMM dans les formes « légères à modérément sévères », la mémantine dans les formes « modérées à sévères ». La prescription initiale est réservée aux spécialistes.
« Il est important de noter que l'enquête est totalement indépendante, insiste le Pr Ceccaldi. Les prescriptions se font sans influence des laboratoires pharmaceutiques, les molécules sont toutes génériquées et il n'y a plus aucun réseau de visite médicale. On aurait pu imaginer une modification des prescriptions, or ce n'est pas le cas ».
Un effet global, cognitif et comportemental
Dans son dernier avis daté d'octobre 2011, la HAS avait conclu à un SMR faible, soulignant que « l'efficacité est au mieux modeste et de pertinence clinique discutable » et que les effets secondaires « peuvent nécessiter leur arrêt ». Néanmoins, « dans le souci de ne pas priver les patients répondeurs (impossibles à identifier a priori) », la HAS avait estimé l'intérêt thérapeutique « suffisant pour leur prise en charge par la solidarité nationale ».
En pratique, les spécialistes ayant participé à l'enquête, - des gériatres à 67 % et des neurologues à 30 % (psychiatres 2 % et médecins généralistes 1 %) -, disent prescrire régulièrement les traitements symptomatiques, à 94 % pour les IAChE et à 89 % pour la mémantine. « L'effet de ces molécules est mal appréhendé dans les études, estime le Pr Ceccaldi. L'étude met en lumière que les cliniciens évaluent davantage l'efficacité de manière globale que sur des échelles métriques de cognition ou de comportement. Par ailleurs, on a l'impression que ces médicaments agissent davantage sur des indices comportementaux que cognitifs. À l'arrêt des molécules, il y a une recrudescence des troubles du comportement et le risque de placement est plus important. »
Les effets secondaires sont jugés peu fréquents mais connus des spécialistes qui disent en tenir compte dans leur prescription. « On n'a toujours pas de réponse à la question des répondeurs, fait remarquer le neurologue. Certains patients le sont, d'autres non. Ce serait prématuré de tout arrêter. Tous les autres pays européens continuent à proposer ces médicaments. L'effet est certes modeste, mais il n'existe pas encore d'alternative. Les approches non médicamenteuses, qui n'ont pas fait la démonstration de leur efficacité, s'envisagent en complémentarité. En arrêtant ces traitements, on court le risque d'accentuer une démédicalisation, qui aura aussi un effet négatif sur la prise en charge globale ».
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