Les avantages offerts par l'industrie pharmaceutique ont-ils des effets sur la prescription des praticiens ? Des médecins, enseignants-chercheurs et ingénieurs du CHU de Rennes ont entrepris de répondre à cette question en vérifiant s'il existait une association entre les cadeaux des laboratoires aux généralistes français en 2016 et le coût et l'efficacité de leurs prescriptions médicamenteuses.
Il en ressort que les médecins généralistes français qui reçoivent des cadeaux des laboratoires pharmaceutiques ont tendance à faire « des prescriptions plus chères et de moindre qualité », selon leur étude, publiée mercredi dans le British medical journal (BMJ).
Inversement, ceux « qui ne reçoivent aucun avantage de la part de l'industrie pharmaceutique sont associés en moyenne à de meilleurs indicateurs établis par l'Assurance Maladie quant à l'efficacité de leurs prescriptions, et celles-ci coûtent globalement moins cher », concluent ses auteurs.
Pas de lien de cause à effet
Ces résultats ne démontrent pas de lien de cause à effet mais « renforcent l'hypothèse selon laquelle l'industrie pharmaceutique peut influencer les prescriptions des médecins généralistes, et offrent un aperçu sur l'étendue de cette influence », soulignent l'université, le CHU et l'École des hautes études en santé publique (EHESP) dans un communiqué.
« Cette influence, parfois inconsciente chez les médecins, peut conduire à choisir un traitement qui n'est pas optimal, au détriment de la santé du patient et du coût pour la collectivité », ajoutent-ils.
L'étude repose sur le croisement de deux bases de données : la première est le portail Transparence Santé, sur lequel les professionnels de santé doivent déclarer tous leurs liens d'intérêts, et notamment les équipements, repas, frais de transport ou d'hôtel offerts par des entreprises du secteur (laboratoires pharmaceutiques, fabricants de dispositifs médicaux, etc.) à partir d'un montant de 10 euros.
Neuf généralistes sur dix ont reçu au moins un cadeau depuis 2013
Selon cette base, « près de 90 % des médecins généralistes ont déjà reçu au moins un cadeau depuis 2013 », souligne Pierre Frouard, généraliste à Rennes et coordonnateur de l'étude. « C'est la première étude de cette ampleur en France » qui exploite les données de ce portail, souligne Bruno Goupil, premier auteur de l'étude, interrogé par l'AFP.
La seconde base est le Système national des données de santé (SNDS), fusion née en 2017 de deux bases de données préexistantes et qui recense consultations, actes médicaux, prescriptions de médicaments et hospitalisations remboursés en conservant l'anonymat des assurés.
Les auteurs ont passé au crible les prescriptions d'un peu plus de 41 000 médecins généralistes travaillant exclusivement en libéral et les ont classés en six groupes, en fonction du montant des avantages perçus au cours de l'année 2016.
Ils ont ainsi mis en évidence qu'en moyenne, « le groupe de médecins n'ayant reçu aucun avantage (...) est associé à des prescriptions moins coûteuses, plus de prescriptions de génériques par rapport aux mêmes médicaments non génériques » (pour trois types de médicaments), « moins de prescriptions de vasodilatateurs et de benzodiazépine pour des durées longues », dont l'usage est déconseillé par l'Assurance Maladie, « moins de prescriptions de sartans » par rapport à une autre famille de médicaments, recommandés pour leur efficacité similaire avec un moindre coût.
En revanche, « il n'existe pas de différence significative pour la prescription d'aspirine, de génériques d'antidépresseurs ou de génériques d'inhibiteurs de la pompe à protons ».
Plus le montant des avantages est élevé, plus le surcoût augmente
Les auteurs montrent également que plus le montant total des avantages perçus est élevé plus le surcoût moyen par prescription augmente, tout comme le déficit de prescription des versions génériques pour les antibiotiques, les antihypertenseurs et les statines.
« Les firmes pharmaceutiques dépensent énormément d'argent dans la promotion des médicaments (23 % de leur chiffre d’affaires soit plus que pour la recherche) dont les cadeaux ne sont qu'une partie », souligne le Dr Goupil, citant un rapport de la Commission européenne publié en 2009.
« Il semble peu probable que cet argent soit dépensé à perte et les résultats de notre étude concordent avec les études existantes en faveur d'une influence sur les prescriptions », ajoute-t-il.
Dans un communiqué, le Leem dénonce « fermement ce nouveau dénigrement d’une industrie dont la vocation première est d’apporter aux patients des solutions thérapeutiques toujours plus sûres et toujours plus efficaces ». L'organisation souligne également que « les relations de travail entre les médecins et les entreprises du médicament sont indispensables à une meilleure prise en charge des patients » et invite « à abandonner les caricatures ».
(Avec AFP)
[Article mis à jour le 6 novembre à 18 heures]
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