+1566 %... En trois ans, le volume mondial des applications de santé pour smartphone et tablette a été multiplié par seize ! Quinze milliards d’objets connectés recensés complètent le tableau (au moins 80 milliards d’ici à 2020). Plus qu’un effet de mode, c’est une vague qui commence à déferler sur la profession.
La semaine dernière, le conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) a publié un livre blanc très complet sur le sujet. Enthousiastes, mais soucieux de faire le tri, les ordinaux appellent les professionnels à s’approprier objets et « applis ». En janvier, l’association Femme médecin libéral (FML) a consacré son congrès annuel à la santé connectée. Le monde de la santé l’a compris : pas question de rester en retrait d’un phénomène de société.
Les industriels ont pris position. La santé connectée fait figure d’eldorado. Société tricolore pionnière des objets connectés de santé pour le grand public, Withings veut maintenant séduire les professionnels. En collaboration avec deux médecins de l’Hôpital européen Georges Pompidou, l’entreprise vient de fonder un institut de santé chargée d’apporter une caution scientifique à la santé connectée. Une « appli » d’analyse de l’automesure de pression artérielle jugée médicalement fiable vient tout juste de sortir des tuyaux.
Côté pouvoirs publics, l’assurance-maladie expérimente la surveillance du poids d’une soixantaine de patients insuffisants cardiaques avec une balance connectée, dans le cadre du protocole de coopération médecin/infirmier Asalée. Faut-il y voir un signe ? Marisol Touraine vient de se doter d’une conseillère spécialisée sur la e-santé en général, et les objets connectés en particulier.
Opportunité pour la prévention
La diffusion grand public de la santé connectée et l’opération séduction des industriels peuvent-elles influer sur l’opinion des médecins ? D’après les sondeurs, peu de praticiens sont a priori réticents.
L’objet connecté de santé, sous réserve de fiabilité, est perçu comme un atout possible dans le colloque singulier, voire un renfort de l’alliance thérapeutique. 79 % des professionnels jugent que les objets connectés peuvent faciliter la consultation en fournissant une vue synthétique des données du patient, selon le baromètre Odoxa réalisé en janvier. Et 93 % estiment même qu’ils offrent une opportunité pour la prévention des risques sur l’obésité, le diabète et l’hypertension.
Le Dr Claude Leicher partage cet avis. Aficionado du brassard de tension connecté, le président de MG France cite le pèse-bébé ou encore la planche à glisser sous le matelas pour la surveillance des apnéiques du sommeil comme des outils efficaces au suivi des patients.
Réticences de terrain
Mais dans la jungle actuelle, les objets connectés de santé ne font pas consensus. Quelle est la pertinence médicale d’une donnée relevée par le patient ? Quid de la responsabilité du médecin et de l’anonymisation nécessaire des données ? Et le risque de déshumanisation ? Un médecin sur deux s’alarme du respect du secret médical, indique le baromètre Odoxa.
Les remontées de terrain illustrent ces craintes. Dans le cadre de sa thèse soutenue en 2014, le Dr Fanny Cypriani a relevé que 69 % des médecins refusent d’utiliser une « appli » santé dans leur pratique quotidienne (après enquête auprès de plus de 2 300 médecins libéraux alsaciens). Un professionnel sur deux exprime son hostilité et la peur de perdre son temps avec des gadgets sans pertinence médicale (qui relèvent souvent du bien être).
Les expériences étrangères atténuent aussi l’euphorie populaire actuelle. En 2013, une enquête du journal américain « Financial Times » a démontré que les données récoltées par neuf des 20 « applis » grand public les plus populaires avaient été transmises à quelque 70 entreprises, dont des agences de publicité et des banques de données.
Risque-t-on la fracture digitale entre patients et professionnels ? Sans régulation des données recueillies, sans cadre réglementaire strict, les médecins restent méfiants. En France, l’« appli » VITM, qui permet un accompagnement thérapeutique du diabétique, est officiellement reconnue dispositif médical depuis 2013. Aux États-Unis, l’agence du médicament (FDA) a déjà consacré une centaine d’« applis » dispositifs médicaux.
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