Sandrine Lioret, chercheuse Inserm du Centre de recherche épidémiologie et statistique (CRESS)

« Les populations en situation de précarité sont sous-représentées dans les études épidémiologiques »

Par
Publié le 06/05/2019
Article réservé aux abonnés

LE QUOTIDIEN : Qu'est ce qui vous a poussé à vous intéresser à la question de l'alimentation du très jeune enfant et aux inégalités d'accès à une alimentation de qualité ?

Les populations en situation de précarité sont sous-représentées, voire absentes, dans les études épidémiologiques. Les inégalités sociales de santé, et en particulier leur impact sur le risque de surpoids de l'enfant, constituent un problème préoccupant en France : un enfant de moins de 3 ans sur cinq vit dans un foyer en dessous du seuil de pauvreté. En 2015, 4,8 millions de personnes ont sollicité l'aide alimentaire contre 2,8 millions en 2008.

Vous allez évaluer un programme destiné à promouvoir les pratiques alimentaires favorables à la santé chez les enfants de moins de 3 ans issus de milieux défavorisés. Pouvez-vous nous en donner le détail ?

Il s’agit du Programme MALIN mis en œuvre depuis 2012 sur six territoires pilotes, dont plus de 12 000 familles tirées au sort ont déjà bénéficié, avec des taux de satisfaction de plus de 85 %. Celui-ci comprend un volet d'accompagnement nutritionnel lors des « 1 000 premiers jours » de l'enfant. Il n'a pas vocation à être normatif ou prescriptif, mais accompagnatif vis-à-vis de familles dont il faut prendre en compte les contraintes et les spécificités. Ce programme repose sur un certain nombre d'outils - guides alimentaires, site internet tutoriels vidéo- afin de renforcer les connaissances et les compétences des familles sur les pratiques alimentaires.

Le premier volet du programme commence à la naissance de l'enfant, avec un accent mis sur l'allaitement maternel. Ensuite, les familles sont incitées, lors de la phase de diversification alimentaire, à promouvoir la consommation de fruits et de légumes. De plus, ce programme renseigne les mères sur les lieux et les acteurs pouvant leur apporter un soutien à la parentalité sur le territoire, comme les consultantes en lactation ou des animateurs d'ateliers cuisine.

Le 2e volet vise à favoriser l'accès à une alimentation de qualité à faible coût via des paniers de fruits et de légumes en circuits courts et des bons de réduction pour des produits d’alimentation infantile à partir des 6 mois de l’enfant. C'est une alternative moins stigmatisante et plus souple à l'aide alimentaire.

Comment doit se dérouler l'évaluation ? Qui allez-vous recruter dans cet essai contrôlé randomisé ?

Nous allons recruter 800 femmes en situation de vulnérabilité au cours de leur 3em trimestre de grossesse, et les répartir aléatoirement entre un groupe bénéficiant du programme et un groupe contrôle. Dans les 2 groupes, les femmes vont bénéficier de 7 visites de la part d'une diététicienne : une visite prénatale, une autre à la naissance puis 5 autres à 3, 6, 12, 18 et 24 mois. Seul le groupe intervention bénéficiera de tous les outils du programme MALIN, tandis que le groupe contrôle bénéficiera d'une information limitée aux guides du plan national nutrition santé (PNNS).

L'évaluation se basera sur les réponses à des questionnaires et des mesures réalisées par les diététiciennes : poids et taille de l'enfant, durée de l’allaitement, l'âge de la diversification alimentaire et qualité globale de l'alimentation. Nous évaluerons notamment les quantités moyennes de fruits et de légumes consommées ainsi que la prévalence du surpoids à 2 ans.

Pourquoi évaluer maintenant un programme commencé en 2012 ?

Il existe beaucoup d'initiatives de ce genre visant à améliorer les comportements alimentaires, mais elles sont rarement évaluées correctement. Il nous a d'ailleurs fallu plus de 2 ans pour obtenir toutes les autorisations administratives à cause de la qualification juridique floue de ce type de travail.

Cette évaluation reste toutefois indispensable pour valider les hypothèses de théorie sociale cognitive à l'origine de l'élaboration de ce programme, en vue sa généralisation. Selon la littérature, les barrières économiques n'expliquent pas, à elles seules, les inégalités sociales vis-à-vis de l’alimentation. Celles-ci font également intervenir des questions de disponibilité et d'accessibilité à des aliments de bonne qualité nutritionnelle, ainsi que des facteurs socio-culturels, comme les connaissances sur l’alimentation, les croyances et les normes sociales.

Propos recueillis par Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9747