« Après l’assaut de Dammartin, nous n’avons pas observé d’élément pathologique, car la dimension psychologique a été bien anticipée », a déclaré le médecin chef du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) Olivier Dubourg. La tension était pourtant intense pour les hommes du GIGN qui traquaient les frères Kouachi. « Pour la première fois dans ma carrière, j’étais sûr que j’allais gérer des gars au tapis », se souvient-il.
Vécu partagé
Le médecin chef, présent au sein des forces lors de l’assaut, revient sur le dispositif médical : « des infirmiers étaient là avant et pendant l’assaut. Le soir même, il y a eu un debrief collectif et un spécifique pour les chefs de sections ». À distance, un suivi est instauré avec le réseau des psychiatres des hôpitaux des instructions des armées et de la gendarmerie, « pour remettre de l’ordre quand il y a eu un sentiment de perte de maîtrise », en particulier dans un groupe où les valeurs cardinales sont l’affirmation de soi et l’hyper-maîtrise.
L’intégration des soignants au sein des unités est l’une des clefs d’une prise en charge sur mesure. « Les médecins sont connus des militaires : cela permet un suivi informel », explique le Dr Dubourg. Partager le vécu permet en outre d’adapter l’intervention thérapeutique aux représentations du groupe. « La devise des Pompiers de Paris est "jamais surpris". Le traumatisme est la blessure indicible, pour ne pas mettre en faillite le groupe ni être stigmatisé. Le psy doit gagner l’adhérence au soin en étant présent et discret », confirme Matthieu Petitclerc, psychologue à la brigade des sapeurs pompiers de Paris (BSPP).
Sangaris
L’armée française est (re)connue pour sa médicalisation de l’avant. L’État-major des armées peut en outre décider de projeter des psychiatres sur un théâtre opérationnel, lorsque les observations des médecins des forces, les remontées issues des premiers rapatriements, ou l’état des troupes en montrent la pertinence.
Le Pr Franck de Montleau, chef du service de psychiatrie de l’HIA de Percy, est arrivé en République Centrafricaine mi-janvier 2014, après la mort de deux soldats du 8e régime de parachutistes d’infanterie de marine, la nuit du 9 décembre, dans le cadre de l’opération Sangaris.
« La mission était d’emblée centrée sur l’impact individuel et collectif de l’événement éprouvant. Mais on savait que le périmètre allait être plus large » explique le Pr de Montleau. Les soldats étaient confrontés à des conditions très difficiles : violences quotidiennes, villes à feu et à sang, scènes de lynchage par des foules, menace ubiquitaire, sans compter la fatigue opérationnelle provoquée par l’enchaînement des opérations et des conditions de vie rustiques. « La section endeuillée comptait de très nombreux états de stress aigus, résolutifs pour la plupart après quelques jours » dit le Pr de Montleau.
L’activité du psychiatre en opération est diversifiée. Les entretiens individuels permettent d’aborder le vécu sur le terrain, ou toute autre problématique personnelle. « La question du retour arrive très tôt, même si l’opération reste une priorité », note le Pr de Montleau. Au niveau collectif, le defusing, à chaud après un événement à fort risque traumatique, contribue par le recueil de la parole des soldats à sortir du chaos et à retrouver une ambiance plus normalisée.
Effet protecteur du groupe
Le débriefing collectif, plus à distance, coanimé si possible par le médecin des forces, vise notamment à ce que chaque participant se réapproprie l’événement et trouve, par l’effet de la parole, un apaisement. Comme tout acte thérapeutique, il a des contre-indications, par exemple lorsque des tensions parcourent le groupe.
« L’idée n’est pas de livrer une version officielle et fermée de l’événement ; mais que chacun exprime comment il a vécu l’événement. C’est une construction dynamique à plusieurs, à partir d’éléments manquants du puzzle », explique le Pr de Montleau.
Le débriefing permet de surcroît au groupe de retrouver sa cohésion et ses capacités opérationnelles. Il donne lieu à un repérage des personnes les plus fragilisées qui se voient proposer une approche individuelle.
« Les actions de débriefing ne préviennent pas la survenue de troubles psychotraumatiques », affirme le Pr de Montleau. Au-delà de l’apaisement recherché, elles ont surtout pour objectif de faciliter le recours aux soins au retour et de diminuer le retard de la prise en charge. Un enjeu crucial pour les jeunes engagés qui ne restent en moyenne que 5 à 6 ans dans l’institution, ou les anciens combattants dont les troubles se déclareront de façon différée.
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