« NOUS NE SOMMES pas là pour concurrencer les gynécologues », indique Marie-Josée Keller, en jugeant infondées les attaques sur la formation des sages-femmes. La première mission des sages-femmes reste le suivi de la grossesse. « C’est très clair pour nous. La prescription de la contraception et le suivi gynécologique sont des missions complémentaires. Notre objectif n’est pas de remplacer les gynécologues médicaux et les obstétriciens, mais de travailler en toute complémentarité. Nous avons seulement la volonté de contribuer à l’amélioration de la santé des femmes, en particulier celles qui, aujourd’hui, pour diverses raisons, accèdent peu à un suivi médical ».
C’est la loi de Santé publique du 9 août 2004 qui a donné aux sages-femmes le droit de prescrire une contraception dans trois situations précises : les suites de couches, après une IVG ou lors d’une consultation postnatale. La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), votée en 2009, est ensuite venue conforter ce rôle en habilitant les sages-femmes à réaliser des consultations de contraception et de suivi gynécologique de prévention sous réserve qu’elles adressent « la femme à un médecin en cas de situation pathologique. Ces nouvelles missions ont été votées à la demande du ministère de la Santé, devant la situation démographique des gynécologues médicaux et des obstétriciens, mais aussi face au nombre toujours élevé d’IVG dans notre pays », explique Marie-Josée Keller.
Plus de 200 000 IVG annuelles en France.
La présidente de l’Ordre rappelle que, chaque année, on recense plus de 200 000 IVG en France. « Notre pays connaît un taux d’interruptions de grossesse de 15 pour mille femmes en âge de procréer contre 11,2 pour mille en moyenne dans les autres pays européens. Ce qui est surtout préoccupant c’est le taux d’IVG chez les femmes entre 15 et 24 ans. Dans cette tranche d’âge, le taux est de 19,6 pour mille sur l’ensemble du territoire, mais on arrive à 27 pour mille dans certains départements d’outre-mer, 19 pour mille en Ile-de-France et 21 pour mille en région PACA », souligne Marie-Josée Keller.
Selon elle, une des solutions pour faire baisser ce nombre d’IVG est d’élargir l’accès à de très jeunes femmes à l’information et à la contraception. « Dans certains endroits du département de la Seine-Saint-Denis, des sages-femmes font parfois jusqu’à 30 % de consultations de contraception et de suivi gynécologique. Cela dit, les sages-femmes exercent depuis longtemps dans des centres de planification familiale », indique la présidente de l’Ordre.
Depuis le vote de la loi HPST, une bataille, plus ou moins feutrée, oppose les syndicats de gynécologues médicaux et d’obstétriciens aux organisations de sages-femmes. Début avril par exemple, le Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France (Syngof) a pris la parole pour « rappeler les principes fondamentaux du suivi médical des femmes tout au long de leur vie et durant leur grossesse ». Dénonçant la critique « calomnieuse » et « constante de surmédicalisation de la grossesse », le syndicat a remis en cause le dispositif Prado, mis en place par l’assurance-maladie pour favoriser la mise en place de sorties précoces de maternité en contrepartie d’un accompagnement à domicile par des sages-femmes libérales. « La compétence des sages-femmes dans le suivi de la grossesse physiologique ne prête bien sûr à aucune discussion. Il existe en revanche un glissement de la reconnaissance de cette compétence vers une obligation qui serait faite aux femmes de s’adresser exclusivement aux sages-femmes ; les gynécologues médicaux et obstétriciens ont pour vocation de garantir aux femmes les conditions d’un accouchement dans la plus grande sécurité et sérénité. Leur implication humaine et médicale dans le suivi d’une grossesse ne saurait être remise en question », indique le Syngof, qui estime que les sages-femmes n’ont pas toutes les compétences des gynécologues médicaux et des obstétriciens. « Elles, ou ils, comme dans toute l’Europe, n’ont pas eu de formation pour le suivi médical des femmes tout au long de la vie », souligne le syndicat.
Une compétence qui date de 2004.
Cet argument relatif à la formation, qui revient régulièrement de la part des gynécologues, est contesté par Marie-Josée Keller. « Cette compétence est ancienne puisqu’elle date de la loi de 2004. Au départ, les sages-femmes se sont engagées prudemment dans cette nouvelle mission relative à la prescription de la contraception. Mais peu à peu, de plus de collègues se sont investies et ont suivi des formations complémentaires, en particulier des DIU. J’ajoute que notre formation initiale comprend actuellement 450 heures exclusivement consacrées à la gynécologie et à la contraception. Il n’est donc pas possible de laisser dire que les sages-femmes n’ont pas la compétence pour assurer la délivrance de la contraception et du suivi gynécologique », indique la présidente de l’Ordre, en insistant une nouvelle fois sur la volonté de ne pas concurrencer les médecins. « Nous pensons que, dans l’intérêt de la santé des femmes, c’est un progrès qu’elles puissent voir dans un délai relativement rapide une sage-femme plutôt que d’attendre plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous chez un gynécologue. Il n’est pas inutile de rappeler que, selon une enquête faite par la MGEN (Mutuelle générale de l’éducation nationale), une femme sur cinq n’a pas de suivi gynécologique régulier et une femme sur cinq n’a pas fait de frottis dans les cinq ans ou, dans certains cas, n’a même jamais bénéficié de cet examen. Bien entendu, il est évident que le suivi gynécologique réalisé par les sages-femmes reste dans le cadre de la prévention et que, en cas de pathologie détectée, la patiente sera orientée vers un médecin », indique Marie-Josée Keller.
D’après un entretien avec Marie-Josée Keller, présidente de l’Ordre des sages-femmes.
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