L’incidence des leucémies lymphoïdes chroniques (LLC) et lymphomes lymphocytiques est restée stable depuis 2005, autour de 4 500 nouveaux cas par an. Un tiers des patients ne sera jamais traité, faute de symptômes et de diagnostic, tandis que 1 000 en mourront chaque année. Grâce à l’amélioration de la survie, le nombre des patients à traiter a plus que doublé depuis 30 ans : ils étaient, en 2012, 2 700 hommes et 1 800 femmes.
Une explosion des connaissances
L’incidence est multipliée par 6 après 80 ans et elle est nettement plus importante dans les pays occidentaux. Des facteurs génétiques semblent en cause : il n’existe, par exemple, presque aucun cas au Japon, ni chez les Japonais émigrés, et il existe par ailleurs des formes « familiales » avec un excès de risque chez les personnes qui ont plus d’un parent atteint de LLC. Des conditions environnementales sont aussi suspectées (exposition aux pesticides par exemple).
Grâce aux évolutions technologiques de séquençage, la maladie ne cesse d’être mieux comprise depuis 30 ans (1). Alors que son évaluation était clinique avant 1980 (stades Rai et Binet), des marqueurs protéiques ont été découverts, puis des altérations génétiques, leur évolution et, plus récemment, les mécanismes du spectre des mutations et de l’architecture des différents sous-clones de la tumeur. En parallèle, des mécanismes d’altérations de transcription (signatures micro-ARN, épissures) et épigénétiques (profile d’histone, signature de méthylation aberrante, hétérogénéité intra-individuelle du méthylome), sont découverts progressivement depuis les années 2000, révélant une maladie extrêmement hétérogène, complexe et instable.
Ainsi, on sait aujourd’hui que chez un même patient évoluent au fil du temps plusieurs sous clones : typiquement, 3 ou 4 dérivant d’un clone ancestral.
Thérapies ciblées : améliorer le pronostic des rechutes
À partir de ces recherches, plusieurs voies de signalisation et de prolifération ont été identifiées, permettant un développement des thérapeutiques ciblées – dont les premières ont émergé en 2013 – mais aussi des progrès pronostiques. Si une étude cytogénétique doit être pratiquée avant toute mise en traitement, aujourd’hui, l’analyse du génome par NGS reste du domaine de la recherche.
En raison du mauvais pronostic des rechutes, le premier traitement est aujourd’hui celui qui garantit la plus longue rémission. Il associe une chimiothérapie classique à un anticorps de surface (anti-CD20) : RFC chez les patients dits « fit », avec une survie sans progression (SSP) de 55 mois, obinutuzumab (GA101)–chlorambucil (CHL) chez les patients « unfit » (SSP 30 mois) et R-B chez les « ni-ni ».
En rechute, la rémission était, jusqu’à l’autorisation de mise sur le marché des nouvelles molécules ciblant les voies de signalisation, de 14 à 18 mois.
HELIOS : les nouvelles molécules confirment leur place dès la deuxième ligne
Ainsi, les résultats intermédiaires de l’étude de phase III HELIOS, évaluant l’ibrutinib (anti-BTK) versus placebo en situation de rechute, ont été présentés en late breaking abstract (2). L’ajout de l’ibrutinib au protocole standard (R-B sur 6 cycles maximum) a réduit le risque de progression ou de décès de 80 %, conduisant à la levée prématurée du double aveugle de cette étude.
Cette étude a inclus 578 patients jeunes et en bon état général, ayant reçu en médiane deux lignes préalables de traitement, il s’agissait d’une première rechute pour 50 % d’entre eux. Après 6 cycles de chimiothérapie, l’ibrutinib est ensuite poursuivi seul jusqu’à progression ou toxicité. 90 patients (31 %) en progression sous placebo ont reçu l’ibrutinib en cross-over.
À 17,2 mois, la médiane de SSP n’était pas atteinte sous ibrutinib, versus 13,3 mois sous placebo, HR = 0,203, p ‹ 0,0001. L’amélioration est significative dès le quatrième mois de traitement. « Il y a une tendance à l’amélioration de la survie globale mais la différence n’est pas significative car gommée par le cross-over », explique la Dr Marie-Sarah Dilhuydy (Bordeaux).
La tolérance a été similaire dans les deux bras et conforme à ce qui était attendu. En grade 3-4, 50 % de neutropénies environ et 15 % de thrombocytopénies ; l’ibrutinib confirme le risque accru de fibrillations auriculaires et d’événements hémorragiques (3 versus 0,7 %), de fibrillations auriculaires, et 2 % d’hémorragies. 80% des patients, qu’ils soient dans le bras ibrutinib ou dans le bras placebo, ont pu recevoir les 6 cycles de chimiothérapie, montrant ainsi la faisabilité d’une associations de chimiothérapie et de thérapie ciblée.
Tout reste à venir chez les patients naïfs
Au moins une nouvelle molécule sort chaque année, bouleversant le traitement des rechutes. « Après l’idelalisib et l’ibrutinib, qui ont obtenu leur AMM dès la première rechute, sont attendus prochainement les résultats de l’ABT-199 qui cible la voie de l’apoptose (anti-BCL2), du duvelisib, et du TGR-1202 », indique la Dr M.-S. Dilhuydy. Ces molécules peuvent agir à différentes étapes d’une même cascade, comme l’ibrutinib et l’idelalisib, qui bloquent toutes deux la voie de signalisation de la protéine de surface BCR-CD79 – ce qui a pour conséquence de bloquer la prolifération cellulaire, diminuer la protection du micro-environnement tumoral et inhiber le homing des cellules tumorales dans le tissu lymphoïde. D’autres thérapies ciblant des voies de signalisation différentes sont en cours de développement et se pose la question de leur association, pour assurer un double blocage.
Étape suivante, plusieurs études en cours chez les patients naïfs de traitement tenteront de les évaluer dès la première ligne de traitement, avec des protocoles sans chimiothérapie – qui présenteront toutefois toujours des toxicités, mais pas les mêmes. « Nous sommes dans une période où les standards de traitement ne le restent pas longtemps », explique la Dr M.-S. Dilhuydy. Ainsi, chez les patients âgés avec comorbidité, l’essai de phase III ILLUMINATE comparera le standard (mais pas encore disponible en France…) CHL-GA101 sur 6 cycles à un protocole associant ibrutinib et GA101 sur 6 cycles également, puis ibrutinib jusqu’à progression (3).
Un autre essai porté par le groupe français FILO (lire encadré) étudiera cette même association chez les patients sans comorbidité, avec la possibilité d’ajouter de la chimiothérapie en cas d’efficacité insuffisante. Notons que ces molécules sont d’ores et déjà utilisées en première ligne chez les patients présentant une délétion 17p.
Traiter jusqu’à progression
Ces nouvelles molécules sont donc à poursuivre jusqu’à progression ce qui pose un problème majeur financier car les traitements seront sans doute poursuivis plusieurs années mais ne guériront pas les patients (à ce jour, l’allogreffe reste la seule option curative de la LLC). Auparavant, les protocoles étaient limités à un nombre de cycles prédéfinis (lire notre article page 2).
Enfin, la question du traitement des rechutes avec ces nouveaux protocoles reste entière. « Chaque médecin n’a encore rencontré que quelques patients qui ont rechuté – dans une série américaine portant sur une centaine de patients, à 30 mois, 70 % des patients sous ibrutinib sont toujours sous contrôle – il n’y a pas encore d’attitude standard, même si on est tenté d’essayer une autre thérapie ciblant la même voie de signalisation à un endroit différent. Nous allons prochainement colliger nos cas », indique-t-elle.
(1) Gruber and Wu. Semin hematol 2014;51:177-87
(2) ASCO 2015. Abs LBA7005
(3) ibid. Abs TPS7095
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