Michel Winock : "Les partis sont en perdition, ils ne sont pas morts"

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Publié le 06/04/2017
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Décision Santé. L’élection présidentielle 2017 répond-elle à votre définition de l’évènement ? Ce moment est-il si singulier dans l’histoire de la France républicaine ?

Michel Winock. Un événement ne prend son sens, son importance, son retentissement qu’après coup. Selon le vainqueur de 2017, on saura si le paysage politique est bouleversé ou non. Si François Fillon l’emporte, on parlera d’« alternance » régulière ; mais si son épouse, aujourd’hui en examen, et qui ne bénéficiera pas de l’immunité, est condamnée par la Justice, on se trouvera devant une situation inédite : le nouveau président devra-t-il démissionner ? S’il reste, ne risque-t-il pas de déclencher une crise politique profonde ? Si Emmanuel Macron l’emporte, l’importance de l’événement ne sera vraiment perçue qu’au lendemain des législatives : avec quelle majorité gouvernera-t-il ? Et s’il n’existe pas de groupe majoritaire à l’Assemblée, nous entrerons ou rentrerons dans l’ère des coalitions : un rappel fâcheux de la IVe République. À moins que ne soit scellé un contrat de législature entre des groupes différents, mais néanmoins d’accord sur un minimum de projet. Enfin, si c’est Marine Le Pen, ce ne serait plus un événement mais une catastrophe nationale et européenne.

D. S. Vous recensez dans votre ouvrage quatre courants de droite. Le compte est-il bon en 2017 ?

M. W. Oui, mais ces quatre courants peuvent coexister dans une même formation. Il existe toujours une droite libérale (Alain Juppé), une droite conservatrice et catholique (François Fillon) et une droite proche du bonapartisme (Nicolas Sarkozy). C’est évidemment approximatif. La quatrième droite ou extrême droite, elle, que l’on peut aussi qualifier de national-populiste, est chimiquement pure, c’est le Front national.

D. S. Déjà Simone Veil dans un opuscule qui vient d’être réédité appelait à une suppression des partis. Ont-ils encore un avenir dans la France du futur ?

M. W. Les partis sont en perdition, ils ne sont pas morts. La démocratie libérale et parlementaire en a besoin. L’existence de quelques grands partis permet une simplification de la vie politique : sans eux, l’individualisme et le multipartisme se déchaîneraient. Ils ont aussi la mission de faire émerger les dirigeants appelés à gouverner. Le problème d’aujourd’hui est la crise profonde de l’identité des grands partis. La gauche se dit encore « socialiste » alors que le socialisme est enterré depuis longtemps. La droite ne sait plus si elle est gaulliste, néo-gaulliste, libérale ou néo-libérale, européenne ou anti-européenne. Il faudra à chaque parti réinventer sa raison d’être, sa finalité historique et sans doute retrouver un leader. Mais je ne vois pas bien comment notre République démocratique pourrait fonctionner sans les partis. Disons seulement qu’ils ne détiendront plus le monopole de la vie politique.

D. S. Le parti socialiste qui n’a jamais réussi « à se constituer en véritable parti ouvrier ou parti de masse » peut-il encore éviter l’éclatement ?

M. W. Je ne lui souhaite pas : une scission rendrait plus claires les lignes politiques qui départagent la gauche de gouvernement et la gauche de protestation. Je vois assez bien un centre gauche oubliant l’appellation socialiste avec Manuel Valls ; une gauche d’opposition avec Benoît Hamon, et enfin le Front de gauche derrière Mélenchon, drainant les 10 à 12 % de militants et électeurs héritiers du parti communiste. Le PS a trop souffert par le passé des rabibochages sans lendemain, des synthèses de congrès artificielles, d’un flou destiné à garder tout le monde dans la Vieille Maison, ce qui rendait encore plus incertaine la ligne du parti.

D. S. Le nouvel affrontement que vous décrivez entre les souverainistes et les fédéralistes est-il la clé de cette élection ?

M. W. Je préfère dire entre anti- et pro-européens, parce que les pros ne sont pas forcément « fédéralistes ». La formule de la Confédération avec politique et diplomatie communes, économie et fiscalité communes est une autre façon de voir la construction européenne. De même, il y a ceux qui s’en tiennent à l’Europe à 27 et ceux qui prônent des unions plus restreintes, une Europe à géométrie variable et à vitesse de construction variable. Les souverainistes, eux, représentent une tendance très forte, majoritaire peut-être dans l’électorat, et si l’affrontement se réduisait à la question européenne, Mélenchon, Le Pen et Dupont-Aignan seraient en tête. Une fois encore, l’Europe n’est pas au rendez-vous de la campagne. Un seul candidat en répète l’importance, c’est Macron. Mais le débat a peine à s’engager sur cette question pourtant capitale.

 

D. S. Le vote des médecins relève-t-il d’une histoire spécifique ?

M. W. Comme pour tous les corps de métier, les professions et les corporations, la sociologie électorale s’est intéressée au vote des médecins. Au XIXe siècle, ils étaient nettement progressistes car ils avaient à s’imposer souvent contre le magistère catholique ; ils étaient volontiers scientistes et donc de gauche. Mais gare aux généralisations : nous n’avons pas de chiffres sur la question. Au XXe siècle, le gros de la troupe semble être passé dans le camp des conservateurs. Il faudrait distinguer cependant les praticiens hospitaliers, plutôt de gauche, des médecins libéraux, plutôt de droite. Ceux-ci, en 2012, donnaient dans leurs intentions de vote 36 % de leurs voix à Nicolas Sarkozy. Aux législatives suivantes, le vote à droite de leur part s’accentuait : 45 % des intentions de vote pour l’UMP contre 30 % pour le PS. Évidemment, la place de chacun dans la hiérarchie médicale est souvent déterminante.


Source : lequotidiendumedecin.fr