« Tout a démarré avec l’affaire du furosémide », explique Éric Roche, patron de Teva France. En juin 2013, alors qu’elle n’y était pour rien, la filiale française du laboratoire israélien avait été contrainte d’arrêter sa production et de passer au crible 200 000 boîtes de comprimés, suite à l’erreur d’une patiente âgée.
Fort de cette expérience, Teva a lancé un programme de prévention de la iatrogénie des personnes âgées. « 25 % des accidents liés aux médicaments concernent les plus de 65 ans », souligne Éric roche.
Baptisé « Marguerite », ce programme comprend une étude pharmaco-épidémiologique portant sur 1 000 prescriptions relatives à des patients de plus de 65 ans, autonomes et polymédiqués. Réalisée en partenariat avec le service ICAR* du Groupe hospitalier universitaire de la Pitié Salpêtrière, cette enquête vise à « détecter le potentiel d’interactions médicamenteuses des ordonnances des patients âgés polymédiqués ».
Oublis, incompréhensions
L’analyse des 493 premiers dossiers met en évidence plusieurs points à améliorer, rapporte le Pr Gilbert Deray, responsable d’ICAR.
Côté patients, la compréhension élémentaire des traitements et leur prise posent question : 30 % des patients âgés disent ne pas savoir pourquoi sont prescrits leurs médicaments, 59 % sont en quête d’informations sur leurs prescriptions et 88 % prennent et préparent seuls leurs médicaments. 41 % déclarent avoir déjà oublié de prendre un médicament au bon moment et 12 % ne l’ont carrément pas pris, ayant l’impression que celui-ci faisait plus de mal que de bien.
L’attitude des pharmaciens a, elle aussi, été scrutée. Très majoritairement, ils tentent d’informer et d’accompagner : 91 % des officinaux délivrent des conseils récurrents aux patients et 68 % leur signalent les interactions possibles entre médicaments. Mais dans 60 % des cas, faute de fiche de liaison, le type de pathologie n’est pas connu de façon précise par le pharmacien, souligne l’étude qui pointe le risque possible de surdosage. Un tiers des pharmaciens vérifient l’adaptation de la posologie pour la fonction cardiovasculaire, 50 % pour la fonction hépatique.
Interactions contre-indiquées
Quant aux ordonnances elles-mêmes, elles réservent des surprises. L’étude pointe l’association, dans 27 % des cas, et pour un même patient, d’un AINS et d’un antihypertenseur. « Parmi les interactions dont l’analyse est en cours, les plus faciles à identifier concernent l’insuffisance rénale, dont l’incidence est élevée chez le patient âgé », peut-on lire. De fait, 96 % des patients souffrant d’insuffisance rénale ont au moins un médicament nécessitant une adaptation de dose dans leur ordonnance. L’analyse en cours portera sur les interactions médicamenteuses concernant la fonction cardiaque, hépatique et neurologique et selon certains paramètres d’administration.
Le Pr Gilbert Deray ne veut pas noircir le tableau mais invite à la vigilance, en attendant les résultats complets. « Les médecins savent prescrire, même si dans un certain nombre d’ordonnances étudiées, il y a des problèmes d’interaction ou d’adaptation de la posologie ».
Classeur de liaison
Le laboratoire a déjà agi. Un livre blanc recensant 20 recommandations a été établi, et cinq d’entre elles ont été mises en application. Teva a adapté certains de ses conditionnements pour la gamme de génériques (lisibilité des boîtes, visualisation de l’heure de prise et de la durée du traitement par exemple).
Un classeur santé de liaison entre patients et professionnels de santé sera remis aux patients âgés dès septembre dans les pharmacies partenaires. Il permet de ranger dans un conteneur ergonomique ordonnances, résultats d’analyse et courriers des spécialistes.
Côté ordonnances, la réflexion n’est pas achevée. Mais le Pr Deray juge qu’à l’ère du numérique, les documents actuels ne sont plus à la hauteur des enjeux. L’ordonnance ne joue pas assez son rôle de liaison, et reste parfois rédigée de manière manuscrite (un tiers des cas), avec des indications insuffisantes.
Il prédit l’avènement d’ordonnances numérisées, sur lesquelles figureront l’âge et les principales pathologies du patient. Le pharmacien pourrait consulter une base de données et affiner automatiquement la posologie, et déceler les éventuelles interactions médicamenteuses.
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