Plainte ordinale : le traumatisme de l’annonce

Par
Publié le 07/12/2019
CNOM

CNOM
Crédit photo : GARO/PHANIE

Bien qu’elles aboutissent rarement à une condamnation, les plaintes ordinales sont très souvent une source de souffrance et de remise en cause pour les médecins. Une étude réalisée auprès de praticiens d’Isère et de Savoie montre combien l’annonce de cette procédure a pu être traumatisante pour eux.

Un peu plus de 1 200 médecins en moyenne sont concernés chaque année par une plainte ordinale. Et ces praticiens vivent souvent très mal l’annonce de cette remise en cause de leur exercice. C’est ce que révèle une étude* menée par les Drs Sophie Perrin, trésorière du Conseil départemental de l’Ordre des Médecins d’Isère et Jean-Louis Vangi, président du Conseil départemental de l’Ordre des médecins (CDOM) de Savoie. À l’occasion du mémoire final de leur formation de DIU Soigner les Soignants, les deux généralistes ont voulu mesurer l’impact personnel et professionnel d’une plainte ordinale sur les médecins.

Pour cela, ils ont interrogé par téléphone, dans le cadre d’une étude rétrospective et sur la base du volontariat, 40 des 56 médecins ayant reçu une notification ordinale en Isère en 2018 et 15 des 17 médecins de Savoie. Ces praticiens, des hommes dans 60 % des cas, étaient âgés en moyenne de 52 ans (29 à 68 ans) en Isère et de 57 ans (34 à 71 ans) en Savoie. Ces médecins exerçaient majoritairement en libéral (70 %) et les généralistes représentaient 40 % de l’échantillon.

Souvenir précis de la réception du courrier

Dans 76 % des cas, il s’agissait de la première plainte ordinale. Très peu des personnes concernées connaissaient au moment de l’annonce le déroulé d’une telle procédure (37 % en Isère, 33 % en Savoie). Un membre du CDOM a réalisé un appel préalable au courrier dans 65 % des cas en Isère et 86 % en Savoie. Malgré cela, les praticiens concernés gardent tous un souvenir précis du moment de la réception du courrier souvent vécue comme un « traumatisme ».
Interrogés individuellement, les médecins parlent des conséquences physiques et psychiques de la plainte dans la durée : stress, rumination anxieuse, troubles du sommeil. Les termes de « peur », « douleur morale », « honte », « paranoïa » et « méfiance » ont été employés. La plainte a entraîné pour certains une dépression sévère, deux arrêts de travail, une hospitalisation en psychiatrie, la prise d’anxiolytiques et d’antidépresseurs, tandis que deux praticiens ont pris leur retraite, et un autre salarié a démissionné. Des praticiens avancent même avoir eu des idées suicidaires.

Seul un tiers des médecins s’est fait accompagner par un avocat pour la suite des procédures. Aucun n’a fait appel à la commission d’entraide ordinale, aucun n’a contacté la médecine du travail et 15 % ont pu en parler à un confrère traitant. La majorité des médecins a mis en place par la suite des mécanismes de défense. Pour certains, il s’agissait de suivre des guides de bonne pratique, de se donner une obligation de moyen ou un temps de cheminement diagnostique plus long (plus d’examen complémentaires ou d’avis par exemple).
Pour d’autres, la plainte s’est associée par la suite à des conduites d’évitement ou de refus. Les investigateurs notent que 25 % des médecins étaient porteurs de pathologies médicales et/ou psychiatriques.

Mieux préparer à la conciliation

Pour les médecins interrogés, il apparaît que l’annonce d’une plainte pourrait être améliorée. Comment ? En prévenant mieux l’intéressé avant l’envoi du courrier, en mettant en avant les possibilités de protection juridique et en proposant un suivi individualisé… Bref, il serait possible, selon les auteurs, de soulager le confrère et de le préparer à la conciliation, notamment en lui exposant clairement le déroulé de la procédure et en le prévenant des conséquences éventuelles. Il serait également souhaitable de mettre en place des procédures allégées, de faciliter l’accès à des spécialistes du droit médical et de mettre en place un réseau de prévention et de suivi des médecins mis en cause.

* Drs Sophie Perrin et Jean-Louis Vangi, La plainte ordinale, de son annonce à ses conséquences.

Les poursuites en chiffres
• 1 263 médecins concernés chaque année en moyenne entre 2010 et 2017
• 55 % des plaintes émanent d’un patient et 25 % d’un confrère, les autres des employeurs (praticiens salariés) ou de salariés (médecins du travail).
• Dans 50 % des cas, la plainte fait l’objet d’une conciliation au sein des CDOM.
• 9 mois et 23 jours : c’est le délai moyen entre la réception du courrier et le passage en chambre disciplinaire de première instance.
• 400 médecins sont traduits chaque année devant la chambre disciplinaire nationale dans un délai d’un an et 4 mois en 2017 (plus de 2 ans en moyenne sur les 7 dernières années).


Source : lequotidiendumedecin.fr