Au-delà de l’effet placebo

Quinze fois plus de prescriptions d’IPP en 5 ans

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Publié le 19/11/2018
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reflux a detourer

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Crédit photo : PHANIE

« On estime que de 30 à 50 % des nourrissons régurgitent, ce qui n’est pas le reflet d’une par incompétence du sphincter inférieur de l’œsophage, avec hypotonie, mais de relaxations inappropriées de sa part, qui entraînent une remontée passive du contenu gastrique », indique le Dr Marc Bellaïche de l’hôpital Robert-Debré (APHP). En cause, l’inadéquation entre le contenant et le contenu, qui peut être facilement expliquée en rapportant la quantité bue par un nourrisson, 130 ml/kg/j, à ce qu’elle serait chez un adulte de 70 kg : 9 litres quotidiens. Cette explication permet de rassurer les parents, auxquels il faut bien sûr rappeler d’éviter les erreurs diététiques, notamment de donner des quantités trop importantes à un nourrisson ayant un gros appétit.

Globalement, la tolérance des mères aux régurgitations est plus faible que pour les générations passées, sans doute en partie parce qu’elles sont beaucoup moins guidées par leur entourage. « Le pédiatre endosse donc ce rôle, en rappelant que les trois ou quatre premiers mois de la vie sont particuliers, et que le nourrisson n’est pas un adulte en miniature », souligne le Dr Bellaïche.

Des effets secondaires toujours possibles

Pendant des années, les médecins ont prescrit des prokinétiques, qui amélioraient ces reflux, mais les dernières recommandations européennes et mondiales ont souligné le mauvais rapport bénéfices-risques de ces médicaments, qui pour certains ont été retirés du marché.

Les prescripteurs se sont alors tournés vers les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), qui ont une efficacité de 100 % sur les sécrétions acides et sont donc indiqués en cas d’œsophagite. Or, de plus en plus de nourrissons sont étiquetés comme souffrant d’une œsophagite clinique, sur la base de symptômes non spécifiques comme des pleurs, une gêne ou une irritabilité. Et, au fil des ans, de plus en plus sont traités par IPP : une étude de pharmacovigilance européenne a montré que le nombre de prescriptions est multiplié par 15 tous les 5 ans. « On va donc arriver à la situation que l’on a connue avec le cisapride, qui était prescrit à 40 % des nourrissons gardés en crèche il y a une vingtaine d’années », regrette le Dr Bellaïche.

Ce n’est pas sans conséquences, car les IPP sont des médicaments certes bien tolérés, mais qui peuvent entraîner des effets secondaires dans 14 % des cas, notamment une plus grande sensibilité aux infections intestinales et pulmonaires par perte de la barrière acide. Ils peuvent aussi être à l’origine d’une irritabilité, une situation paradoxale puisque l’irritabilité chez le tout-petit est l’un des motifs de prescription. Ils pourraient également favoriser la survenue d’allergies, en particulier alimentaires.

Du bon sens clinique

Il faut donc utiliser les IPP à bon escient, ce qui n’est pas simple à définir compte tenu de l’importance de l’effet placebo dans le reflux, bien mis en évidence dans les études princeps. L’attitude académique, qui consisterait à n’en prescrire qu’en cas d’œsophagite confirmée par une endoscopie, est irréalisable en pratique.

Quelle peut être l’attitude raisonnable ? Pour le Dr Bellaïche, « il n’y a pas de solution bien étayée ». Il estime que seul le bon sens clinique prévaut, et qu’il faut essayer de les réserver aux nourrissons très gênés par les effets délétères du reflux acide : « Un IPP peut être prescrit de façon empirique pour quatre à six semaines dans les reflux compliqués – et non les régurgitations  à condition de l’arrêter progressivement en raison de l’effet rebond. »

Entretien avec le Dr Marc Bellaïche (hôpital Robert-Debré, APHP)

Dr Isabelle Hoppenot
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Source : Bilan Spécialiste