Le 24 mars, le n°8 Bordelais Marco Tauleigne subissait sa 4e commotion de la saison et se voyait privé de tournée avec le XV de France dans l'hémisphère sud.
En janvier dernier, c'est l'ailier de 18 ans de l'AS Clermont Auvergne, Samuel Ezeala qui sortait du terrain après un KO monumental lors de son premier match de top 14… Les blessures des joueurs de rugby professionnels se multiplient, comme le montre la synthèse produite par le Pr Philippe Deck, de la commission médicale de la ligue nationale de rugby. Lors des 186 matchs de Top 14 et de Pro D2 de la saison 2016-2017, ont été recensées 276 sorties définitives sur blessure, soit 98 de plus que lors de la saison 2012-2013. Un total de 903 événements médicaux a été dénombré, soit 4,85 par match, dont 46 % concernaient la tête et le cou. Le nombre de commotions est quant à lui passé de 53 en 2012-2013 (7,09 commotions pour 1 000 joueur-heure : lorsque 1 000 joueurs jouent pendant une heure, 7,09 d’entre eux vont présenter une commotion cérébrale) à 97 en 2016-2017 (13,19 commotions pour 1 000 joueur-heure).
Un chiffre plus inquiétant : 33 % des joueurs commotionnés sont restés sur le terrain, un pourcentage qui se maintient chaque année. La même tendance est observée à l'étranger : en Angleterre, la Fédération anglaise de rugby, l’Association des joueurs et la Ligue anglaise font état d'un taux de blessures de 15,8 commotions pour 1 000 heures de jeu en 2015-2016 à 20,9 pour 1000 heures de jeu en 2016-2017.
C'est pour arrêter cette hécatombe que les commissions médicales de la ligue nationale de rugby (qui gère le secteur professionnel) et de la fédération française de rugby (qui gère le milieu amateur) ont formulé 45 propositions, dont un gros volet médical. Premier objectif : faire connaître le protocole commotion cérébrale jusque dans le monde amateur. Une telle commotion diminue la performance du joueur en quelques heures et augmente le risque de nouvelles blessures. En cas de 2e choc dans les 48h, le joueur est soumis à un effet cumulatif, le « syndrome du 2e impact », avec des conséquences potentiellement graves, voire vitales. D'où la règle : un joueur commotionné doit quitter immédiatement le terrain.
Une décision « pas évidente »
Deux cas de figure peuvent se présenter : des signes évidents (convulsion, crise tonique posturale, perte de connaissance), ou des signes seulement évocateurs (troubles du comportement, de la mémoire, de l’équilibre, de la vue, joueur obnubilé ou « dans le brouillard »). Dans ce dernier cas, une sortie temporaire de 5 minutes est demandée, le temps d'une évaluation neurologique. Cet exercice n'est « pas évident », précise le Dr Thierry Hermerel, président de la fédération française de rugby, « les symptômes ne sont pas évidents. Lors des matchs professionnels, il y a des vidéos dans tous les sens, et on doit prendre une décision importante en 10 secondes. »
Cette évaluation se base sur les 5 questions du score de Maddocks, le test d'équilibre du Tandem et doit, normalement, être faite par un médecin. Dans les faits, « nous nous heurtons à la problématique de la désertification médicale. Il est parfois impossible d'avoir un médecin formé lors de match amateurs », explique le Dr Thierry Hermerel, président de la fédération française de rugby qui regroupe les pratiquants non professionnels.
Pour passer cet obstacle, la ligue et la FFR vont monter un réseau médical labellisé destiné à former médecins généralistes et médecins du sport à la prise en charge de la commotion simple. Des modules spécifiques sur les commotions vont en outre être inclus dans les brevets fédéraux des entraîneurs. Par ailleurs, des solutions de télémédecine et une application d'aide au diagnostic au bord du terrain vont être proposées pour permettre les examens neurologiques à distance.
Carton bleu !
Le rôle des médecins sera aussi renforcé dès l'année prochaine avec la généralisation à l'ensemble des divisions masculines et féminines du carton bleu, déjà expérimenté dans les divisions féminines de fédérale 1 et de Top 8. Délivré par un arbitre ou un entraîneur en cas de suspicion de commotion, il bloque la licence du joueur pendant 10 jours, et jusqu'à ce qu'un avis médical l'autorise à chausser à nouveau les crampons.
Une dernière mesure qui doit renforcer la présence médicale dans les clubs, avec l'obligation de 5 demi-journées médicales par semaine et par club et de 20 demi-journées de kinésithérapie. Une obligation qui pourrait se heurter aux impératifs économiques des clubs : Dans son rapport 2017 la direction nationale d'aide et de contrôle de gestion calculait que la moitié des clubs de Top 14 et de Pro D2 était déficitaire, pour un déficit cumulé de 21,6 millions d'euros (en baisse de 40 % en 4 ans cependant). Toutes ces mesures vont être défendues fin avril par le Dr Bernard Dusfour, président de la commission médicale de la Ligue nationale de rugby, lors d'une rencontre avec le comité directeur de la ligue.