Arrivée prochaine de la témocilline

Une nouvelle alternative aux carbapénèmes

Publié le 30/03/2015

En 10 à 15 ans, la diffusion communautaire des entérobactéries résistantes aux bêtalactamases à spectre élargi (BLSE) a conduit quasiment à un triplement de la consommation de carbapénèmes en France. Et l’émergence d’entérobactéries productrices de carbapénèmases fait craindre l’impasse thérapeutique.

« Pour les entérobactéries ne répondant plus aux carbapénèmes, il ne reste en réserve que quelques molécules anciennes, difficiles à utiliser, telle la colistine. La mise à la disposition, en France dans les prochains mois, d’une carboxypénicilline à spectre étroit, active sur les BLSE – la témocilline – est donc très intéressante en termes d’épargne en carbapénèmes », résume le Pr Rémy Gauzit (CHU Cochin).

Une carboxypénicilline à spectre étroit, active sur les BLSE

La témocilline est un antibiotique de la classe des carboxypénicillines, dérivé 6-α-méthoxylé de la ticarcilline. Médicament orphelin utilisé depuis les années 1980 en Belgique et en Grande Bretagne, elle n’avait pas jusqu’ici d’autorisation de mise sur le marché (AMM) en France.

« Il s’agit d’un antibiotique à spectre très étroit, quasi réduit aux entérobactéries plus quelques autres bactéries gram négatif. Elle n’a pas d’activité sur Pseudomonas spp, Acinetobacters sp,p ni sur Stenotrophomonas maltophilia, impliqués dans certaines infections nocosomiales. Et son utilisation n’entraîne que de faibles modifications de la flore digestive, d’où un impact écologique peu marqué. Alors que les carbapénèmes, à spectre large, ont un impact écologique important, souligne le Pr Gauzit. Par ailleurs, elle n’est pas hydrolysée par les ß-lactamases y compris à spectre élargi (BLSE), ni par les céphalosporinases de type AmpC. Et c’est une caractéristique qui semble rester stable dans le temps, au vu des données actuelles de résistance en Angleterre et en Belgique où elle est utilisée depuis 30 ans ».

Une AMM par reconnaissance mutuelle, à adapter

Sur une demande du laboratoire soutenue par la SPILF, une AMM par reconnaissance mutuelle avec la Belgique a été délivrée en France fin 2014. Le libellé d’AMM français est donc identique à l’AMM belge datant de 30 ans. Permet-elle une utilisation optimale de la témocilline ? « On a deux problèmes. On ne dispose de point de rupture officiel européen (CMI séparant les souches sensibles des résistantes). Et, selon le point de rupture choisi – qui varie de 8 à 32 mg/l dans la littérature – 60 à près de 100 % des entérobactéries BLSE sont sensibles. D’autre part, la posologie maximale de l’AMM, de 2 g/12 heures (2x2 g/24 heures), ne permet pas une activité optimale. Mais des données récentes montrent qu’une administration à 6 g/24 heures, surtout en perfusion continue (plutôt que 2 gx3/24 heures) permet d’atteindre des concentrations plasmatiques élevées stables, compatibles avec un point de rupture à 16 mg/l », explique le Pr Gauzit.

Une alternative de choix dans les infections urinaires BLSE

À l’heure de la diffusion des Escherichia coli BLSE, la témocilline peut constituer une thérapeutique ciblée sur les entérobactéries BLSE. Dans une étude anglaise menée sur 67 infections documentées à BLSE, dans 60 % des cas la témocilline permettait de se passer de carbapénème, avec 100 % de guérison, et dans 10 % des cas, le carbapénème prescrit comme traitement probabiliste, pouvait être relayé par de la témocilline. Mais quelle place lui accorder à l’avenir en France ?

Déjà disponible en autorisation temporaire d’utilisation (ATU) depuis quelques années dans la mucoviscidose, la témocilline devrait passer en commission de transparence en mars. Les indications du libellé d’AMM originale sont les infections urinaires compliquées, les infections respiratoires basses, les bactériémies, et les infections des plaies. Mais il faudra sans doute préciser ces indications. « À la demande de l’ANSM, une étude observationnelle dans les infections urinaires à BLSE va débuter pour confirmer son efficacité à la posologie de 2 g toutes les 8 heures, alors que des données belges très récentes plaident pour une bonne tolérance. Cette molécule, à élimination urinaire, a sans aucun doute une place de choix dans les infections urinaires à BLSE d’autant qu’elles représentent une large part des infections à BLSE, selon le Pr Gauzit.

En revanche, dans les infections graves à BLSE et pour les malades fragiles, en réanimation, des études, en cours, sont encore nécessaires avant de pouvoir la proposer en alternative aux carbapénèmes, qui restent le traitement de référenc».

D’après un entretien avec le Dr Rémy Gauzit (réanimation, CHU Cochin)
Pascale Solère

Source : Bilan spécialiste