Les maladies auto-immunes rhumatismales entraînent une hausse significative de la morbimortalité et affectent considérablement la qualité de vie des patients. Les thérapies conventionnelles et ciblées ont amélioré leur pronostic en réduisant la suractivation du système immunitaire, mais il persiste des situations d’échappement thérapeutique et la rémission peut difficilement se concevoir sans maintien du traitement. C’est ainsi qu’une approche de thérapie génétique et cellulaire appelée CAR-T cells, à l’origine développée en onco-hématologie, a été utilisée dans les maladies auto-immunes. Les cellules CAR-T sont des lymphocytes T autologues génétiquement modifiées à l’aide d’un vecteur viral exprimant un récepteur antigène chimérique. Ces lymphocytes T modifiés ciblent spécifiquement un antigène tumoral (par exemple, l’antigène CD19) exprimé à la surface des lymphocytes B, entraînant la lyse et la destruction des cellules qui l’expriment. À ce jour, les cellules CAR-T CD19 ont permis d’améliorer le pronostic de certaines hémopathies B réfractaires et leucémies lymphoblastiques aiguës, mais avec un coût considérable et au prix d’événements indésirables potentiellement sévères (syndrome de relargage des cytokines chez 8,3 % à 43 % des patients).
Des données encore préliminaires
« Les cellules CAR-T CD19 ont un fort potentiel dans le traitement des maladies auto-immunes rhumatismales, notamment celles dans lesquelles le lymphocyte B est au centre de la physiopathologie, explique le Pr Jérôme Avouac*. Ceci grâce à leur capacité à entraîner une déplétion rapide et profonde des lymphocytes B dans la circulation et les tissus. » Mais le rhumatologue reste prudent : « Elles représentent un espoir réaliste pour le traitement des maladies auto-immunes rhumatismales pour les patients avec des formes sévères et pour lesquels les traitements curatifs actuels sont inefficaces. Néanmoins, pour l’instant, le nombre de patients traités reste limité, dans des séries ouvertes, avec un recrutement effectué majoritairement à partir d’un seul centre situé à Erlangen, en Allemagne. De plus, ces traitements sont très coûteux (environ 400 000 euros l’injection), avec un recul limité (maximum 2 ans dans le lupus) et des alertes de la FDA ont été émises sur des cas de lymphomes de novo, à confirmer. Enfin, les essais académiques sont pour l’heure limités ».
Les CAR-T cells représentent un espoir réaliste pour les patients atteints de maladies auto-immunes rhumatismales sévères et pour lesquels les traitements curatifs actuels sont inefficaces
Pr Jérôme Avouac
De premiers résultats spectaculaires dans le lupus systémique
C’est dans le lupus systémique que les résultats les plus spectaculaires ont été constatés. Cette pathologie se caractérise par la présence d’autoanticorps pathogènes, des lymphocytes B auto-réactifs, ciblés par les biothérapies (type rituximab ou bélimumab) qui ont cependant une efficacité limitée dans les formes sévères. En 2019, une étude a montré que les cellules CAR-T CD19 entraînaient une déplétion durable des lymphocytes B CD19+ dans des modèles murins de lupus, associée à une augmentation de la survie. Une seconde étude chez la souris a constaté une amélioration des symptômes en plus d’une progression de la survie (1, 2). Une série de cas chez l’Homme a depuis été publiée : entre 2022 et 2024, huit patients atteints de lupus systémique sévère et réfractaire ont reçu une injection de CAR-T CD19 (3, 4). Ce traitement a entraîné dans tous les cas une rapide et profonde déplétion des cellules B, maintenue sur plusieurs mois avant une repopulation progressive. Avec, à la clé, une rémission prolongée à la fois clinique et immunologique, sans nécessiter de traitement supplémentaire. En particulier, le score d’activité (SLEDAI) de 0 à 6 mois a diminué drastiquement, ainsi que la protéinurie et les anticorps anti-ADN, qui se sont négativés. « Ce qui est très encourageant est que la rémission est durable, jusqu'à 24 mois, sans rechute, avec sevrage complet des immunosuppresseurs et de la corticothérapie et amélioration de la qualité de vie, souligne le Pr Avouac. De plus, entre 3 et 6 mois, on observe une reconstitution progressive des lymphocytes B majoritairement naïfs, sans lymphocytes B autoréactifs, ce qui soutient l’hypothèse d’un « reset » du système immunitaire. En ce qui concerne les événements indésirables, les syndromes de relargage cytokinique étaient modérés. »
Les CAR-T CD19 ont aussi été testées dans quelques cas de sclérodermie systémique résistante et de myopathies inflammatoires (MI) réfractaires, avec des résultats qui semblent plutôt prometteurs, même si, pour la sclérodermie, « d’autres composants de l’immunité que les lymphocytes B entrent probablement en jeu et, actuellement, aucune rémission n’a été constatée », nuance le Pr Avouac (3, 4, 5, 6).
1. Kansal R et al. Sci Transl Med. 2019 Mar 6;11(482):eaav1648
2. Jin X et al. ll Mol Immunol. 2021 Aug;18(8):1896-1903
3. Mackensen A et al. Nat Med. 2022 Oct;28(10):2124-2132
4. Müller F et al. N Engl J Med. 2024 Feb 22;390(8):687-700
5. Elhai M et al. 2019 Jul;78(7):979-987
6. Merkt W et al. Ann Rheum Dis. 2024 Mar 12;83(4):543-546