Autrefois chasse gardée des secrétariats téléphoniques à distance, le marché de la prise de rendez-vous de santé a pris le virage internet. Une offre pléthorique tente de séduire médecins et patients. Les premiers manquent de temps, les seconds déplorent la difficulté à obtenir un rendez-vous. Baisse du nombre de lapins et du volume d’appels entrants, possibilité de prendre rendez-vous à tout moment : la solution miracle a-t-elle été trouvée ?
Dans les pas de Zocdoc, pionnier américain en la matière, le marché français de la prise de rendez-vous médicaux en ligne a connu une croissance spectaculaire depuis deux ans. Née aux États-Unis, la prise de rendez-vous médical en ligne permet aux médecins de mettre à disposition leur agenda sur internet.
Ses promoteurs mettent en avant le fait que les patients bénéficient d’une meilleure visibilité des créneaux libres. Ils vantent aussi un outil de recherche de médecin par ville et par spécialité qui leur donne la possibilité de prendre rendez-vous en quelques clics seulement, et ce à tout moment.
Ces nouveaux services ont aussi des arguments à même de séduire les médecins. En cas d’annulation d’un rendez-vous, l’agenda est mis à jour en temps réel et permet d’en prévoir un nouveau. Les médecins peuvent ainsi réduire les recours au « surbooking » et les patients se voient proposer des possibilités de rendez-vous dans des délais très courts.
Il s’agit donc de répondre à la fois aux besoins de patients de plus en plus familiers avec le numérique – en avril 2013, un sondage réalisé par TNS-Sofres révélait que 63 % des Français souhaitaient prendre rendez-vous avec leur médecin en ligne – et à la lassitude des médecins face aux lapins réguliers posés par certains de leurs patients (28 millions chaque année selon la CSMF).
L’idée est aussi de rendre plus fluide le « marché » de la prise de rendez-vous : car les patients rencontrent fréquemment des difficultés à joindre leur médecin ou leur secrétariat lorsqu’ils en ont le besoin. Selon un sondage Opinionway, commandé par MG France en 2015, la facilité à convenir d’un rendez-vous avec son médecin traitant est le point le plus important pour les Français dans leur relation avec celui-ci.
Comme souvent, la nouveauté nous vient d'outre-Atlantique. Zocdoc a été en effet le premier à proposer ce service en 2007. Initialement cantonné à la ville de New York – seuls les médecins de Manhattan étaient alors listés – le service s’est développé sur l’ensemble du territoire américain et la start-up s’est installée comme l’une des références mondiales en la matière, sa valeur boursière atteignant il y a peu le cap du 1,8 milliard de dollars ! Autre signe de son importance, elle est considérée comme l’égale d’Airbnb pour le logement ou d’Uber avec lequel Practo, leader indien des rendez-vous de santé sur internet, a récemment conclu un accord pour le transport des patients.
Un marché en pleine croissance
Cette « innovation » est apparue seulement récemment en France où pléthore d’acteurs (Doctolib’, PagesJaunesDoc, Mondocteur, RDVmédicaux, DocAvenue, Keldoc, pour ne citer qu’eux) se disputent désormais un marché en pleine croissance.
Le but n’est pas d’étendre la patientèle.
C’est donc un gain de temps et non de clients qui est visé
Stéphane MONAT
Directeur général de ClicRDV
Et, visiblement, ce marché commence à intéresser le monde de la santé. On estime à 10 000 environ le nombre de professionnels déjà inscrits à l’un de ces sites. Les tarifs tournent autour de la centaine d’euros, nettement moins qu’un secrétariat téléphonique à distance. Et la concurrence est souvent bénéfique aux usagers, le marché des rendez-vous en ligne n’échappant pas à cette règle. Les praticiens abonnés apprécient que la réservation des rendez-vous en ligne 24h/24, 7j/7 diminue la quantité d’appels téléphoniques reçus.
Ainsi, Michel Arnould, généraliste à Villiers-Saint-George (Seine-et-Marne) inscrit sur Doctolib’, confirme avoir constaté un « réel gain de temps » grâce à cette diminution et se réjouit de pouvoir ainsi consacrer plus de temps à ses patients.
D’une pierre deux coups, le temps gagné permet aussi aux médecins de consacrer davantage de temps à des tâches médicales. Ou de mieux tirer profit du travail d’une secrétaire. Comme Victor Ionescu, généraliste à Fontenay-le-Comte (Vendée), qui témoigne : « Je me suis inscrit à Doctolib’ en février 2015, l’épidémie de grippe avait entraîné la saturation totale de mon secrétariat, mon employée ne s’en sortait plus avec tous ces appels pour prendre rendez-vous ».
L’inscription du généraliste vendéen à Doctolib’ avait alors permis à sa secrétaire de souffler, la déchargeant d’une partie des appels, même s’il ajoute que « la diminution est fluctuante ». En effet, les personnes moins familières avec les nouvelles technologies ou les gens à la recherche d’un simple conseil continuent d’appeler. Le téléphone ne cessera donc pas subitement de sonner.
Ce matin, un lapin…
Si l’on en croit les quelques enquêtes sur le sujet, les généralistes figureraient parmi les mieux lotis concernant les rendez-vous non honorés, les délais entre prises de rendez-vous et consultations étant en moyenne assez courts, contrairement à d’autres spécialités. Ce qui, les concernant, relativise sans doute les chiffres annoncés par les différents acteurs du marché vantant la réduction drastique (-75 %) du nombre de lapins. De fait, parmi ceux que nous avons contactés, les médecins les moins confrontés à ces indélicatesses ne constatent d’ailleurs pas vraiment de différence significative.
Ceux plus fréquemment victimes de ces « oublis », sont partagés. Victor Ionescu estime ainsi que le nombre de lapins a été divisé par trois tandis que le Dr Valérie Vincent, généraliste de secteur 2 à Paris, n’a perçu aucun changement significatif et peste toujours contre le manque de civisme de certains, malgré les systèmes de rappel et d’annulation de rendez-vous par SMS ou en ligne.
Si la part d’étourdis devrait un peu baisser, que faire des plus indisciplinés ? Pour lutter contre ces aléas, les médecins peuvent toutefois sanctionner les fautifs en les « blacklistant ». Avec ce type de système, il est effectivement possible pour un médecin d’empêcher un absent récidiviste d’accéder à la prise de rendez-vous en ligne à son cabinet.
Nous nous concentrons principalement sur les spécialités d’entrée de parcours des soins
Thibault LANTHIER
Co-fondateur du site Mondocteur
Une nouvelle catégorie de patients plus pressés
Pas forcément moins oublieux donc, mais néanmoins différents… À en croire Valérie Vincent, un nouveau profil de patients qui « consomment du médecin » a émergé. « On récupère des patients dont le lieu de travail est proche et qui sont intéressés par un créneau en particulier. Ceux-là ne viennent qu’une fois. Cela peut convenir à certains médecins qui remplissent leurs créneaux, mais, nous, ce n‘est pas ce que nous faisons, on ne fait pas de l’abattage ». Elle concède néanmoins que ce n’est pas le cas de tous puisqu’un tiers des nouveaux patients qu’elle accueille grâce à rdvmedicaux.com reviennent plus tard.Reste qu’à l’heure où les médecins doivent de toute façon composer avec des emplois du temps surchargés, la prise de rendez-vous en ligne ne risque-t-elle pas d’alourdir l’agenda avec l’arrivée de nouveaux patients ? Apparemment si, mais dans des proportions réduites, de l’avis des acteurs de ce marché. Stéphane Monat, directeur général de ClicRDV (éditeur de la solution proposée par PagesJaunesDoc), souligne la particularité du secteur de la santé.
Il explique, en substance, que le but n’est pas d’étendre la patientèle, contrairement aux autres secteurs adeptes de la réservation en ligne (restauration, voyage etc.). C’est donc un gain de temps et non de clients qui est généralement visé. Pour lui, la vocation des sites de prises de rendez-vous médicaux est donc, d’une part, de faciliter la tâche des professionnels de santé et, de l’autre, de simplifier le parcours de soins pour les patients.
Je me suis inscrit à Doctolib’ en février 2015. L’épidémie de grippe avait entraîné la saturation totale de mon secrétariat et mon employée ne s’en sortait plus avec tous ces appels pour prendre rendez-vous
Dr Victor IONESCU
Médecin généraliste à Fontenay-le-Comte (Vendée)
Facile et pas cher
À défaut d’hypertrophier les patientèles, ces e-services améliorent pourtant la visibilité des médecins. Des fiches médecins aiguillent les patients dans la quête du médecin qui correspond le mieux à leur situation. Les informations sont variées : spécialités, actes spéciaux pratiqués, parcours universitaire et professionnel, langues parlées… Sans enfreindre l’interdiction de la publicité, les professionnels de santé ont désormais ainsi la possibilité de se différencier de leurs pairs. Les sites veillent également à développer la visibilité sur internet de leurs clients, notamment en améliorant leur référencement.Enfin, les médecins contactés sont unanimes sur la facilité d’utilisation des services proposés. Des difficultés mineures peuvent être rencontrées mais tous s’estiment bien épaulés par leur prestataire respectif. À les en croire, leurs patients semblent également conquis. « Une fois que c’est lancé : tout roule ! », s’exclame Pascal Bousiquier, généraliste parisien inscrit à PagesJaunesDoc.
Malgré cette facilité de prise en main, la prise d’un rendez-vous en ligne chez son médecin ne semble pas être, pour l’instant, devenue un réflexe… Mais, si les médecins encourageaient leurs patients à le faire – ce qui est le cas de ceux que nous avons interrogés –, la donne pourrait alors changer assez prochainement. Évidemment, les acteurs principaux du marché œuvrent en ce sens, prévoyant d’investir encore largement, notamment dans le développement de nouvelles fonctionnalités.
Un autre levier pourrait être la baisse du prix des abonnements. À en croire un observateur du marché, celui-ci pourrait vite être levé, pariant sur une guerre des tarifs imminente entre les e-acteurs du marché. La bataille de la prise de rendez-vous en ligne ne fait que commencer !