Quelles sont actuellement les stratégies de dépistage du cancer colorectal ?
Dr Roger Faroux. Le cancer colorectal est l’une des cibles idéales pour un dépistage efficace. Il s’agit du 3e cancer le plus fréquent, avec près de 43 000 nouveaux cas estimés en 2018. C’est aussi, un cancer grave, le 2e cancer en termes de mortalité (17 000 décès). De plus, sa survenue est précédée par l’apparition d’une lésion adénomateuse précancéreuse, bénigne, accessible à l’exérèse endoscopique et s’il est détecté à un stade précoce asymptomatique, le taux de survie est élevé : 90 % à 5 ans.
Dans l’optique d’un DO, la population a été répartie en trois groupes de risque de cancer colorectal.
Les patients à risque très élevé (cumulé vie entière de 40 à 100 %), c’est-à-dire ceux souffrant de formes familiales (syndrome de Lynch, polypose adénomateuse familiale), relèvent d’une consultation d’oncogénétique et d’une surveillance par coloscopie.
Les patients à risque élevé (cumulé vie entière 4 à 10 %) sont ceux ayant des antécédents personnels de cancer colorectal, d’adénome et de MICI qui relèvent d’un suivi par coloscopie, mais aussi ceux ayant des antécédents familiaux. Pour ces derniers, les recommandations de dépistage ne sont pas claires, non consensuelles et donc mal suivies (moins de 50 % ont un suivi endoscopique).
Enfin, la population à risque moyen (risque cumulé vie entière de 3 à 4 %) est celle des plus de 50 ans, asymptomatiques et sans notion de risque particulier. C’est à cette population que s’adresse le programme de DO de cancer colorectal (DOCCR). Tous les deux ans, les personnes de 50 à 74 ans, sans antécédents familiaux ou personnels à risque sont invitées à consulter leur médecin traitant pour se faire remettre un kit de dépistage.
Depuis 2015, un test immunologique (FIT) plus simple et plus performant que le test au gaïac est disponible.
Quel est le bilan du dépistage organisé ?
Le taux de participation au DO est très faible. Il était de 34 % en 2016-2017 et de 32 % en 2017-2018, avec une grande disparité régionale (14 à 56 %). Les régions les plus performantes se situent à l’est (Alsace, notamment). La France est à la traîne de l’Europe.
Le taux de participation est de 70 % en Hollande, pays nordique et de 55 % en Lombardie, pays latin. D’après les recommandations européennes pour que la stratégie de dépistage soit efficace, il faudrait avoir un taux de participation supérieur à 45 %. Une récente étude américaine (1) a bien confirmé que plus le taux de participation à un DO était élevé et plus l’incidence du cancer colorectal ainsi que sa mortalité étaient réduites. Dans cette étude, le taux de participation à un dépistage par FIT et par coloscopie (ratio 40/60) est passé de 39 % à 82 % entre 2000 et 2015 et cette augmentation est associée à une réduction de 25,5 % de l’incidence du cancer colorectal et de 52,4 % de la mortalité.
Comment expliquer ce bilan décevant ?
Plusieurs raisons sont invoquées, en dehors des réticences propres au patient à manipuler ses selles. Tout d’abord, le kit est remis lors d’une consultation. Or, de nombreuses personnes ne consultent pas (jeunes en bonne santé) ou ont des difficultés pour le faire (déserts médicaux), ou un médecin traitant ne préconisant pas le dépistage (surchargé, pas convaincu…). Plusieurs études ont montré qu’en France, il fallait la conjonction du médecin traitant et de l’envoi postal du test pour obtenir une participation suffisante.
Quelles seraient les pistes d’amélioration ?
L’envoi du test au domicile dès la première invitation est une première piste. La remise du test par les pharmaciens en est une autre, mais le rôle du médecin traitant reste essentiel. Une étude a montré que transmettre au médecin traitant la liste de ses patients non dépistés augmentait le taux de participation. Le FIT quantitatif a une très grande sensibilité. Un taux d’hémoglobine indétectable, inférieur à 50 ng/ml (soit 10 µg/g) permet d’éliminer de façon quasi absolue l’hypothèse d’un cancer colorectal. L’envoi du test à domicile pour les personnes à risque et à risque moyen, accompagné d’un autoquestionnaire, pourrait permettre, en faisant varier le seuil de positivité du FIT, d’augmenter les taux de participation et d’intégrer les personnes à risque élevé dans le DOCCR. L’important est de dépister, quelle que soit la méthode, test immunologique ou coloscopie.
(1) Levin TR et al. Effects of organized colorectal cancer screening on cancer incidence and mortality in a large community- based population. Gastroenterology 2018;155:1383-91.