Nouvelle opportunité de sevrage ou prise de risque mal évaluée ? Alors que les données publiées à l’occasion de la journée mondiale sans tabac confirment le recul du tabagisme et l’engouement des Français pour la cigarette électronique, de nombreuses questions se posent encore sur le bénéfice-risque du vapotage.
Lentement mais sûrement, la France bouge en matière de tabagisme… En témoignent les données du baromètre annuel de Santé publique France publiées lors de la journée mondiale sans tabac du 31 mai : non seulement le nombre de fumeurs continue de reculer (cf. encadré), mais en parallèle les pratiques évoluent. Avec une diminution des quantités journalières fumées et un recours croissant à l’e-cigarette. En 2018, 34,7 % des 18-75 ans l’avaient déjà essayée (contre 32,8 % en 2017) et près de 4 % l’utilisaient quotidiennement versus 2,7 % l’année d’avant.
Faut-il se réjouir de cet engouement ou s’en inquiéter ? Le sujet fait encore débat. Outre Manche, scientifiques et autorités sanitaires ont choisi d’encourager le mouvement, y voyant une nouvelle opportunité de sevrage et un moindre mal par rapport au tabac. En France, le Haut conseil de la santé publique a estimé en 2016 que l’e-cigarette pouvait constituer une aide pour arrêter ou réduire sa consommation de tabac. Mais la tendance reste à la prudence, faute de données suffisantes quant au bénéfice/risque du vapotage.
Vapotage n’est pas sevrage
Concernant l’utilisation de la cigarette électronique dans une optique de sevrage, si de nombreuses études observationnelles se sont penchées sur la question – avec des résultats très discordants –, « on ne dispose que de deux essais randomisés sur le sujet », souligne le Dr Ivan Berlin (tabacologue, CHU Pitié Salpêtrière, Paris).
Publié dans le Lancet en 2013, le premier est négatif : comparé à un patch nicotinique (et à un placebo), la vape ne fait pas mieux, avec à peine 7 % des candidats au sevrage ayant réussi à transformer l’essai. Paru début 2019 dans le NEJM, le second travail est plus encourageant et suggère que la cigarette électronique serait presque deux fois plus efficace que les substituts nicotiniques pour arrêter de fumer, avec des taux d’abstinence de 18 % à un an.
« Le problème, c’est qu’il s’agit d’une étude en ouvert et que la comparaison avec les substituts nicotiniques n’est pas valable dans la mesure où ceux-ci étaient en fait très peu utilisés », nuance le Dr Berlin. De plus, elle concernait des cigarettes électroniques de seconde génération qui ont depuis cédé la place à des dispositifs plus évolués permettant de moduler la quantité de nicotine inhalée. Autre bémol : dans ce travail, les fumeurs qui arrêtent grâce à l’e-cigarette ont tendance à y rester accros alors que les utilisateurs de substituts nicotiniques sevrés tendent à les abandonner assez vite. Or, une analyse récente de la cohorte française Constances, qui suit 200 000 volontaires, suggère que les ex-fumeurs utilisant la cigarette électronique ont une plus forte probabilité de refumer que les autres. Enfin, « les conclusions sont probablement valables pour les fumeurs dépendants cherchant de l'aide, mais pas pour ceux moins dépendants ni ceux qui essaient la cigarette électronique pour d’autres raisons », tempèrent les auteurs.
Un point non négligeable, alors que « dans près de 80 % des cas, les fumeurs qui utilisent la cigarette électronique réduisent leur consommation tabagique mais ne l’arrêtent pas, avec le maintien d’un usage double », indique Ivan Berlin. Or, s’il semble logique d’espérer alléger sa facture santé en diminuant le tabac, les données récentes de la littérature montrent qu’il n’en est quasiment rien, une seule cigarette/j contribuant à près de la moitié du risque attribuable à 20 cigarettes quotidiennes. De son côté, « le vapotage introduit de nouveaux facteurs de risque,si on considère la présence de produits pharmacologiquement actifs comme le glycérol, le propylène glycol ou d'arômes ».
Pourtant, à défaut de considérer l'e-cigarette comme un médicament, rien n’oblige les fabricants à fournir des données de sécurité et pour le moment, le profil de risque reste flou. En France, la loi de santé de 2016 avait pourtant délégué à l’Anses la “vapovigilance”, mais le texte est resté lettre morte pour le moment.
Hormis des accidents aigus (brûlure, ingestion de liquide, etc.), un rapport de l’Académie des sciences américaine très exhaustif ne retrouve pas d’argument en faveur d’effets indésirables graves. Et globalement, tout le monde s’accorde sur le fait que l’e-cigarette ne peut être que moins nocive que la cigarette classique. Mais concrètement, « on ne sait pas grand-chose », estime le Dr Berlin, qui invite à « quantifier plutôt que spéculer ». Tout en reconnaissant que malgré un très large usage, « il n'y a pas pour le moment de signal inquiétant ».
Focus sur la BPCO
“Le tabac et la santé pulmonaire” : c’est autour de ce thème que s’est déroulée cette année la journée mondiale sans tabac. L’occasion de revenir sur le poids de la BPCO en France, qui fait chaque année plus de 18 000 morts. Or, seul 1 Français sur 5 connaît cette maladie et parmi eux, seul 1 sur 3 pointe le tabac comme cause principale. Face à cette méconnaissance, le ministère de la Santé, Santé publique France et l’Assurance maladie lancent une campagne radio de sensibilisation qui durera jusqu’au 26 juin.
1er essai en double aveugle
Afin d’y voir plus clair, l’AP-HP a lancé en octobre une première étude en double aveugle. Coordonnée par le Dr Berlin, elle inclura 650 candidats au sevrage et comparera l’efficacité et la tolérance de la cigarette électronique à celle de la varénicline. Les résultats sont attendus d’ici quatre ans environ.
D’ores et déjà une chose est sûre : le vapotage « est clairement une façon de débuter sa carrière tabagique », insiste Ivan Berlin. Selon une méta-analyse récente, vapoter à l’adolescence multiplierait par trois le risque de devenir fumeur. L’arrivée de la Juul risque de ne pas arranger les choses. Aux États-Unis, cette cigarette électronique aux allures de clé USB fait un tabac auprès des jeunes et « au lieu d’avoir 5 % d’adolescents fumeurs, il y en a maintenant 41 % qui utilisent la Juul ».
1,6 million de fumeurs en moins en 2 ans
Après la baisse historique du nombre de fumeurs (- 1 million) enregistrée entre 2016 et 2017, le baromètre annuel de Santé publique France objective un nouveau recul, avec 600 000 consommateurs réguliers en moins entre 2017 et 2018. Sur cette période, la prévalence du tabagisme quotidien est passée de 26,9 % à 25,4 %. Augmentation régulière des prix du tabac, paquet neutre, remboursement des substituts nicotiniques ou encore mois sans tabac : pour Santé publique France, « ces bons résultats traduisent l’impact d’une politique publique cohérente, déterminée et de ses nombreuses mesures ».
Pour autant, la France garde un taux de tabagisme quotidien très élevé en comparaison à d’autres pays de même niveau économique (16 % de fumeurs en 2016 en Grande-Bretagne). Autre bémol, même si elles se stabilisent, les inégalités sociales restent très marquées, avec une prévalence du tabagisme quotidien maximale parmi les chômeurs (39,9 %).