La question sera posée au congrès 2022 de la SFD, lors d’une session : « Rétinopathie et analogues du GLP1, y a-t-il un risque ? ». Question d’importance compte tenu de l’enjeu et de l’utilisation de plus en plus répandue et recommandée [lire aussi p. XX] de ces molécules chez certains patients diabétiques de type 2 (DT2). Le sujet est en réalité plus large, et des réponses précises et pratiques doivent être apportées.
Un phénomène déjà observé dans le diabète de type 1
Premier aspect du problème : le contrôle glycémique, strict et rapide, par tous moyens, peut-il entraîner une aggravation précoce d’une rétinopathie diabétique (RD) ? La réponse est bien connue depuis le début des années 1980, lorsque furent publiées de petites séries de patients diabétiques de type 1 (DT1), les premiers à avoir bénéficié d’une pompe à insuline, et dont les glycémies en furent rapidement améliorées. Plusieurs présentèrent une détérioration de leur fond d’œil (FO) — donc une aggravation de la RD : dès 3 à 6 mois sous pompe, des RD non proliférantes, de modérées à sévères, ont rapidement progressé vers des formes proliférantes florides, et certaines ont persisté au-delà (1).
L’étude DCCT (Diabetes control and complications trial research group), publiée en 1998, qui a porté sur de larges cohortes de patients DT1, a confirmé ce phénomène et alerté quant à ce risque d’aggravation précoce de la RD en situation de contrôle glycémique intensifié, que ce soit en présence ou non d’anomalies rétiniennes antérieures au FO (2). Évidemment, cela ne doit pas occulter l’enseignement premier de ce travail, à savoir que le contrôle glycémique plus strict réduit les microangiopathies… et donc aussi la RD. Cela fut confirmé lors du suivi ultérieur, Edic, sur une vingtaine d’années, qui a montré que le contrôle glycémique initial plus strict réduit de 76 % le risque de développer une RD et de 54 % celui de voir progresser la RD — à l’origine du concept de mémoire glycémique. Cependant, le DCCT avait exclu les DT1 ayant une RD proliférante.
Un risque lié à une baisse brutale dans un contexte peu équilibré
Qu’en est-il pour le DT2 ? Avant Sustain-6 qui vient de relancer le débat, six études avaient rapporté des cas d’aggravation rapide de la RD après intensification thérapeutique, surtout lors du passage à l’insuline après échec des antidiabétiques oraux (ADOs).
Une petite étude rétrospective rapportait, en 2013, qu’à contrôle glycémique atteint égal (HbA1c autour de 8 %), les patients qui avaient précédemment un fort déséquilibre glycémique et dont l’HbA1c avait baissé de 4 % en valeur absolue, avaient eu 25 % de plus de progression de la RD vers des formes plus sévères. D’autres études portant sur de larges cohortes de DT2 n’ont pas confirmé ces données, mais la baisse de l’HbA1c y était moindre, toujours inférieure ou égale à 2 % en valeur absolue.
L’étude UKPDS, quant à elle, n’avait pas retenu de progression de la RD dans le groupe intensifié, mais les patients DT2 inclus étaient majoritairement de diagnostic très récent, avec une HbA1c initiale peu élevée et rarement porteurs de RD. De même, aucune aggravation de la RD n’a été notée dans de larges séries comme Accord, Advance, VADT.
D’autres circonstances conduisant à une baisse radicale de l’HbA1c se sont vues accompagnées d’aggravation précoce de la RD, comme à la suite d’une chirurgie bariatrique (3), d’une transplantation de pancréas, durant certaines grossesses chez des femmes diabétiques et parfois après mise à l’insuline de patients DT2. Le point commun à ces situations étant une quasi-normalisation très rapide de l’HbA1c, en partant de niveaux de départ très élevés chez des diabétiques particulièrement mal équilibrés jusqu’alors.
Pas d’effet classe
Pour revenir à la question initiale posée : les agonistes du récepteur du GLP-1 (arGLP1) exposent-ils à un surrisque « spécifique » de RD, que ce soit par effet classe ou pour les plus puissants en termes d’effets glycémiques, comme le semaglutide ? Ce sont les résultats de l’essai Sustain-6 qui ont ouvert ce débat (4). Cet essai, d’une durée de deux ans, a évalué les effets cardiovasculaires (CV) du semaglutide vs placebo dans le DT2. Il y a été constaté une augmentation significative du risque de RD — hémorragie du vitré, cécité ou conditions nécessitant un traitement intravitréen ou une photocoagulation : RR = 1,76 ; IC95 [1,11 - 2,78] ; p = 0,02, par rapport au placebo. Cinq autres essais Sustain (1 à 5) et un essai japonais portant sur le semaglutide avaient précédé, sans signal d’alerte rétinien.
La majorité de l’effet rétinien enregistré dans Sustain-6 sous semaglutide peut être rattaché à l’ampleur et à la rapidité de la réduction de l’HbA1c au cours des 16 premières semaines de traitement, chez les patients porteurs antérieurement d’une RD, avec un mauvais contrôle glycémique initial et souvent aussi traités par insuline.
On peut constater que le risque d’aggraver une RD sous différents analogues du GLP1 est directement lié à l’amplitude de la baisse de l’HbA1c (voir figure ci-XX). Une analyse des données de vraie vie aux États-Unis concluait de façon rassurante quant à la responsabilité des médicaments de la classe des incrétines (5, 6). Il ne semble donc pas exister d’effet délétère propre aux arGLP1.
Une vigilance en clinique
Mais, en pratique, que ces données sur le non-effet de la classe soient « rassurantes » importe peu, puisque le risque existe : une mise en garde des praticiens s’impose, devant l’envolée des prescriptions de la classe des arGLP1, réalisées surtout par les non-diabétologues (MG, cardiologues, etc..). Si toute forme d’intensification thérapeutique forte et rapide doit inciter à la vigilance, cela concerne plus particulièrement ces molécules, du fait à la fois de leur puissance glycémique, unique parmi les ADOs, et qu’elles sont prescrites essentiellement sans l’avis du diabétologue.
Tout praticien doit connaître et anticiper ce risque rétinien lors de l’initiation d’un traitement par un arGLP1, chez un sujet avec DT2 mal contrôlé sous ADOs voire sous insuline. Il concernerait de 10 à 20 % de ces patients, essentiellement ceux ayant une RD ischémique et préproliférante, un diabète de longue durée et mal ou très mal contrôlé jusque-là… Autant de critères qui correspondent à ceux qui font recommander les analogues du arGLP1 à des fins de prévention CV (que ce soit selon l’ADA-EASD, l’ESC ou la SFD).
Un examen rétinien (FO) doit être effectué chez tout patient répondant à ces critères avant intensification thérapeutique. Et une photocoagulation rétinienne peut être décidée avant certains renforcements thérapeutiques (arGLP1, chirurgie bariatrique ou métabolique, grossesse). Puis une surveillance du FO trimestrielle durant l’année qui suit est nécessaire chez les patients à haut risque de dégradation rapide du statut rétinien. Un suivi plus espacé (tous les 6 mois) est utile lorsque le diabète est récent et sans RD ou avec RD minime.
Ces précautions seront d’autant plus utiles demain, avec le double agoniste GIP-GLP1 (le tirzepatide, [lire aussi p. XX]), dont les effets glycémiques sont encore plus puissants ! À noter enfin, les neuropathies diabétiques peuvent aussi s’aggraver après renforcement du contrôle glycémique rapide et intensif (forme hyperalgique), en présence d’une neuropathie initialement peu sévère. La même discussion a aussi été abordée quant à une dégradation possible de la néphropathie diabétique.
Exergue : Les praticiens doivent connaître et anticiper ce risque rétinien
Professeur Émérite, Université Grenoble-Alpes (1) E van Ballegooie et al. Diabetes Care 1984;7(3):236-42 (2) DCCT. Arch Ophthalmol 1998;116(7):874-86 (3) Yu CW et al. The Am J Ophthalmol. 2021;225:117-27 (4) Marso SP et al.N Engl J Med 2016; 375:1834-44 (5) Wang T. Diabetes Care 2018;41:1998-2009 (6) Feldman-Billard S. Diabetes Care. 2019;42:e8