La leucémie lymphoïde chronique (LLC) est définie par l’accumulation dans le sang et les organes hématopoïétiques (moelle osseuse, ganglions, ganglions rate, foie) de petits lymphocytes B d’aspect mature. Il s’agit de la plus fréquente des leucémies de l’adulte observées dans les pays occidentaux. Elle est rare avant 50 ans.
On compte un peu plus de 3 200 nouveaux cas en 2005 (1). L’incidence augmente avec l’âge (figure 1). L’âge moyen au diagnostic est de 70 ans pour les hommes et 72 ans pour les femmes. Elle touche près de deux fois plus souvent l’homme que la femme.
QUAND ÉVOQUER LE DIAGNOSTIC ?
La présence d’une lymphocytose › 4 x 109/l à deux NFS espacées de quelques semaines est nécessaire au diagnostic.
Dans 80 % des cas, cette hyperlymphocytose est de découverte fortuite.
Dans 20 % des cas, la maladie se manifeste d’emblée par des signes d’infiltration tumorale :
– des adénopathies multiples superficielles généralement symétriques, indolores et de taille variable (parfois volumineuses) ;
– accompagnée parfois d’une splénomégalie et/ou d’une hépatomégalie ;
– des signes d’insuffisance médullaire (anémie avec une hémoglobine < 10 g/100 ml, une thrombopénie avec un taux de plaquettes < 100 g/l) ;
C’est parfois une complication infectieuse liée au déficit immunitaire induit par l’hémopathie qui représente l’élément révélateur.
LA CONFIRMATION DIAGNOSTIQUE
L’hyperlymphocytose (› 4 x 109/l) persistante au-delà de trois mois et la présence de marqueurs de surface au phénotypage des lymphocytes B sont nécessaires et suffisants pour porter le diagnostic de LLC.
- L’aspect morphologique des lymphocytes de la LLC est celui de lymphocytes matures, d’aspect proche des lymphocytes normaux, avec moins de 10 % d’allure atypique.
La lymphocytose peut atteindre des valeurs élevées ( > 100 g/l) sans qu’il s’agisse d’un critère péjoratif ou d’un facteur exposant à une complication.
- L’immunophénotypage des lymphocytes sanguins par cytométrie de flux permet d’affirmer le caractère monoclonal de la prolifération et aussi de la différencier des autres hémopathies lymphoïdes. Il est réalisé par un double marquage des cellules CD19 ou CD 20 avec cinq marqueurs spécifiques (expression de la molécule CD5, taux faible d’immunoglobuline de membrane monotypique, expression de la molécule CD23, expression faible de la molécule CD79b, absence d’expression de FMC7).
Un score sur cinq points, dénommé score de Matutes (2), est calculé en fonction de la mise en évidence ou non des différents marqueurs membranaires.
Le phénotypage doit être rendu avec une interprétation par le laboratoire. Un score supérieur ou égal à 4 affirme le diagnostic de LLC.
- La réalisation d’un myélogramme, d’une biopsie ostéomédullaire et/ou d’une biopsie ganglionnaire est inutile au diagnostic.
- À la différence des leucémies aiguës, le diagnostic de LLC ne représente pas une urgence. Les rares urgences sont liées à la survenue de complications, en premier lieu les infections et l’anémie hémolytique auto-immune.
ÉVALUATION PRONOSTIQUE ET INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES
Classification clinique
La décision de traiter ou non et comment traiter reste basée sur l’évaluation clinique et la classification clinique de Binet (Tableau 1) garde toute son actualité en France (7).
Elle distingue trois stades. Pour la majorité des patients, le diagnostic est posé au stade A. Cette classification ne prend pas en compte les aires lymphoïdes profondes (Figure 2).
L’apport des nouveaux critères biologiques (3)
Parmi les nombreux critères biologiques désormais disponibles qui affinent la portée de la classification de Binet, le critère le plus défavorable aujourd’hui est la délétion du bras court du chromosome 17. Son incidence, d’environ 5 % au diagnostic, augmente après traitement. Elle est à l’origine d’une résistance aux analogues des purines et sa mise en évidence signe un pronostic extrêmement sombre. En revanche, la délétion du bras long du chromosome 13 est de bon pronostic.
De nombreux autres marqueurs pronostiques existent mais ils n’ont qu’une valeur indictive et ne doivent pas être utilisés hors protocoles. Les marqueurs de prolifération (comme le temps de doublement des lymphocytes ou le dosage de la thymidine kinase sérique) sont des examens simples témoins d’un risque évolutif chez les patients en stade A.
LES COMPLICATIONS DE LA LLC
« Elles sont autant le fait des traitements que de la maladie elle-même », explique le Pr Ajchenbaum-Cymbalista (lire infra). C’est le médecin traitant qui les dépiste, les prend en charge, informe très vite le correspondant hématologue pour une décision concertée ; quitte à hospitaliser le patient pour leur prise en charge.
Des signes généraux comme une fatigue anormale, des sueurs nocturnes, une perte de poids, une fièvre, un essoufflement doivent attirer l’attention car ils sont le signe soit d’une évolution, soit d’une complication.
Le déficit immunitaire
Des infections vont émailler régulièrement l’évolution de la maladie. Elles sont favorisées par les chimiothérapies, mais elles peuvent aussi survenir spontanément du fait du déficit immunitaire provoqué par l’hémopathie. Une hypogammaglobulinémie, secondaire au déficit immunitaire humoral, est observée chez 50 à 60 % des patients.
Elle expose à des complications infectieuses bactériennes à germes encapsulés (pneumocoque par exemple) se traduisant par des pneumopathies ou des infections ORL à répétition (4).
Les cytopénies
L’anémie peut répondre à plusieurs mécanismes :
– l’envahissement médullaire se traduit par une anémie arégénérative ;
– l’anémie hémolytique auto-immune (AHAI) qui peut émailler l’évolution d’une LLC, doit être traitée avec des corticoïdes en première intention en milieu hospitalier. Cette anémie est régénérative ; elle s’accompagne de signes biologiques d’hyperhémolyse (haptoglobine abaissée, augmentation des LDH et de la bilirubine libre). Le test de Coombs direct est en général positif. Elle peut être très sévère, et poser de gros problèmes thérapeutiques et engager le pronostic vital. Après un épisode d’AHAI, les récidives sont souvent corticorésistantes.
– l’érythroblastopénie d’origine soit immunologique, soit liée plus rarement à une infection par le parvovirus B19. Le diagnostic est suspecté devant une hémolyse avec réticulocytose effondrée et doit être confirmé par un bilan médullaire.
La thrombopénie, là encore, peut être le fait des trois mécanismes sus-cités. La réalisation d’un myélogramme est nécessaire lorsque la thrombopénie est profonde et le mécanisme peu clair.
Les complications tumorales
Au fil du temps peut apparaître une transformation en lymphome de haut grade soit dans le sang sous la forme de transformations prolymphocytaires, soit dans les ganglions réalisant le syndrome de Richter au pronostic sombre. Cliniquement, cette évolution se traduit par un développement tumoral rapide et symétrique d’un groupe d’adénopathies, qui peuvent devenir compressives, et un retentissement sur l’état général.
COMMENT TRAITER LA MALADIE
Aucun traitement n’est curateur, hormis la greffe allogénique qui, bien sûr, présente des risques propres. Depuis l’introduction du Chloraminophène® en 1956, l’arsenal des traitements s’est considérablement enrichi et diversifié. La tendance actuelle est de combiner les chimiothérapies.
Différentes études ont montré que la probabilité d’obtenir une réponse complète dépend de la nature du traitement. De grandes études randomisées ont montré des taux de rémissions complètes de 40 % avec l’association fludarabine-cyclophosphamide (FC) contre 20 % avec la fludarabine seule et 5 % avec le chlorambucil. La grande étude allemande présentée au dernier congrès international a clairement établi la supériorité de FCR (FC associée à l’anticorps anti-CD20, le rituximab)(4). L’association FCR sera, en 2009, le protocole de référence.
Le critères de choix thérapeutiques
Il n’y a pas d’urgence à entreprendre une chimiothérapie dans cette maladie. Il convient de prendre en compte avant la décision thérapeutique : l’existence de comorbidités sévères, l’âge physiologique du patient et l’existence de facteurs pronostiques défavorables de réponse au traitement, telle notamment l’anomalie cytogénétique affectant le bras court du chromosome 17 (délétion 17p) responsable de résistances thérapeutiques.
Il est fondamental de garder à l’esprit que le choix thérapeutique dépend des objectifs poursuivis. Chez les patients les plus jeunes et actifs, on recherchera la meilleure réponse possible sous la forme d’une maladie résiduelle indétectable. En effet, les études récentes ont montré que l’obtention de la meilleure réponse possible a un impact favorable sur la survie et sur la durée de cette réponse (même si aucun traitement ne permet d’obtenir à ce jour une guérison définitive). A l’inverse, chez les patients les plus âgés et/ou fragilisés par des comorbidités, il faut privilégier une modalité ambulatoire et leur qualité de vie. Les complications liées aux traitements les plus actifs peuvent contrebalancer leurs bénéfices.
Il faut bien peser le bénéfice-risque.
« Concernant les sujets âgés, une réflexion est en cours avec les oncogériatres afin d’intégrer une évaluation gériatrique à la prise de décision thérapeutique chez les patients âgés qui ont besoin d’un traitement , indique le Pr Ajchenbaum-Cymbalista. Il existe un consensus international pour traiter les patients en fonction de leur état plutôt qu’en fonction de leur âge. »
Les indications
Pour les patients de stade A, quelle que soit l’importance de l’hyperlymphocytose, l’abstention thérapeutique est la règle moyennant une surveillance régulière. Une surveillance biologique sur douze mois avec 3 NFS successives permettra d’évaluer la cinétique des lymphocytes.
De même, le stade B peu tumoral non évolutif, le stade C avec thrombopénie modérée et stable, nécessitent une surveillance clinique serrée à trois mois puis tous les six mois et chez les patients présentant un stade B tumoral, un stade C dont la cytopénie est évolutive ou importante, le bilan sera réalisé avant traitement (voir ci-dessous).
Traitement initial
L’inclusion dans un protocole d’études prospectif sera envisagé chaque fois que possible. Dans le cas contraire, des recommandations vont être publiées en 2009 sous l’égide de la Société française d’hématologie selon les règles suivantes :
- En l’absence de délétion du bras court du chromosome 17 (del (17p)), chez le patient sans comorbidité, le traitement vise la réponse maximale et le protocole FCR sera proposé. Chez les patients avec présence de comorbidités sévères et en fonction de l’évaluation oncogériatrique, la tendance est à la prescription de l’association fludarabine (F) – cyclophosphamide (C) (5) ou FCR, mais en adaptant les doses à la fonction rénale et/ou en réduisant le nombre de cycles. Le Chloraminophène® n’est désormais proposé qu’aux patients intolérants aux médicaments sus-cités.
- En présence d’une délétion du bras court du chromosome 17 (del (17p)), le traitement par alemtuzumab est recommandé, associé aux corticoïdes en cas de forte masse tumorale (6). Chez le sujet jeune, l’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques doit être envisagée très vite.
Traitement en cas de rechute
La mise en route d’un nouveau traitement s’appuie généralement sur les mêmes principes que ceux utilisés en première ligne. Plusieurs paramètres interviennent dans le choix du traitement : l’âge du patient, l’existence ou l’apparition d’une délétion du bras court du chromosome 17 (del(17p)), la qualité de la dernière réponse thérapeutique et le délai par rapport au traitement précédent.
LES COMPLICATIONS DU TRAITEMENT
Immédiates
- Le syndrome de lyse, très rare lorsqu’il est prévenu(hydratation adaptée, prescription d’hypo-uricémiants, adaptation des doses à la fonction rénale), se manifeste par une hyperkaliémie, une hyperuricémie, une hyperphosphatémie avec hypocalcémie et une augmentation du taux des LDH. Il expose aux risques de précipitation de cristaux d’urates ou de phosphates de calcium, d’insuffisance rénale aiguë, de néphrocalcinose, de lithiase urinaire, ainsi qu’à des troubles de la conduction cardiaque.
- L’insuffisance rénale.
- Les cytopénies (lire ci-dessus).
Immédiates et retardées : les complications infectieuses particulièrement fréquentes
- Sous chimiothérapies, les infections bactériennes nécessitent une antibiothérapie urgente et imposent une attention particulière. La persistance d’une bronchopneumopathie, les récidives d’infections ORL doivent faire discuter la mise en route d’une substitution (IV ou SC) par immunoglobulines, surtout s’il existe une hypogammaglobulinémie (IgG < 3 g/l).
- Après chimiothérapies induisant un déficit important en CD4 (alemtuzumab, fludarabine), il existe un risque prolongé d’infections opportunistes. Un traitement préventif antiviral et anti-Pneumocystis (valaciclovir, sulfaméthoxazole-triméthroprime forte) doit être maintenu plusieurs mois jusqu’à ce que le taux de CD4 excède 200/mm3.
- L’alemtuzumab expose fortement les patients aux infections par CMV. Toute fièvre survenant dans ce contexte, impose une visite à l’hôpital dans les vingt-quatre heures pour CMVirémie et traitement adapté.
- Il est fortement recommandé de vacciner les patients contre la grippe. La vaccination contre le pneumocoque est également préconisée, notamment en cas d’antécédents pulmonaires
SURVEILLANCE
Patients en abstention thérapeutique
Consultation d’hématologie pour surveillance clinique deux fois par an avec un hémogramme (voire une fois par an en cas de stabilité). L’apparition de critères cliniques ou biologiques d’évolutivité impose un rapprochement des ces consultations.
Après traitement
Un examen clinique et une NFS tous les trois à six mois suffisent. Le risque infectieux persiste longtemps après la fin des traitements. Sauf événement évolutif, on ne repètera pas les explorations d’imagerie.
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