POURQUOI LA SURVEILLANCE ACTIVE ?
Le cancer de la prostate est le plus fréquent des cancers en France (28 % des cancers masculins). L’âge moyen au diagnostic est actuellement de 70 ans. Plus des trois quarts des décès surviennent après 75 ans, avec un âge médian de 83 ans (3e rang des décès par cancer chez l’homme).
Le nombre de décès est plutôt en cours de diminution tandis que l’incidence augmente : une proportion non négligeable de patients ne nécessite pas de traitement curatif, puisqu’elle décédera d’une autre cause que de son cancer de prostate. Par ailleurs, les deux tiers des nouveaux cancers sont à faible risque évolutif. Pourtant, sur les 54 000 nouveaux cas diagnostiqués en 2015 en France, 42 000 patients ont été traités : 21 000 prostatectomies totales, 19 600 radiothérapies externes, 1 056 curiethérapies !
Dans ce contexte, il est apparu évident qu’un grand nombre de patients ne nécessitaient pas de traitement immédiat.
► En raison de l’existence de ces formes de cancer à très faible de risque de progression, la surveillance active s’est imposée en tant que possibilité thérapeutique.
La seconde raison légitimant la surveillance active est la iatrogénie majeure des traitements radicaux.
Chez les patients dont les paramètres surveillés restent stables, la surveillance active permet d’éviter un sur-traitement, à la fois inutile et source de séquelles altérant la qualité de vie (dysfonction érectile, incontinence urinaire, sténose urétrale, cystite ou rectite radiques) (voir tableau 1).
► En cas d’évolutivité durant la surveillance, le patient se verra proposer un traitement actif différé : prostatectomie radicale, radiothérapie externe, curiethérapie…
QUANTIFIER LE RISQUE
Au stade localisé du cancer de prostate, la classification de D’Amico [5] définit trois groupes de patients selon la probabilité de progression : risque de progression faible, intermédiaire ou haut (voir tableau 2).
► La proposition de SA est ainsi réservée aux patients atteints d’un cancer localisé de la prostate à « faible risque » de progression et qui, souvent, présentent des critères supplémentaires de « très faible risque » (< 3 biopsies positives sur 12, < 3 mm de longueur tumorale ou < 50 % de biopsies atteintes...).
Ces patients se voient ainsi proposer plusieurs options thérapeutiques : surveillance active, prostatectomie radicale, radiothérapie externe, curiethérapie ou autres traitements en cours d’évaluation, notamment focaux (ultrasons focalisés de haute intensité (HIFU), photothérapie dynamique).
SURVEILLANCE N’EST PAS ABSTENTION
A priori séduisante, la surveillance active ne doit pas être imposée mais proposée au patient. Certains auteurs évoquent l’anxiété que peut engendrer un diagnostic de cancer en l’absence de traitement invasif d’emblée. L’étude internationale Prias (Prostate Cancer Research International Active Surveillance) montre que la surveillance active n’est pas – au moins à court terme – pourvoyeuse d’anxiété, ni de syndrome dépressif [9, 10]. Tous les patients n’ont pas le profil psychologique pour cette surveillance, « mais en général, lorsque cette option est proposée honnêtement par les praticiens, peu de patients y sont opposés », commente le Pr Staerman, fervent partisan de la surveillance active depuis plus de 10 ans et principal contributeur français à l’étude Prias.
► Un certain nombre souhaiteront bénéficier d’emblée d’un traitement agressif. Parmi ceux qui ont fait initialement le choix de la surveillance active, on chiffre au bout d’un an à 8 % la proportion qui basculera vers le traitement curatif en raison uniquement de l’anxiété liée au diagnostic et à sa surveillance, non pour des raisons oncologiques. Le médecin généraliste, par la connaissance longitudinale du patient dans son environnement, peut participer à éclairer son choix.
► En prévention des réactions d’anxiété, il faut insister sur le fait que la surveillance active n’est pas du tout synonyme d’abstention thérapeutique (watchful waiting), qui fait partie des options palliatives chez les patients avec une espérance de vie < 10 ans ou avec des comorbidités sévères. La surveillance active est une prise en charge encadrée, précise et bien évaluée, qui conserve la possibilité d’un traitement curatif invasif ultérieur sans perte de chance.
LA SURVEILLANCE EN PRATIQUE
Même si elle maintenant bien évaluée, les modalités pratiques de la surveillance active diffèrent encore selon les pays.
► Le comité de cancérologie de l’Association française d’urologie propose le protocole suivant :
– Examen clinique avec toucher rectal : tous les 6 à 12 mois
– Dosage du PSA : tous les 3 à 6 mois
– Biopsies prostatiques : une biopsie de confirmation 3 à 18 mois après la biopsie initiale, puis théoriquement tous les 3 ans.
► Les critères actuels n’incluent pas systématiquement l’IRM prostatique dynamique, dont la place est actuellement en cours d’évaluation – de même que la micro-échographie haute définition, et de nouveaux biomarqueurs sanguins et urinaires. L’IRM prostatique pourrait permettre de limiter le recours aux biopsies prostatiques itératives, qui restent le principal fardeau des hommes en surveillance active : organisation logistique, réalisation d’un ECBU, préparation rectale, antibioprophylaxie, inconfort pré-procédural, douleur, hématurie, hémospermie…
► Aujourd’hui, les biopsies de confirmation restent cependant fondamentales pour réduire la probabilité de sous-évaluation initiale, puis détecter une progression précoce.
PASSER AU TRAITEMENT RADICAL
Les patients qui ont choisi la surveillance active ont été soigneusement sélectionnés sur leurs critères de « très faible risque de progression ». Dans la cohorte Prias [23], 48 % des patients inclus sont toujours sous surveillance active à 5 ans de suivi (27 % à 10 ans).
► Cependant, malgré les éléments initiaux de bon pronostic, on estime que 25 à 35 % des hommes relevant de la surveillance active présenteront à 10 ans un cancer évolutif.
► Les critères de sortie de SA sont par exemple le temps de doublement du PSA < 3 ans, la modification du stade clinique ou du score de Gleason (voir encadré E1) sur les biopsies de confirmation réalisées entre 3 et 18 mois.
► Une méta-analyse récente [24] réalisée sur 7 627 hommes a estimé que chaque année, 8,8 % des patients sous surveillance active recevaient finalement un traitement radical, soit en lien avec des critères de sortie de surveillance active, soit par choix du patient. La plupart de ces hommes sont traités par prostatectomie radicale : il est intéressant de remarquer que l’étude histologique retrouve alors des paramètres (stade pT, score de Gleason) identiques aux séries de patients à faible risque opérés sans surveillance active préalable. Il n’y a donc pas eu de perte de chance chez eux.
► On peut donc aujourd’hui affirmer que l’initiation différée du traitement actif n’est pas préjudiciable à la survie du patient (95 à 100 % de survie spécifique à 10 ans), sous réserve qu'il ait accepté les modalités strictes de la surveillance active. Mais celle-ci – parce qu’elle est moins lucrative ? – n’est parfois pas présentée comme une proposition séduisante par certains spécialistes, urologues ou radiothérapeutes. « Les médecins généralistes ont intérêt à savoir à qui demander un second avis pour leurs patients », conclut le Pr Staerman.
E1 - Score de Gleason
Le score de Gleason est un score histopronostique du cancer de la prostate. C'est LE facteur pronostique du cancer de la prostate. Le tissu prostatique comporte plusieurs composants : un tissu glandulaire, un tissu musculaire lisse et un tissu stromal.
Ce score est fondé sur trois règles :
1- Au sein d'une même prostate peuvent exister plusieurs populations tumorales.
2- Ces populations tumorales peuvent être de grade différent.
3- Plus l'architecture de la glande est détruite, plus le pronostic est mauvais.
Sur chaque biopsie, le score de Gleason est constitué par la somme du grade le plus représenté et du grade le plus péjoratif.
À titre indicatif, sur l’ensemble des pièces de prostatectomie radicale, la moitié a un score de Gleason ≤ 6.
Bibliographie
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3- Rozet F, Hennequin C, Beauval JB, Beuzeboc P, Cormier L, Fromont G, Mongiat-Artus P, Ouzzane A, Ploussard G, Azria D, Brenot-Rossi I, Cancel-Tassin G, Cussenot O, Lebret T, Rebillard X, Soulié M, Renard-Penna R, Méjean A. Recommandations en onco-urologie 2016-2018 du CCAFU : Cancer de la prostate. Prog Urol. 2016 Nov;27 Suppl 1:S95-S143. Disponible sur http://www.oncopaca.org/sites/default/files/reco_onco_urologie_cancers_…
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