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Le RGO du nourrisson

Publié le 12/04/2024
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Les régurgitations, couramment observées chez les nourrissons de moins de 1 an, suscitent souvent l’inquiétude des parents. Toutefois, la majorité d’entre elles sont bénignes et peuvent être gérées efficacement par des mesures simples. La priorité réside dans la distinction entre les régurgitations ordinaires et celles qui signalent un reflux gastro-œsophagien (RGO) pathologique, afin d'éviter la prescription inutile de médicaments, notamment d’inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). Pour aider les professionnels de santé dans cette démarche, la HAS a publié une fiche dédiée (1).

Crédit photo : BURGER / PHANIE

Hélène Joubert, (rédactrice) avec la Dr Sarah Tircazes (pédiatre gastro-entérologue à l’hôpital Trousseau, AP-HP, Paris) coauteure de la fiche pertinence HAS “Reflux gastro-œsophagien chez l’enfant de moins de 1 an” (mars 2024)

INTRODUCTION

Les régurgitations sont un phénomène très fréquent avant l’âge de 1 an, concernant environ 50 % des moins de 3 mois, 60 à 70 % des nourrissons à 4 mois et 5 % à l’âge de 1 an (2). Dans la majorité des cas, ces régurgitations tendent à disparaître naturellement vers l’âge de 1 an avec la diversification alimentaire, la maturation des mécanismes anti-reflux et l’orthostatisme (3).

Chez le nourrisson, tout l’enjeu réside, une fois les principaux diagnostics différentiels écartés (voir encadré ci-dessous), dans la distinction – parfois difficile – entre de simples régurgitations survenant dans le cadre d’un reflux gastro-œsophagien (RGO) physiologique et un RGO pathologique.

Alors que seule la forme pathologique du RGO peut nécessiter un traitement médicamenteux, on constate, chez le moins de 1 an comme chez l’adulte, l’utilisation excessive et souvent inappropriée des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). Or, si les IPP peuvent être prescrits en cas de reflux pathologique, les données scientifiques sur leur utilisation chez les nourrissons de moins de 1 an sont limitées. Ces molécules ne sont pas dénuées d’effets indésirables, notamment chez cette population, avec maux de tête, nausées, diarrhée, constipation, mais également un risque accru d'infections gastro-intestinales ou respiratoires graves. L’exposition à un IPP est en effet associée à une augmentation de 34 % du risque global d’infections bactériennes ou virales graves chez les jeunes enfants.

Afin de limiter la surmédicalisation, la HAS vient de publier, à destination des professionnels de santé, une fiche pertinence sur le RGO de l’enfant de moins de 1 an (1).

LE RGO PHYSIOLOGIQUE

Par définition, le RGO physiologique est un phénomène normal de remontée du contenu gastrique dans l’œsophage, associée ou non à des régurgitations extériorisées de ce contenu.

Trois paramètres favorisent le RGO chez le nourrisson : l’immaturité du sphincter inférieur de l’œsophage, l’alimentation exclusivement liquide ainsi que la taille de l’estomac (de la taille d’un œuf/80-150 ml à 1 mois jusqu’à l’équivalent d’une pomme/250 ml à l’âge de 1 an).

Une allergie aux protéines de lait de vache (APLV) peut aussi y contribuer dans certains cas (voir encadré).

> Manifestations cliniques

Les régurgitations simples sont les principales manifestations visibles du RGO physiologique.

Elles sont sans gravité ni retentissements sur la croissance staturo-pondérale de l’enfant.

Elles peuvent être présentes dès le 1er mois et surviennent :

– sans effort,

– en post-prandial après la tétée ou le biberon, souvent de façon pluriquotidienne (5 % des nourrissons touchés ayant six épisodes ou plus par jour),

– avec des épisodes de courte durée,

– sans provoquer de pleurs d’irritabilité ou de gêne chez le nourrisson.

Les pleurs du nourrisson atteignent leur maximum entre 6 et 8 semaines et peuvent affecter un nourrisson présentant par ailleurs un RGO physiologique, sans que ces pleurs ne soient liés au reflux.

Signes d’alerte en faveur d’un diagnostic différentiel à caractère d’urgence

Le diagnostic d’un RGO physiologique ou pathologique peut être posé une fois certains diagnostics différentiels écartés. Afin de ne pas méconnaître une pathologie à prendre en charge en urgence, les signes d’alerte suivants doivent être recherchés :

– vomissements en jet plutôt chez le nourrisson de 2-8 semaines évoquant une sténose du pylore,

- vomissements bilieux et distension abdominale suggérant une obstruction intestinale,

- fontanelle bombée et augmentation rapide du périmètre crânien, associées ou non à une fièvre ou une léthargie, pouvant faire évoquer un trouble neurologique ou infectieux.

> Prise en charge des régurgitations simples

Les régurgitations simples ne requièrent ni examen diagnostique spécifique ni traitement médicamenteux.

Dans la plupart des cas, il est suffisant de proposer la mise en place de mesures hygiénodiététiques progressive associée à la réassurance des parents.

Dans un premier temps :

– corrections des quantités en cas d’erreurs diététiques,

– conseils pratiques aux parents sur la prise alimentaire (laisser le nourrisson manger à sa faim sans le contraindre ni le restreindre, respecter des pauses durant le biberon ou la tétée, rot en fin de repas puis maintien de l’enfant en position verticale dans les bras ou en écharpe pendant une vingtaine de minutes, coucher à plat),

– vérifier que la reconstitution de la préparation pour nourrisson est correctement réalisée (30 ml d’eau par mesure de poudre de lait rase, non bombée, non tassée),

– en cas de reflux trop important, un fractionnement des biberons peut être proposé en réduisant la quantité consommée lors de chaque biberon,

– si la mère allaite, elle doit être encouragée à poursuivre si elle le désire, aucun lien entre allaitement et régurgitations (ou RGO pathologique) n’étant étayé.

En cas d’échec des premières mesures après une période d’au moins 2 semaines, le lait infantile peut être épaissi avec une poudre épaississante ou en utilisant un lait spécifique anti-régurgitation.

Si les symptômes restent importants après au moins 2 semaines d’épaississement, et si le médecin suspecte une APLV non IgE médiée, un essai d’éviction-réintroduction des protéines du lait de vache peut être envisagé (voir encadré ci-dessous ).

Le RGO PATHOLOGIQUE

Le RGO pathologique relève des mêmes mécanismes que le RGO physiologique. Mais, à la différence de celui-ci, il provoque des symptômes gênants ou des complications.

Il est peu fréquent chez le nourrisson. Certains facteurs de risque sont associés à une prévalence accrue de RGO pathologique : prématurité, atteintes neurologiques, anomalies œsophagiennes congénitales telles que l'atrésie œsophagienne et la hernie diaphragmatique, mucoviscidose, obésité, ainsi que des antécédents familiaux de brûlures d'estomac ou de régurgitations acides.

> Les signes évocateurs

Les symptômes du RGO pathologiques sont non spécifiques. Les principaux signes évocateurs sont des régurgitations persistantes ou excessives associées à :

– des refus répétés de s’alimenter,

– une stagnation voire une perte de poids,

– un changement de comportement (pleurs persistants inhabituels, irritabilité, perturbations du sommeil),

– des symptômes respiratoires ou ORL récurrents.

Au moins deux symptômes évocateurs doivent être présents pour suspecter un RGO pathologique.

En effet, les symptômes respiratoires/ORL récurrents (pneumopathie d’inhalation récurrente, respiration sifflante, toux chronique, asthme associé à des régurgitations, stridor, laryngites à répétition, enrouement de la voix, otites moyennes à répétition…) étant des manifestations fréquentes chez les nourrissons, ils ne suffisent pas à eux seuls à établir un diagnostic de RGO pathologique. De même, une irritabilité ou des pleurs excessifs ne doivent pas conduire à un diagnostic de RGO pathologique chez l’enfant de moins de 1 an.

À noter qu’un RGO pathologique peut aussi se présenter sans aucune régurgitation extériorisée (RGO occulte).

L’œsophagite est la complication digestive du RGO pathologique la plus courante chez les nourrissons, bien que restant très rare. Sa prévalence serait de 5,5 % chez les enfants de 0 à 1 an ayant subi une endoscopie œsogastroduodénale (4). La fréquence et l’intensité du reflux ne sont pas suffisantes pour attester de sa présence. Une hématémèse, une dysphagie et un retard de croissance doivent faire évoquer une œsophagite sur reflux. Son diagnostic nécessite une endoscopie œsogastroduodénale.

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(D'après HAS)

> Si suspicion de RGO pathologique avec régurgitations extériorisées :

Après la mise en place des mesures hygiénodiététiques le contexte détermine :

soit l’essai d’éviction des protéines du lait de vache (2 à 4 semaines puis réintroduction, voir encadré ci-dessous),

– soit la prescription d’antiacides (1 à 2 semaines, pansements gastro-intestinaux conçus pour neutraliser l’acidité gastrique, à base de sels d’aluminium, de magnésium ou de calcium ou à base d’alginate de sodium et de bicarbonate de sodium ou de potassium).

En l’absence de données en faveur de l’utilisation empirique chez l’enfant de moins de 1 an, et contrairement à ce qui est préconisé chez l’adulte, il n’est pas recommandé de recourir à un essai d’une à deux semaines avec un inhibiteur de la pompe à protons pour le diagnostic du RGO pathologique.

Dans l’idéal, la réalisation d’une pH-métrie ou d’une pH-impédancemétrie (en fonction de la disponibilité de l’examen) peut permettre de faire le lien entre les reflux et les symptômes objectivés.

Les IPP

Ce n'est qu'une fois que le diagnostic de RGO pathologique est établi et que les mesures hygiénodiététiques ont été essayées qu'il est possible d’envisager la prescription d'inhibiteurs de la pompe à protons :

ésoméprazole (sachet de 10 mg de granulés gastrorésistants pour suspension buvable, forme pédiatrique),

– ou oméprazole (gélule gastrorésistante dosée à 10 mg) chez le moins de 1 an (à la pipette, 30 minutes avant un des repas).

La posologie d’oméprazole ou d’ésoméprazole recommandée est de 1 mg/kg en une prise, à jeun, 30 minutes avant un repas. Une forme pédiatrique en suspension buvable est à privilégier.

Avant l’âge de 1 an, le recours à un inhibiteur de la pompe à protons relève d’une prescription hors AMM. Il est réservé au traitement d’un reflux gastro-œsophagien pathologique attesté par pH-métrie ou d’une œsophagite par reflux authentifiée par endoscopie œsogastroduodénale.

Les IPP sont alors prescrits pendant 4 à 8 semaines, avec une réévaluation des symptômes à 1 mois. Une nouvelle exploration n’est pas nécessaire en cas d’amélioration des symptômes. Si ça n’est pas le cas, les IPP peuvent être prolongés au cas par cas après évaluation par un spécialiste.

L’efficacité des IPP n’a pas été prouvée sur le reflux du nourrisson.

>Si suspicion de « RGO occulte »

(Aucune régurgitation mais au moins deux symptômes parmi : refus répétés de s’alimenter, stagnation voire perte de poids, changement de comportement, symptômes respiratoires ou ORL récurrents).

Les examens complémentaires peuvent être pratiqués d’emblée (pH-métrie ou pH impédancemétrie, selon disponibilité). Alors que la pH-métrie ne détecte que les reflux acides (pH < 4), l’impédancemétrie détecte l’ensemble des reflux, qu’ils soient acides ou peu acides (pH > 4). Les reflux peu acides (liquides, gaz) peuvent induire des symptômes tout comme les reflux acides.

En cas de RGO occulte pathologique avéré, trois étapes peuvent être essayées successivement : mise en place des mesures hygiénodiététiques, éviction des protéines du lait de vache puis leur réintroduction et, en dernier recours, prescription d’IPP pendant 4 à 8 semaines ± anti-acide (pendant 1 à 2 semaines).

Aucun prokinétique (dompéridone, métoclopramide) n’est recommandé pour le traitement du RGO, extériorisé ou occulte, compte tenu de leur rapport bénéfices-risques défavorable.

En cas d'amélioration, l'enfant doit être réévalué régulièrement (après un mois, au maximum) pour adapter le traitement. En revanche, en cas d'échec, l'enfant doit consulter un spécialiste pédiatre ou gastro-entérologue pédiatre.

RGO et allergie aux protéines de lait de vache

Dans certaines régurgitations, une allergie aux protéines du lait de vache (APLV) non IgE médiée (retardée) peut être en cause (2 à 3 % des enfants pendant la première année). L’APLV peut provoquer des symptômes variés (diarrhée, rectorragie, constipation, eczéma…) et parfois se manifester sous la forme d’un RGO pathologique. Jusqu’à 40 % des nourrissons présentant des symptômes de RGO pathologique sont atteints d’une APLV non IgE médiée. Si le médecin suspecte une APLV (régurgitations associées à un contexte atopique familial, eczéma, diarrhée, rectorragies), il peut proposer un essai avec un lait spécifique sans protéines de lait de vache (hydrolysat poussé de protéines de lait de vache ou hydrolysat de protéines de riz) pendant 2 à 4 semaines et, en cas d’allaitement, suggérer d'exclure les protéines de lait de vache de l'alimentation maternelle. Si aucune amélioration n’est constatée après une période d’au moins 2 semaines et en cas de suspicion d’allergie, une formule d’acides aminés peut être proposée. L’éviction des protéines de lait de vache pendant 2 à 4 semaines sera toujours suivie d’une réintroduction, qui provoquerait une réapparition des symptômes en cas d’APLV avérée, confortant le diagnostic.

En résumé :

Les régurgitations sont très fréquentes chez le nourrisson mais ne témoignent que rarement d’un RGO pathologique.

Face à des régurgitations simples, mesures hygiénodiététiques et réassurance des parents sont souvent suffisantes.

Le recours à un inhibiteur de la pompe à protons est réservé au traitement d’une œsophagite par reflux (authentifiée par endoscopie œsogastroduodénale) ou au traitement d’un RGO pathologique confirmé par pH-métrie.

Dans l’idéal, pas de prescription d'IPP sans pH-impédancemétrie ou PH-métrie (ou une endoscopie œsogastroduodénale en cas de suspicion d’œsophagite) pour confirmer le diagnostic de RGO pathologique si symptômes évocateurs.

La principale complication digestive, rare, est l’œsophagite par reflux. Elle peut être suspectée notamment devant l’association à une hématémèse.

Bibliographie :

(1)HAS. Fiche pertinence et argumentaire scientifique « Reflux gastro-œsophagien de l’enfant de moins d’un an : définitions, prise en charge et pertinence des traitements pharmacologiques ». Mars 2024

(2) Nelson SP, Chen EH, Syniar GM, et al. Prevalence of symptoms of gastroesophageal reflux during infancy. A pediatric practice-based survey. Pediatric Practice Research Group. Arch Pediatr Adolesc Med 1997;151(6):569-72.

(3) Singendonk M, Goudswaard E, Langendam M, et al. Prevalence of gastroesophageal reflux disease symptoms in infants and children: a systematic review. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2019;68(6):811-7.

(4) Gilger MA, El-Serag HB, Gold BD, et al. Prevalence of endoscopic findings of erosive esophagitis in children: a population-based study. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2008;47(2):141-6.

Liens d’intérêt : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt relatif au contenu de cet article.


Source : Le Quotidien du Médecin