CONTEXTE
L’HTA est la première cause de mortalité, quelles que soient les populations étudiées (1). En France, au moins 12 millions de sujets sont hypertendus avec un contrôle tensionnel insuffisant stagnant depuis des années aux alentours de 50 %.
En raison d'un patrimoine génétique mais aussi d’un contexte socio-économique souvent différent de la population générale, les HTA des populations d’origine africaine ou caribéenne sont surreprésentées et ont des présentations cliniques différentes avec une fréquence plus élevée de complications et d’atteinte des organes cibles (2). Ces formes plus sévères s’expliquent entre autres par une moins bonne réponse aux traitements pharmacologiques habituels et une fréquence plus importante des HTA secondaires. Une prise en charge et un suivi rigoureux sont donc nécessaires pour prévenir la survenue de complications cardiovasculaires et en particulier le risque d’AVC.
L’objectif de ce document est de revoir les particularités phénotypiques et thérapeutiques de la prise en charge de l’HTA dans cette population.
PARTICULARITÉS GÉNÉTIQUES
Les populations subsahariennes et caribéennes ont génétiquement programmé un système Rénine Angiotensine Aldostérone, adapté à une alimentation pauvre en sel et en eau. Les changements de régime alimentaire et l’excès de sel désormais chronique qui en découle s’accompagnent de modifications phénotypiques, avec un échappement de la régulation de la sécrétion d’aldostérone. En effet, malgré un système rénine angiotensine plutôt éteint par ses apports en eau et en sel désormais largement suffisants, les taux d’aldostérone restent eux relativement hauts, constituant un tableau d’HTA dit à rénine basse.
La modification des régimes alimentaires au profit des régimes occidentaux riches en sel est le principal facteur explicatif de l’augmentation majeure de la prévalence de l’HTA en Afrique de l’Ouest et explique également les dégâts vasculaires du sel dans les populations afro-caribéennes ou immigrées en Europe.
Cette toxicité particulièrement forte du sel dans ces populations est une spécificité dont il faut tenir compte d’un point de vue thérapeutique.
PARTICULARITÉS PHÉNOTYPIQUES
Prévalence augmentée des HTA malignes
Si la prévalence des HTA malignes reste relativement faible dans nos pays, la forte proportion de sujets noirs dans cette pathologie doit être connue pour ne pas passer à côté de cette forme particulièrement sévère d’HTA.
L’HTA maligne est une forme d’HTA caricaturale avec une atteinte sévère de l’ensemble des organes cibles qui va s’installer sur quelques semaines. Le niveau d’atteinte des organes pourra être incomplet ou toucher de manière plus importante tel ou tel organe ce qui modifiera les différentes présentations cliniques possibles depuis la baisse de la vue au tableau de confusion ou encore de l’insuffisance cardiaque (3).
Dans cette population, il faut systématiquement y penser en cas de déséquilibre tensionnel franc avec symptômes associés (soif, fatigue) et mise en évidence de l'atteinte d’un organe cible. En particulier, la mise en évidence d’une insuffisance rénale aiguë avec hypokaliémie (et non pas une hyperkaliémie) est un signe assez spécifique.
Pour confirmer le diagnostic, un avis spécialisé est nécessaire afin également de débuter dans les meilleurs délais une thérapeutique adaptée par la mise en place dans ce contexte particulier de fortes doses d’IEC.
Prévalence augmentée des HTA secondaires
Vraisemblablement en raison de leur profil génétique, la prévalence des HTA à rénine basse et des hyperaldostéronismes primaires est sensiblement plus importante. Dans notre expérience (données non publiées), 25 % des sujets ayant bénéficié d’un cathétérisme surrénalien sont originaires soit d’Afrique de l’Ouest soit des Caraïbes.
La prévalence des néphropathies est également plus importante. Celles-ci s’accompagnent le plus souvent d’une hypertension artérielle (4). Un diagnostic d’HTA peut donc être l’occasion de révéler ce type de pathologie et d’adresser ensuite le patient au spécialiste.
Le diagnostic des HTA secondaires est absolument nécessaire afin d’améliorer le contrôle tensionnel par des thérapeutiques adaptées à la cause de l’HTA. C’est évident pour l’utilisation des anti-aldostérones dans le cadre des hyperaldostéronismes primaires ou des IEC dans le cadre des néphropathies. Un meilleur contrôle tensionnel permet de réduire très fortement le risque de survenue de complications cardiovasculaires.
DIAGNOSTIC
Le diagnostic de l’HTA dans cette population repose sur les recommandations habituelles (5).
Devant des chiffres de pression artérielle élevés au cabinet médical, il faudra confirmer le diagnostic, par la réalisation d’un holter tensionnel ou par des auto-mesures tensionnelles.
Le holter ou MAPA a l’avantage de mesurer les pressions artérielles nocturnes qui sont le plus associées à la survenue de complications cardiovasculaires. Il sera utile pour la confirmation du diagnostic. L’auto-mesure tensionnelle sera préférée dans le cadre du suivi car elle favorise l’adhérence au traitement.
Ces deux méthodes sont les seules qui permettent de dépister les HTA blouses blanches et masquées. Ce sont donc des outils incontournables pour le diagnostic et l’adaptation des traitements.
En Europe, les seuils diagnostiques n’ont pas été modifiés. L’HTA est définie par une PAS > 140 mmHg ou une PAD > 90 mmHg sur les pressions de consultations, une PAS > 135 mmHg en auto-mesure ou sur la PAS diurne, une PAS > 120 mmHg pour la PA nocturne et une PAS > 130 mmHg pour la PA des 24 heures (voir tableau 1).
BILAN LÉSIONNEL
Il doit être exhaustif et systématique chez cette population à haut risque de complication en se basant sur le bilan OMS.
→ Rechercher une atteinte cardiaque. ECG, souvent complété par une échographie cardiaque devant une prévalence importante des anomalies de repolarisation au repos sur l’ECG.
→ Évaluer la fonction rénale. Créatinine plasmatique et protéinurie sur échantillon. La population d’origine africaine a une plus forte prévalence de néphropathies et d’HTA malignes.
→ Kaliémie. Le dosage de la kaliémie oriente vers une HTA secondaire. Une kaliémie inférieure à 4 mmol/l ou une hypokaliémie induite par un diurétique thiazidique doit faire évoquer et rechercher un hyperaldostéronisme.
BILAN DES FDRCV ASSOCIÉS
La présence d’anomalies métaboliques doit être recherchée pour préciser le niveau de risque cardiovasculaire. Les risques d’obésité et de diabète sont particulièrement importants dans ces populations.
BILAN ÉTIOLOGIQUE
Il devra être réalisé de manière systématique en cas de survenue d’une HTA chez le sujet de moins de 40 ans, en cas d’HTA résistante, en cas de mise en évidence d’une hypokaliémie ou en cas d’atteinte d’un organe cible (HVG, protéinurie par exemple).
Il sera l’occasion de mettre en évidence un hyperaldostéronisme primaire ou une néphropathie débutante (le plus souvent) et donc d’améliorer la prise en charge par une thérapeutique adaptée, voire de permettre une guérison en cas d’hyperaldostéronisme primaire latéralisé (adénome de Conn).
Le bilan étiologique doit être idéalement réalisé par des équipes habituées. C’est particulièrement vrai pour les dosages hormonaux, qui doivent être faits dans des conditions standards et interprétés selon la valeur de la kaliémie en particulier. Ceci dit, les équipes spécialisées sont malheureusement peu nombreuses et le médecin traitant référent peut tout à fait organiser un bilan morphologique qui aidera au diagnostic. Il s’agit de l’échographie Doppler des artères rénales et le scanner des glandes surrénales.
THÉRAPEUTIQUE
Les règles hygiéno-diététiques
Les efforts doivent être portés sur la diminution de la consommation de sel en premier lieu, car elle est souvent très importante dans ces populations et sa toxicité est particulièrement forte. Un régime sans sel est un bon moyen de prévenir les complications vasculaires.
Le traitement pharmacologique
Les caractéristiques de cette population à peau noire modifient le choix du traitement de première intention.
De par une sensibilité au sel importante, les traitements diurétiques ont souvent une bonne efficacité. Ils sont donc une classe particulièrement utile. Il faudra préférer l’indapamide à l’hydrochlorothiazide car elle a un meilleur profil métabolique et une meilleure efficacité tensionnelle (ce d’autant que les patients auront un syndrome métabolique associé).
Par leur action vasodilatatrice pure, les inhibiteurs calciques fonctionnent bien, également en première intention.
Le système Rénine angiotensine est habituellement peu stimulé. La classe des IEC/ARA2 n’est pas la classe de première intention dans cette population, sauf en cas d’atteinte rénale (protéinurie) ou myocardique (HVG).
S’ils ne font pas partie du traitement de première intention, les anti-aldostérones (spironolactone) doivent sans doute être davantage utilisés dans cette population (par exemple en association avec un diurétique) devant des HTA souvent à rénine basse et encore plus naturellement en cas d’hyperaldostéronisme primaire confirmé.
À retenir
• La population noire se caractérise par une prévalence importante des HTA compliquées.
• Le suivi et l’adaptation thérapeutique doivent être entrepris rapidement et rigoureusement pour s’assurer du bon contrôle tensionnel et de l’absence de cause secondaire.
• Les diurétiques sont la classe de choix en termes d’efficacité tensionnelle.
• Gardez à l’esprit le risque d’HTA maligne, nettement supérieur à la population générale.
Bibliographie
1. Williams B, Mancia G, Spiering W, Agabiti Rosei E, Azizi M, Burnier M, et al. 2018 Practice guidelines for the management of arterial hypertension of the European Society of Hypertension (ESH) and the European Society of Cardiology (ESC). Blood Press. 2018; 27(6): 314-40.
2. Atallah A, Inamo J, Larabi L, Chatellier G, Rozet JE, Machuron C, et al. Reducing the burden of arterial hypertension: what can be expected from an improved access to health care? Results from a study in 2420 unemployed subjects in the Caribbean. J Hum Hypertens. 2007; 21(4): 316-22.
3. Cremer A, Amraoui F, Lip GY, Morales E, Rubin S, Segura J, et al. From malignant hypertension to hypertension-MOD: a modern definition for an old but still dangerous emergency. J Hum Hypertens. 2016; 30(8): 463-6.
4. Genovese G, Friedman DJ, Ross MD, Lecordier L, Uzureau P, Freedman BI, et al. Association of trypanolytic ApoL1 variants with kidney disease in African Americans. Science. 2010; 329(5993): 841-5.
5. Williams B, Mancia G, Spiering W, Agabiti Rosei E, Azizi M, Burnier M, et al. 2018 Practice Guidelines for the management of arterial hypertension of the European Society of Hypertension and the European Society of Cardiology: ESH/ESC Task Force for the Management of Arterial Hypertension. J Hypertens. 2018; 36(12): 2284-309.
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