Efficacité et tolérance comparatives des différentes classes pharmacologiques en monothérapie initiale de l’hypertension : analyse systématique de bases de données multinationales
Suchard MA, Schuemie MJ, Krumholz HM & al. Comprehensive comparative effectiveness and safety of first-line antihypertensive drug classes: a systematic, multinational, large-scale analysis
Lancet 2019. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(19)32317-7
CONTEXTE
La première prescription d’un traitement antihypertenseur est majoritairement l’apanage de la médecine générale. Les différentes classes pharmacologiques principalement utilisées dans cette situation clinique sont les diurétiques thiazidiques et apparentés (THZ), les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), les antagonistes de l’angiotensine 2 (ARA2), et les inhibiteurs calciques dihydropyridiniques (ICA) ou non dihydropyridiniques (ndICA). Dans le traitement initial de l’hypertension, les recommandations les plus récentes (1) ne préconisent pas particulièrement une classe par rapport à une autre, sauf comorbidités avérées (maladies coronaires, insuffisance cardiaque, fibrillation auriculaire, ou insuffisance rénale par exemple). Par ailleurs, mis à part l’essai Allhat (2), conduit entre 1994 et 1998, il y a très peu d’essais randomisés ayant directement comparé les classes entre elles sur des critères cliniques pertinents. Enfin, la dernière revue systématique Cochrane (3) concluait que les THZ réduisaient (modestement) la morbimortalité cardiovasculaire en cas d’hypertension légère à modérée (en particulier cérébrovasculaire) et qu’il en était de même pour les IEC et les ICA, mais avec un niveau de preuve plus faible (comparaisons indirectes entre ces classes).
OBJECTIF
Comparer l’efficacité clinique et la tolérance des cinq principales classes pharmacologiques de médicaments antihypertenseurs utilisés (recommandés) en traitement initial de l’hypertension artérielle légère à modérée.
MÉTHODE
Analyse statistique rétrospective des données recueillies dans les neuf bases de données du réseau Observational Health Data Science and Informatics (4) situées au Japon, en Corée du Sud, en Allemagne et aux USA. Les patients inclus dans ces bases avaient initié une monothérapie antihypertensive entre juillet 1996 et mars 2018. Les trois critères de jugement principaux étaient les infarctus du myocarde (IdM), les hospitalisations pour insuffisance cardiaque (IC) et les accidents vasculaires cérébraux (AVC). Il y avait également six autres critères secondaires d’efficacité et 46 critères de tolérance. La (complexe) analyse statistique a utilisé des scores de propension modélisés pour comparer les classes pharmacologiques 2 à 2, associés à un modèle de régression stratifié sur les différences de caractéristiques des patients à l’inclusion. La même analyse a été faite dans chacune des bases de données puis les résultats ont été agrégés. Cette procédure permettrait (théoriquement) d’ajuster les résultats sur tous les facteurs de confusion, en particulier les tranches d’âge, le genre, les comorbidités, les coprescriptions médicamenteuses (non HTA), les durées de traitement et de suivi, etc., et d’éviter l’inflation du risque alpha (5). Les résultats les plus intéressants exposés dans cet article sont présentés en hazard ratio (HR) ajusté sur le score de propension, avec un intervalle de confiance à 95 %.
RÉSULTATS
→ Un peu moins de 4,9 millions de patients en « vraie vie » recevant une première monothérapie pour hypertension ont été inclus dans l’analyse : 48 % (2 373 007) ont reçu un IEC, 17 % (830 608) un THZ, 16 % (798 540) un ICA de la classe des dihydropyridines, 15 % (752 492) un ARA2 et 3 % (138 944) un ndICA (Diltiazem pour 62 %). 25 % des patients ont été exposés à ce traitement pendant au moins un an et la médiane de suivi a été > 2 ans, avec 25 % des inclus suivis pendant 5 ans. Après stratification sur les scores de propension, les populations ayant reçu un THZ ou un IEC à l’inclusion étaient similaires sur leurs 56 535 caractéristiques !
→ Sur les trois critères de jugement principal, il n’y a pas eu de différence entre les cinq classes pharmacologiques comparées 2 à 2, à l’exception du bénéfice relatif d’environ 15 % des THZ comparés aux IEC : HR = 0,84 ; IC95 % = 0,75-0,95, sur les IdM (p = 0,01), HR = 0,83 ; IC95% = 0,74-0,95 sur les hospitalisations pour insuffisance cardiaque (p = 0,01) et HR = 0,83 ; IC95 % = 0,74-0,95 sur les AVC (p = 0,01). La tolérance des THZ était globalement meilleure que celle des IEC. Les ndICA ont été significativement inférieurs aux quatre autres classes sur les trois principaux critères d’efficacité. Cependant, comme les caractéristiques de ces patients à l’inclusion étaient significativement différentes de celles des autres classes (malgré les ajustements), il est délicat de conclure définitivement à leur infériorité.
COMMENTAIRES
→ Ce travail pharaonique (presque 5 millions d’hypertendus « observés » et comparés) préfigure une certaine recherche médicale à venir basée sur des données (big data) plus ou moins fiables et homogènes entassées dans des ordinateurs surpuissants et analysées à l’aide d’algorithmes manipulés par des biostatisticiens « hors sol » qui ne soignent jamais le moindre patient. Autrement dit, c’est de la recherche médicale qui soigne des équations et des monceaux de données (plus ou moins bien « touillées ») et dans laquelle les patients, avec leurs particularités et préférences, ont disparu ou sont devenus virtuels.
→ Pour remettre un peu les choses en place, il faut rappeler que ce type de comparaisons rétrospectives non randomisées avec des données hétérogènes ne permet pas de tenir compte de tous les facteurs confondants (le tabac, l’exercice physique, l’alimentation ou l’observance par exemple) et qu’il est très facile de montrer des différences relatives significatives (même nanoscopiques en valeur absolue) en augmentant indéfiniment la taille des effectifs. Par exemple, dans leur article, les auteurs ne fournissent que des hazard ratio sans jamais donner la moindre indication sur les différences absolues entre les groupes, ce qui ne permet pas de mesurer la quantité d’effet et la différence de quantité d’effet entre les classes pharmacologiques. Ils indiquent juste que traiter initialement 1 000 patients avec un THZ en lieu et place d’un IEC permettrait de prévenir 1,3 évènement du critère principal mais personne ne sait pendant combien de temps il faut les traiter. Ce résultat est l’inverse de celui d’un essai randomisé australien (6) chez les sujets âgés. Par ailleurs, plusieurs bases de données utilisées dans ce travail ne comportaient pas les chiffres de pression artérielle, ce qui est quand même un peu curieux. Ces données ont été artificiellement reconstituées à partir des autres bases de données et des scores de propension.
→ Bref, si ce travail publié dans une grande revue internationale est impressionnant à première vue, il ne peut pas remplacer un essai randomisé comparant directement un THZ versus un IEC, ce qui n’a malheureusement plus aucune chance de voir le jour. Au total, la question posée par ce travail est pertinente, mais il n’y répond pas avec un niveau de preuve suffisant tant les biais sont importants (7), ce que les biostatisticiens ont une certaine tendance à minimiser (ou à ne pas nuancer).
→ En pratique, à efficacité similaire sur la pression artérielle, le traitement initial de l’hypertension légère à modérée (éventuellement une bithérapie à dose réduite) doit d’abord être adapté aux caractéristiques du patient, en particulier à ses comorbidités, sa tolérance aux éventuels effets indésirables, son mode de vie et ses préférences, après l’avoir clairement informé des bénéfices attendus et des risques encourus pour chacune des classes pharmacologiques disponibles dans cette situation clinique.
Bibliographie
1- Williams B, Mancia G, Spiering W, et al. 2018 ESC/ESH guidelines for the management of arterial hypertension. Eur Heart J 2018;39:3021-104.
2- The ALLHAT Collaborative Research Group. Major outcomes in high-risk hypertensive patients randomized to angiotensin-converting enzyme inhibitor or calcium channel blocker vs. diuretic: the antihypertensive and lipid-lowering treatment to prevent heart attack trial (ALLHAT). JAMA 2002;288:2981-97.
3- Musini VM, Gueyffier F, Puil L, &al. Pharmacotherapy for hypertension in adults aged 18 to 59 years. Cochrane Database Syst Rev 2017; 8:CD008276.
4- Hripcsak G, Duke JD, Shah NH, et al. Observational Health Data Sciences and Informatics (OHDSI): opportunities for observational researchers. Stud Health Technol Inform 2015;216:574-8.
5- Head ML, Holman L, Lanfear R, Kahn AT, Jennions MD. The extent and consequences of p-hacking in science. PLoS Biol 2015;13:e1002106.
6- Wing LMH, Reid CM, Ryan P, & al. A comparison of outcomes with angiotensin-converting-enzyme inhibitors and diuretics for hypertension in the elderly. N Engl J Med 2003;348:583-92.
7- Ives CW, Oparil S. What is the first choice for blood pressure treatment? Lancet 2019. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(19)32461-4
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