Étude et pratique

Risque de diabète sous statine, quelle réalité ?

Publié le 20/09/2024
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Selon une méta-analyse de la Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaboration, les statines augmentent très modérément le risque biologique de nouveau DT2, avec un effet dose-dépendant et plus marqué chez les patients prédiabétiques. En mesurant le risque de DT2, ces résultats permettent d’avoir une idée précise de la balance bénéfices-risques clinique favorable des statines.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Effets des statines sur le diagnostic d’un nouveau diabète de type 2 et d’un déséquilibre glycémique dans les essais randomisés en double insu : méta-analyse sur données individuelles
Effects of statin therapy on diagnoses of new-onset diabetes and worsening glycaemia in large-scale randomised blinded statin trials: an individual participant data meta-analysis
Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaboration
Lancet Diabetes Endocrinol 2024;12:306-19.
https://doi.org/10.1016/S2213-8587(24)00040-8.

CONTEXTE

Que ce soit en prévention cardiovasculaire (CV) primaire, y compris chez les patients diabétiques de type 2 (1, 2) ou en prévention CV secondaire, les statines ont solidement démontré qu’elles réduisaient la morbidité CV ischémique : diminution du risque d’infarctus du myocarde (IdM) et d’accident vasculaire cérébral (AVC) de 25 % (en relatif) pour chaque 0,40 mg/L de diminution du LDL-cholestérol (3).

Malgré cela, certains contempteurs pointent régulièrement l’augmentation relative de 10 % du risque de nouveaux cas de diabète de type 2 (DT2) chez les patients prenant une statine, en s’appuyant sur les résultats des mêmes essais randomisés (dont Jupiter) (4) et de leurs méta-analyses (5, 6), et de 10 % supplémentaires en cas de traitement dit à haute intensité (6). Cependant, compte tenu de la faible qualité des informations utilisées dans ces méta-analyses, l’effet des statines sur le risque de développer un DT2 (ou son aggravation) est imprécis et mal documenté.

OBJECTIFS

Mesurer l’amplitude d’apparition d’un nouveau DT2 (ou de son aggravation chez les DT2 inclus) chez des sujets prenant des statines, et décrire le profil des patients les plus exposés à ces effets indésirables biologiques.

MÉTHODE

Méta-analyse sur données individuelles de tous les essais randomisés en double insu versus placebo ou comparant un traitement d’intensité faible à modérée avec un traitement à haute intensité et dont les bases de données étaient disponibles pour la CTT Collaboration. Les essais en double insu retenus devaient avoir une durée > 2 ans et avoir inclus au moins 1 000 patients. Les critères de jugement étaient l’incidence de l’apparition d’un nouveau DT2 défini soit par une complication clinique liée au DT2, soit par l’instauration d’un nouveau traitement antidiabétique, soit par une HbA1c ≥ 6,5 %. Chez les patients préalablement atteints de DT2 à l’inclusion, les critères de jugement étaient soit un déséquilibre du contrôle glycémique, soit une intensification du traitement antidiabétique, soit une augmentation de l’HbA1c ≥ 0,5 % par rapport à l’inclusion. Les résultats ont été fournis selon l’intensité de la posologie de la statine (faible/modéré ou haute).

RÉSULTATS

Les auteurs ont inclus 19 essais randomisés en double insu versus placebo : 123 940 participants dont 25 701 (21 %) DT2, médiane de suivi = 4,3 ans et 4 essais randomisés en double insu comparant une statine à haute intensité vs intensité faible ou modérée : 30 724 participants dont 5 340 (17 %) DT2, médiane de suivi = 4,9 ans.

Comparativement au placebo, les statines à intensité faible ou modérée ont provoqué une augmentation relative de 10 % de DT2 : risque relatif (RR) = 1,10 ; IC95 % = 1,04-1,16. En termes de risque absolu, l’incidence annuelle des nouveaux DT2 a été de 1,3 % dans le groupe statines et de 1,2 % dans le groupe placebo, ce qui revient à traiter 1 000 patients pendant un an avec une statine à intensité faible ou modérée pour observer un nouveau DT2 en plus, versus placebo (NNT 1 an = 1 000).

Dans les essais ayant comparé une statine à haute intensité versus une intensité faible ou modérée, il y a eu une augmentation relative de 36 % du risque de nouveau diabète : RR = 1,36 ; IC95 % = 1,25-1,48. En termes de risque absolu, l’incidence annuelle de nouveau DT2 était de 4,8 % dans le groupe haute intensité vs 3,5 % dans le groupe comparateur, soit une différence absolue de 1,3 % ou 77 patients à traiter pendant 1 an pour observer un nouveau DT2 en plus.

Dans chaque essai vs placebo, le taux de nouveau DT2 des groupes placebo était corrélé à la proportion de patients ayant au moins 1 dosage de l’HbA1c. Cette proportion était plus importante dans les groupes traités que dans les groupes placebo et, pour les autres essais, beaucoup plus importante dans les groupes haute intensité que dans les groupes intensité faible ou modérée. Conséquemment, quel que soit le type d’essai, le principal déterminant de l’amplitude de la différence (relative et absolue) entre les groupes était la fréquence des mesures de l’HbA1c.

Chez les patients indemnes de DT2 à l’inclusion, l’augmentation de la glycémie à jeun a été de 0,01 g/L dans tous les groupes statine, quelle que soit l’intensité. De son côté, l’HbA1c a augmenté de 0,06 % dans les groupes statines à intensité faible ou modérée et de 0,08 % dans les groupes haute intensité.

Parmi les patients disposant d’un dosage de la glycémie à jeun à l’inclusion, 62 % étaient dans le quart supérieur de la distribution (entre 1,15 et 1,25 g/l). Enfin, chez les patients DT2 à l’inclusion, le risque relatif d’augmentation de la glycémie à jeun était de 10 % : RR = 1,10 ; IC95 % = 1,06-1,14 chez ceux traités à intensité faible ou modérée et de 24 % : RR = 1,24 ; IC95 % = 1,06-1,44 chez ceux traités à haute intensité comparativement au placebo.

Cette méta-analyse est précieuse et crédible car basée sur les données des plus grands essais publiés depuis vingt ans

COMMENTAIRES

Les résultats de cette méta-analyse montrent que les statines augmentent très modérément le risque de nouveau DT2 et que ce risque est dose-dépendant, en sachant que la majorité des patients indemnes de DT2 et en ayant développé un nouveau avaient une glycémie à jeun à la limite proche de 1,26 g/L à l’inclusion.

D’un point de vue méthodologique, cette méta-analyse est précieuse et crédible car la CTT Collaboration (qui a quand même de nombreux liens d’intérêt) dispose des bases de données des plus grands essais publiés depuis vingt ans. Cela permet de calculer des moyennes ou des médianes basées sur les données individuelles de chaque patient plutôt que de calculer des moyennes ou des médianes basées sur les moyennes et/ou médianes publiées dans les essais. Disposer des données individuelles des patients permet d’être plus précis avec des IC95 %, des écarts-types ou des mini-max plus étroits.

En pratique, cette méta-analyse permet d’avoir une idée précise de la balance bénéfices-risques clinique favorable des statines. D’un côté, l’importante réduction de la morbidité ischémique (IdM, AVC) est bien démontrée dans la littérature et, de l’autre, l’augmentation de l’incidence de critères biologiques (dont l’HbA1c) l’est aussi mais sans avoir la preuve que ces variations sont responsables de complications cliniques (les essais sur quatre ans sont trop courts pour l’observer).

Pour rappel, l’atorvastatine 10 mg et la simvastatine 20 mg sont devenus des médicaments de base pour les patients DT2, quel que soit leur taux de LDL-cholestérol, depuis la publication des essais Cards et HPS (1, 2, 7).

Enfin, lors de la première prescription d’une statine, il est utile de disposer d’une glycémie à jeun pour programmer le rythme de suivi glycémique du patient en lui en expliquant les raisons.

Bibliographie

1. Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaborators. Efficacy of cholesterol-lowering therapy in 18,686 people with diabetes in 14 randomised trials of statins: a meta-analysis. Lancet 2008;371:117-25.
2. Colhoun HM, Betteridge DJ, Durrington PN, et al. Primary prevention of cardiovascular disease with atorvastatin in type 2 diabetes in the Collaborative Atorvastatin Diabetes Study (CARDS): multicentre randomised placebo-controlled trial. Lancet 2004;364:685-96.
3. Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaboration. Efficacy and safety of more intensive lowering of LDL cholesterol: a meta-analysis of data from 170 000 participants in 26 randomised trials. Lancet 2010;376:1670-81.
4. Ridker PM, Danielson E, Fonseca FAH et al for the Jupiter Study Group. Rosuvastatin to prevent vascular events in men and women with elevated C-reactive protein. N Engl J Med 2008;359:2195-207.
5. Sattar N, Preiss D, Murray HM, et al. Statins and risk of incident diabetes: a collaborative meta-analysis of randomised statin trials. Lancet 2010;375:735-42.
6. Preiss D, Seshasai SR, Welsh P, et al. Risk of incident diabetes with intensive-dose compared with moderate-dose statin therapy: a meta-analysis. Jama 2011;305:2556-64.
7. Heart Protection Study Collaborative Group. MRC/BHF Heart Protection Study of cholesterol lowering with simvastatin in 20 536 high-risk individuals: a randomised placebo-controlled trial. Lancet 2002;360:7-22.


Source : Le Quotidien du Médecin