La fraude aux prestations sociales n'en finit pas d'inquiéter les politiques. Après le rapport d'un sénateur début juin, deux parlementaires missionnées par le Premier ministre – la députée Carole Grandjean (LREM, Meurthe-et-Moselle) et la sénatrice Nathalie Goulet (UDI, Orne) – dressent à leur tour un début de constat alarmiste de la fraude sociale, sans pour autant se hasarder à en donner un quelconque montant.
« Une étude de l'Université de Portsmouth estime que la fraude sociale représente 3 à 10 % de l'ensemble des prestations versées, selon les pays européens », avance Nathalie Goulet. Les prestations sociales représentent environ 450 milliards d’euros versés chaque année... Sur ces bases, ce seraient donc plusieurs dizaines de milliards d'euros qui seraient en jeu.
Parfois très surprenantes, les constatations des parlementaires font état de « 110,1 millions de personnes » inscrites au Répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP, qui permet la certification de l'état civil pour les organismes sociaux) dont 89 millions nées en France et 21,1 millions nées à l'étranger, d'après les chiffres communiqués par l'INSEE. Mais rien n'indique que ce surnombre est en soi caractéristique d'une fraude...
Professionnel de santé et fraudeur
Autres approximations des fichiers de l'lNSEE pointées par les parlementaires : 11 000 personnes sont immatriculées « sans nom patronymique » et 3,1 millions de personnes de plus de 100 ans sont « réputées en vie » – un décès n'étant enregistré que lorsqu'un acte de décès a été transmis à l'INSEE ou à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). « Il nous faut des précisions sur les prestations versées ou non afin de déterminer s'il y a une fraude et pour en avoir une estimation chiffrée », tacle Carole Grandjean.
Concernant la fraude aux soins, là encore les chiffres précis font défaut. Mais Nathalie Goulet et Carole Grandjean assurent que « 80 % du montant de la fraude sur des prestations de soins est le fait des professionnels de santé, qui représentent 30 % des fraudeurs ». « C'est par exemple un médecin qui se déplace en EHPAD pour y faire une quarantaine de consultations et qui va facturer 40 déplacements. Ou encore un médecin installé dans l'Est qui a facturé uniquement des déplacements à ski », énumère la députée de Meurthe-et-Moselle.
Pour une carte Vitale à durée limitée
Parmi les premières propositions transmises à Édouard Philippe pour lutter contre cette fraude, les deux élues réclament une expertise complète des fichiers de l'INSEE et du RNIPP par « un organisme indépendant ».
Autre mesure préconisée : la limitation de la durée de vie des cartes Vitale et leur restitution si les conditions de leur prolongation « ne sont pas remplies ». Par exemple, « lorsqu'un assuré quitte le territoire définitivement pour habiter à l'étranger, pour les étudiants Erasmus qui rentrent chez eux ».
Parmi les autres pistes égrenées, les deux élues avancent une obligation pour les allocataires de donner une preuve de vie annuelle, un contrôle accru des prestations versées à des allocataires à l’étranger et des objectifs plus élevés fixés aux différentes caisses de Sécu...
L'Assurance-maladie corrige
Quelques heures après ce constat alarmiste, qui sous-entend un laxisme certain des payeurs, la CNAM a souligné qu'elle menait « tous les ans des campagnes de contrôle de la situation de ses assurés pour lesquels elle ne dispose pas d’informations récemment mises à jour sur leur lieu de résidence ». En l’absence de réponse et de preuve, « l'Assurance-maladie procède aux fermetures de droits des assurés. En 2018, un million de personnes ont été concernées par cette procédure de contrôle », recadre la CNAM, agacée de certaines interprétations après la publication de ces données.
Surtout, lorsqu'un assuré quitte le territoire, il y a bien une « fermeture des droits » soit en cas d’information par les assurés de leur départ du territoire, soit à l’occasion de contrôles, plaide encore l'Assurance-maladie. Entre janvier 2018 et mars 2019, elle a ainsi procédé à la fermeture des droits pour « 129 927 assurés ».
Quant au chiffre de 110 millions de cartes Vitale évoqué dans la presse, il serait « trompeur ». Il comprend les cartes Vitales en cours de validité et 42 millions de cartes invalidées depuis 998 et donc... désactivées, insiste la caisse. Ces cartes « n’ouvrent aucun droit en tant que tel et ne permettent aucun remboursement ».
La polémique sur la dimension de la fraude sociale devrait se poursuivre avec la publication du rapport définitif des deux élues fin septembre.