Grossophobie : les jeunes, force de proposition

Publié le 14/10/2022
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Alors que des patients obèses se plaignent du comportement grossophobe de certains professionnels de santé, des jeunes médecins ont analysé ce ressenti et celui des soignants parfois mal-à-l’aise. Enseigner les causes multifactorielles de la maladie, ne plus centrer les consultations sur l’IMC, lutter contre les préjugés des soignants ou faire intervenir des patients experts, figurent parmi les suggestions.
Face au patient obèse, faut-il insister sur l'IMC ?

Face au patient obèse, faut-il insister sur l'IMC ?
Crédit photo : BURGER/PHANIE

Grossophobie médicale : le terme est de plus en plus utilisé sur les réseaux sociaux. Deux internes du CHU de Grenoble ont proposé une étude sur les comportements ressentis comme tels par des patients à IMC élevé. Leur but : préciser quels gestes ou paroles blessent en consultation de médecine générale afin de lutter contre l'errance médicale – voire l’évitement du milieu de soins – et améliorer la prise en charge globale puisque toutes les pathologies des personnes ne sont pas exclusivement ou partiellement liées à leur poids. Les Drs Aurore Le Merle et Raphaël Payeur (1) ont analysé 104 questionnaires (25 questions) diffusés par le biais de diététiciens auprès de personnes ayant un IMC de plus de 25.

87 % des répondants estimaient avoir déjà vécu de la grossophobie dans le milieu médical. Et plus l’IMC était élevé, plus le ressenti augmentait. Plus préoccupant encore : 64 % des participants avaient déjà arrêté leur suivi médical ou paramédical en raison de discriminations ressenties.

Les patients décrivaient principalement des comportements de type paternalisme (71 %) avec une attitude moralisatrice, mais également de la dévalorisation (58 %) associée à une culpabilisation : « le poids est le coupable idéal de tous les maux », écrivent les auteurs. Un tiers des enquêtés déclare avoir déjà subi des moqueries ou du mépris à leur encontre, 47 % une absence d’empathie et 40 % une négligence. Parmi les signes les plus flagrants de discrimination, les répondants mettent en avant le matériel inadapté (tensiomètre, pèse-personne qui ne va pas au-delà de 110 kg…) et l’examen réalisé sur une chaise en non allongé, de peur que la table de consultation ne supporte pas le poids.

Quels sont les professionnels de santé les plus enclins à se comporter de façon « grossophobe » ? Avant tout, les soignants inconnus (69 % d’appréhension et 46 % de méfiance). Par ailleurs, les spécialistes sont avant tout cités (66 %), alors que les généralistes semblent un peu plus bienveillants (45 % de comportement hostile, seulement…). Fait marquant, les contacts avec les étudiants en santé ne semblent quasiment jamais (3 %) empreints de grossophobie.

Des juniors plus tolérants

Corollaire à ce travail, deux autres médecins grenoblois, les Drs Romain Groslambert et Tiffany Perez, se sont attachés à interroger des internes. Assez loin du ressenti « bienveillant » évoqué dans l'étude précédente, les internes développent quand même – dans l’intimité des entretiens semi-dirigés - des arguments négatifs et stigmatisants : consultations chronophages, examen clinique compliqué, manque de matériel et d’outils adaptés, sentiment d’incompréhension et d’absence de volonté de maigrir, inefficacité des arguments développés, manque de légitimité, manque d’expérience… Mais ces points négatifs sont contrebalancés par leur sentiment d’être face à des patients particulièrement fragiles qu’il faut accompagner de façon très individualisée : ils n’hésitent pas à les inciter à intégrer une prise en charge pluridisciplinaire et sont très en demande de réunions de concertation à leurs propos. Ils sont aussi très conscients de la stigmatisation et gardent une nette volonté de ne pas blesser afin de limiter le risque de rupture thérapeutique. Au final, les Drs Groslambert et Perez estiment que la question du poids est abordée de manière superficielle pendant les études de médecine et que la dimension plurielle de l’obésité n’est pas enseignée.

Leurs collègues internes britanniques vont encore plus loin en ébauchant des pistes pour les études médicales (3). Ils insistent sur la sensibilisation aux causes multifactorielles de l'obésité qui peut contribuer à réduire la stigmatisation et le « blâme des victimes ». Et de rappeler que des facteurs environnementaux, génétiques, liés au mode de vie voire des facteurs inconnus interagissent pour provoquer l'obésité. Ils proposent aussi de remettre en question l'utilisation de l'IMC qui, utilisé de façon systématique, peut aggraver la stigmatisation et nuire à la santé physique et mentale et au bien-être des personnes. À la place, ils proposent d'encourager un « mode de vie satisfaisant et significatif » en mangeant selon sa faim et en pratiquant un niveau raisonnable d'activité.

Enfin, ils estiment que les étudiants doivent s'attaquer aux comportements stigmatisants, qui selon eux constituent de manière involontaire une partie importante de l'enseignement médical, un programme « caché » des études en santé.

(1) Étude des expériences vécues comme grossophobes par les patients en surpoids ou obèses dans le milieu des soins, et les conséquences sur leur prise en charge médicale Aurore Le Merle, Raphaël Payeur. Thèse 2022
(2) Groslambert R, Perez T. Les particularités de la prise en charge globale des personnes obèses : le point de vue des internes de médecine générale de Grenoble, une étude qualitative. These 2021
(3) Fat shaming is stopping doctors from helping overweight patients—here’s what medical students can do about it BMJ 2021; 375 doi: https://doi.org/10.1136/bmj.n2830 (Published 17 November 2021)

Dr Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du médecin