Été, hiver, été, hiver… La ritournelle de la détresse hospitalière est chantée à chaque saison depuis des années dans les 700 services d’urgences, lorsque le nombre de médecins est proportionnellement inverse aux besoins des patients. 2023 n’échappe pas à cette fatalité, malgré les efforts des pouvoirs publics pour inverser la tendance.
Si les urgences ne sont pas les seuls services à souffrir du manque d’attractivité, elles symbolisent la difficulté de l’hôpital public à recruter et fidéliser des médecins et des paramédicaux en nombre suffisant. Toutes spécialités, un poste sur trois à temps plein et un poste sur deux à temps partiel demeurent vacants. Parmi les urgentistes, les anesthésistes et les radiologues, les postes publics en jachère atteignent des sommets.
L'hôpital a frôlé toute l'année la ligne de crête. Dès janvier, le président de Samu-Urgences de France (SUdF), le Dr Marc Noizet, alerte sur le mode de fonctionnement « extrêmement dégradé » dans les hôpitaux et demande le déclenchement d’un plan blanc national pour prendre conscience de « la gravité de la situation ». Outre l’impact de la triple épidémie (Covid, grippe et bronchiolite), le syndicat s’alarme de la saturation du système qui entraîne « une forme d’autocensure des patients, de renoncement aux soins, voire de refus de se rendre aux urgences par peur de nos couloirs ».
Économies « sur le dos des PH »
Sur le terrain, les soignants accusent le coup. Et se battent avec leurs armes. À Thionville, Laval, Creil ou Pontoise, une cascade d'arrêts de travail s'abat sur les hôpitaux en guise de protestation. La perte d'attractivité infuse à tous les niveaux. En juin, le Syndicat des hospitalo-universitaires (SHU) et l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH) font part de leur « extrême inquiétude » face à l’augmentation des démissions, mises en disponibilité et absences de prolongation de carrière des PU-PH.
Le malaise s'installe aussi dans les services et, faute de médecins, la régulation par le 15 et/ou les fermetures ponctuelles des urgences deviennent la règle dans plusieurs dizaines d'hôpitaux au fil de l'été (Manche, Mayenne, Gironde – dont le CHU de Bordeaux – Vosges, Yvelines, etc.).
Excédés, la quasi-totalité des syndicats de praticiens hospitaliers appellent à faire grève des soins urgents et non urgents les 3 et 4 juillet. Et pour cause : les négociations entamées avec le ministère au printemps sont suspendues depuis mai. Pour sortir l’hôpital public de l’ornière, les PH réclament la revalorisation de la permanence des soins (gardes et astreintes), la réévaluation de leur grille salariale statutaire et le rattrapage de l’ancienneté pour les médecins nommés avant 2020. Mais le dialogue tourne court. « Bercy refuse de débloquer le budget nécessaire pour financer des mesures d’attractivité », cingle le Dr Jean-François Cibien, président d’Action praticiens hôpital (APH) qui accuse le gouvernement « de faire des économies sur le dos des PH ».
De fait, le ministère de l'Économie est en embuscade, soucieux de tourner la page du quoi qu'il en coûte : le déficit global des hôpitaux, proche du milliard d’euros, a doublé depuis le début de la crise sanitaire. Construit dans un souci d'économies, le budget de la Sécurité sociale pour 2024, malgré une évolution des dépenses de santé (Ondam) de + 3,2 %, n'augure pas de meilleurs auspices.
Le secteur privé n’est pas mieux loti, les cliniques souffrant d’un manque cruel de soignants spécialisés (infirmiers de blocs et anesthésistes). De nombreux établissements tournent au ralenti et, en novembre, le président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) Lamine Gharbi sonne à son tour le tocsin : plus d'une clinique sur deux finira l'année dans le rouge sans une aide massive de l’État pour compenser l’inflation.
Bonne foi
Mais il serait faux de dire que les alertes des soignants ont sonné dans le vide tout au long de l'année. À plusieurs reprises, l'État a donné des gages de bonne foi aux hospitaliers. Lors de ses vœux aux soignants le 6 janvier, Emmanuel Macron a tenté de redonner espoir à l'hôpital en plaçant les enjeux d'attractivité au cœur de son discours, évoquant la gestion des carrières, les formations, l'organisation du temps du travail, les plannings ou la gouvernance…
La Loi Rist, entrée en vigueur en avril, avait également l'ambition, avec l'encadrement des tarifs de l'intérim médical, d'apporter un second souffle aux établissements parfois étranglés par les dérives. Mais faute de valorisation des PH en poste, ce tour de vis sur l'intérim a provoqué aussi des effets secondaires délétères et la fermeture de dizaines de services, faute d'urgentistes et d'anesthésistes.
C'est finalement à la sortie de l'été que le gouvernement a marqué des points en annonçant des revalorisations salariales pour les sujétions et le travail de nuit, avec une enveloppe globale d'un milliard d'euros. Jusque-là provisoire, la revalorisation de 50 % des gardes des médecins est pérennisée et élargie au privé. La réaction prudente du président de la Fédération hospitalière de France (FHF) illustre malgré tout l'inquiétude du secteur. Heureux de ce « signe fort adressé aux soignants », Arnaud Robinet y voit un geste insuffisant pour « répondre aux enjeux d’attractivité et de fidélisation à l’hôpital ». En 2024, tout reste à construire.
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