C'est un rappel à l'ordre adressé au secteur privé lucratif que les « sages » de la rue Cambon viennent de publier sous la forme d'un référé à la ministre de la Santé Agnès Buzyn. Il fait suite au contrôle en 2018 de 16 cliniques MCO, situées dans 11 régions, pour un chiffre d'affaires de 800 millions d'euros.
Si les magistrats saluent les établissements privés pour leur réactivité, leur « capacité d'adaptation organisationnelle » et leur leadership dans les prises en charge innovantes (taux de chirurgie ambulatoire à 61,9 % contre 48,2 % dans les centres hospitaliers, développement de la récupération rapide après chirurgie – RRAC), la Cour pointe leur manque de transparence comptable, la relation souvent opaque entretenue avec les médecins libéraux et le défaut de régulation par le ministère et les agences régionales de santé (ARS).
« Les contrôles ont montré l'absence fréquente de comptabilité analytique […], notent les magistrats. À l’inverse, ces mêmes cliniques semblent faire le choix d'un suivi de l'activité souvent fin et resserré, notamment à l'égard des médecins qui ne généreraient pas un volume d'activité suffisant. » Dans la même veine, les données financières et de gestion existantes sont jugées incomplètes et peu robustes.
La Cour rappelle que le secteur privé lucratif a conservé une activité dynamique malgré des baisses tarifaires entre 2014 et 2017. Pour compenser ce manque à gagner, le nombre de séjours et séances a augmenté de 2,1 % par an. « Au total, la progression de l'activité, supérieure à la baisse des tarifs, a permis la croissance du chiffre d'affaires », passant de 769 millions d'euros à 795 millions d'euros entre 2014 et 2016 sur les cliniques étudiées.
Médecins en position de force
La Cour s'est penchée sur la situation des praticiens en clinique, relevant qu'« ils sont souvent en situation d'exploiter à leur avantage une position de force », compte tenu des difficultés de recrutement notamment dans certaines spécialités. « Les situations extrêmes de monopole local ne sont pas rares chez les radiologues ou les biologistes », peut-on lire. La Cour pointe d'ailleurs une décorrélation croissante entre le CA des cliniques et les honoraires médicaux…
Parfois « sources de tensions », les dépassements d'honoraires, certes très hétérogènes, « ont nettement augmenté, plus vite que les honoraires eux-mêmes ». Dans le panel, la médiane de dépassements est de 15,4 % en 2016 contre 11,8 % en 2014. La stomatologie et la chirurgie connaissent un taux de dépassement de plus de 50 %. Au niveau national, les dépassements ont grimpé de 765 millions d'euros en 2012 à plus d'un milliard en 2017 (+31 %). On touche au cœur de la relation complexe entre praticiens et cliniques – les secondes devant fidéliser les premiers pour rester compétitives tout en contrôlant leurs dépassements « du fait d'un risque d'image et du déport consécutif de la patientèle », analysent les magistrats.
La Cour déplore aussi le manque de « connaissance claire des reversements effectués par les praticiens » libéraux aux cliniques dans le cadre de leur contrat d'exercice libéral. Surtout, rien ne garantit que ces redevances reflètent la réalité des coûts supportés par les établissements, comme l'exige la loi, pointent les magistrats.
La Cour suggère in fine de « renforcer les outils de régulation des cliniques » (dont disposent les ARS) et de « faire remonter par établissement et par territoire les données concernant les honoraires perçus par les médecins ». Le secteur privé lucratif se pliera-t-il aux recommandations ? « Nous allons examiner cela sans urgence », temporise Lamine Gharbi. Le président de la FHP doit rencontrer les magistrats le 5 juillet.
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