Pierre Catoire a toujours eu la bougeotte. « Je ne reste jamais très longtemps au même endroit, toutes mes affaires tiennent dans trois sacs : quelques fringues, deux bouquins, mes papiers et un peu de matériel perso… », confie le jeune médecin de 31 ans. Après avoir suivi son externat à Lille, son internat et deux ans de clinicat à Bordeaux, le diplômé de médecine d’urgence achève une 3e année de clinicat à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP). Il poursuit ses activités de recherche au sein de la Fédération hospitalo-universitaire Impec (IMproving Emergency Care), première fédération de recherche en médecine d’urgence en France. En parallèle, il prépare une thèse en maths appliquées à l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (Isped) sur les modèles de décisions de l’incertitude.
Un ex-patron de l’Anemf passionné de la question politique
Depuis quelques années, le Dr Pierre Catoire trouve aussi le temps de participer à des missions humanitaires pendant ses congés. Est-ce uniquement l’appel de l’aventure ou la frustration d’assister à la dégradation de l’hôpital public en France qui le pousse à s’engager à l’étranger ?
Très intéressé par la question politique, l’ancien président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) en 2012-2013, se dit profondément agacé par le manque de moyens de l’hôpital. « Les soignants sont à bout. Si un médecin de 30 ans veut faire bouger les choses, ce n’est pas dans les hôpitaux en France qu’il faut le faire mais dans l’humanitaire », assène le jeune médecin, qui a pris une part active aux manifestations des urgentistes au CHU de Bordeaux au début de l’année 2022 comme l’atteste cette interview accordée à France 3. Des tentes avaient alors été dressées dans le SAS des Urgences de l'hôpital Pellegrin à Bordeaux pour faire face à un afflux de patients à soigner. « On a monté un collectif, organisé des manifs, des grèves, la minute de silence. Nos actions ont fait du bruit, nous avons été écoutés mais pas entendus, le résultat a été quasi-nul. »
Il aurait pu faire de la politique à l’instar d’Olivier Véran, vice-président de l’ISNI devenu ministre de la Santé « J’ai hésité, confesse-t-il, mais je ne voulais pas de ce quotidien, et devoir dire oui à 90 % de choses que je ne voulais pas faire. La vraie question a été de savoir si j’allais continuer la médecine. »
De Mayotte à l’Ukraine
Ces dernières années, il a trouvé un nouveau sens à son engagement en se tournant vers des actions humanitaires et d’autres équivalentes à celles de la réserve sanitaire.
Il participe à des missions ponctuelles aux urgences et au SMUR de Mayotte à l’appel de l’ARS pour combler le manque de personnel soignant. Après une pige en mars dernier, il y retourne en septembre pour aider à monter une équipe paramédicale en médecine d’urgence (EPMU).
En mars 2022, il est parti en Ukraine alors que venait d’éclater le conflit pour prêter main-forte dans les hôpitaux du pays. Pendant trois semaines de congé, au sein d’une association, il est venu en aide aux personnes déplacées. « Nous avons eu quelques personnes en déshydratation très sévère et des plaies mineures. Nous avons fait beaucoup de logistique en aidant à trier les boîtes de médicaments, nous sommes aussi intervenus pour faire des évacuations médicalisées. » Il retournera en Ukraine un mois plus tard avec Mehad (ex-UOSSM), l’association l’ayant recruté comme coordinateur de la formation en échographie d’urgence. Il passe une semaine avec une douzaine de médecins et infirmiers ukrainiens pour leur enseigner les bases de l’échographie, afin qu’ils deviennent eux-mêmes formateurs dans leur pays. En un peu plus d’un an, 1 600 à 1 700 médecins ukrainiens ont ainsi été initiés à l’échographie d’urgence à Lviv, Kharkiv et dans le sud du pays.
Pas un héros
Pierre Catoire refuse qu’on lui colle l’étiquette de héros des temps modernes. « Beaucoup de gens sont allés en Ukraine pour aider mais ils n’étaient pas toujours très utiles. Cela m’a amené à m’interroger sur le sens de mon action : Est-ce que prendre cette mission, c’est pour se rendre utile ou pour avoir une belle histoire à raconter ? » Le jeune médecin précise que son engagement peut être vu comme narcissique. « Je le fais pour me rendre utile mais aussi un peu pour moi », reconnaît-il.
Le jeune médecin avoue avoir beaucoup de considération pour le Dr Rony Brauman, qui a présidé Médecins sans frontières de 1982 à 1994 pour son « incroyable vision de l’humanitaire ». Il a aussi été marqué par une rencontre avec le Dr Anne-Marie Guilleut-Gouvet, autrice de « Les Ailes de la vie », journal de bord de ses missions humanitaires. « J’étais interne et de garde et ai été appelé au chevet d’un homme en fin de vie qui était en détresse respiratoire, se souvient Pierre Catoire. J’ai appelé la réanimatrice de garde pour avoir son soutien, elle faisait une pige et elle m’a beaucoup aidée, a été ultra-humaine. »
Dans un monde de la santé en crise, quelle serait sa recette pour s’épanouir dans son métier de médecin ? « Si on me donnait une baguette magique, je ferais 9 à 10 mois par an de médecine humanitaire et le reste du temps, j’exercerais à l’hôpital pour garder la main car il est primordial de conserver le savoir-faire. »
Enfant d’une enseignante et d’un informaticien, le Dr Catoire confie avoir peu d’attaches. « Je ne veux pas de point fixe, je ne veux pas d’enfant. » L’urgentiste aimerait faire de l’humanitaire pendant encore une vingtaine d’années. Ayant à cœur de transmettre, il imagine se lancer ensuite dans l’enseignement classique pour participer à la formation des futurs urgentistes. Il rêve de monter un DU de médecine d’expédition.
Bientôt l’Antarctique ?
L’an prochain, s’il obtient l’autorisation du General Medical Council, (l’Ordre des médecins britannique), le Dr Catoire ira mener un projet de recherche dans un hôpital à Londres. En 2025, il espère partir exercer un an en tant que médecin dans une base en Antarctique, où pendant les six mois de glaciation, se posent des problèmes d’évacuation sanitaire. « Il faut être formé pour être capable d’opérer une appendicite, réaliser des soins dentaires ou ophtalmos… »
Fallait-il y voir un signe ? Plutôt que celui d’Hippocrate, ce globe-trotteur engagé avait prêté le serment de Genève « plus international et plus moderne ».
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