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Dossier

Prise en charge améliorée, leçons de la première vague

« Ce virus, on commence à le connaître ! » : au CHU de Bordeaux, les équipes de réanimation soudées dans l'adversité

Par Martin Dumas Primbault - Publié le 24/11/2020
« Ce virus, on commence à le connaître ! » : au CHU de Bordeaux, les équipes de réanimation soudées dans l'adversité

Au CHU de Bordeaux, la durée moyenne de séjour des patients Covid admis en réa est passée de 19 à 10 jours entre les deux vagues
SEBASTIEN TOUBON

Au CHU de Bordeaux – qui a ouvert ses portes au « Quotidien » – comme à l'hôpital de la Timone, à Marseille,  les équipes de réanimation font le même constat. L'expérience précieuse de la première vague Covid, les traitements pour les patients sévères et la solidarité dans l'épreuve permettent de supporter ce deuxième choc. Mais les personnels de réa sont épuisés et redoutent déjà une troisième vague…

Une grande sérénité règne au service de réanimation médicale de l'hôpital Pellegrin (CHU de Bordeaux), ce mercredi 18 novembre. Le ballet bleu et blanc des soignants est calibré, millimétré. Comme dans une ruche, chacun est à son poste. Certains manipulent les patients. D'autres s'animent dans les couloirs pour s'équiper ou préparer le matériel. Les gestes sont calmes, précis et les visages concentrés. Entre deux échanges à voix basse, seul le bip-bip des machines vient troubler le silence des lieux.

Le pic de la seconde vague de Covid-19 vient pourtant d'être atteint au CHU de Bordeaux. Il risque de durer encore plusieurs jours. Dans une chambre de l'aile numéro 1 du service − où a été accueilli en janvier l'un des premiers patients contaminés d'Europe − quatre des cinq boxes sont occupés par des personnes atteintes d'une forme grave de la maladie. Depuis une dizaine de jours, un homme de 70 ans sédaté et ventilé occupe un lit. Le virus a provoqué une surinfection pulmonaire ainsi qu'une défaillance rénale nécessitant une dialyse en plus de l'assistance respiratoire lourde.

Scénario différent

Il fait partie de la vingtaine de patients Covid pris en charge en réanimation à Pellegrin. Au printemps, ce chiffre était monté à 33 pour 25 lits disponibles en temps normal. Le service avait réussi à pousser les murs grâce à la déprogrammation massive alors imposée au niveau national. Le service de réanimation chirurgicale adjacent avait été vidé de ses malades et les soignants de tout l'hôpital rendus disponibles pour prêter main-forte.

Cette fois le scénario est différent. La Nouvelle-Aquitaine figure parmi les régions les moins touchées par la reprise épidémique. Le CHU de Bordeaux n'a pas eu à déprogrammer plus de 13 % de son activité. « Nous faisons de la haute couture, service par service et au jour le jour », expose Yann Bubien, directeur général.

« Nos patients s'améliorent plus vite »

En réalité, la deuxième vague est là mais ses effets sont lissés. « Il ne faut pas s'y tromper, depuis août nous avons eu deux fois plus de patients Covid qu'en mars/avril mais ils restent moins longtemps », précise le Pr Didier Gruson, chef du service de médecine intensive et réanimation.

Le PU-PH de 57 ans met en évidence les effets bénéfiques des nouvelles recommandations thérapeutiques de l'OMS émises en septembre. « Il faut se souvenir qu'au printemps nous n'avions pas de traitement alors qu'avec la corticothérapie pour les patients sous oxygène, on réduit d'environ une semaine l'hospitalisation en réa », estime-t-il. Cette prise en charge permet d'accélérer le turnover des patients sans craindre pour autant le débordement. Selon les chiffres de la direction de l'établissement, la durée moyenne de séjour des patients en réanimation aurait diminué de moitié entre la première et la deuxième vague.

Trois étages plus haut, au sein du service des maladies infectieuses et tropicales, on fait le même constat. « Nos patients s'améliorent plus vite et on a l'impression qu'on a moins besoin d'en faire descendre en réanimation », avance le Dr Arnaud Desclaux. Sur les 50 lits de son unité, 20 seulement ont été occupés simultanément par des patients Covid contre 30 lors du pic d'avril. Et grâce à la déprogrammation mesurée, le service peut, comme en réa, continuer à accueillir les autres pathologies.

Au SAMU aussi, la deuxième vague ne ressemble en rien à la première. Au début du premier confinement, les 120 lignes téléphoniques de la régulation avaient été saturées pendant plusieurs jours (la consigne étant d'appeler le 15). « Aujourd'hui, le Covid-19 ne représente que 3 ou 4 % des appels au SAMU », illustre le Pr Xavier Combes, chef de service.

« Formée pour combattre »

Non seulement le CHU de Bordeaux a pu éviter la saturation, mais il a en outre accueilli des patients d'autres régions. Six transferts lors de la première vague et huit depuis le début de la deuxième, tous admis en réanimation. Le Pr Gruson tire le chapeau à son équipe, « formée pour combattre » et qui a su très rapidement tirer les leçons du printemps. « Ce virus, on commence à le connaître ! », lance-t-il.

Au contact des patients, les paramédicaux du service ont perfectionné leurs gestes et gagné un temps précieux. Pour s'habiller et prendre en charge les malades, « tout le monde sait faire maintenant ». Qui plus est, « la réanimation Covid est finalement très stéréotypée, les malades ne sont pas particulièrement complexes », ajoute le Pr Gruson.

Contrairement au mois de mars, il n'y a pas eu non plus besoin de faire appel à du renfort des autres services. Une solution de dernier recours qui peut s'avérer laborieuse pour les professionnels de réa chargés de former au pas de charge des collègues parfois inexpérimentés.

Le recul acquis sur le virus a permis d'apaiser les craintes de contamination. « Maintenant, on sait qu'un patient ventilé est peu contagieux tant que le respirateur reste bien branché », explique le Dr Philippe Boyer, chef de clinique. C'est un poids important enlevé aux personnels qui ne craignent plus de contaminer leurs proches lorsqu'ils rentrent chez eux.

Épuisement

Entre les soignants, l'ambiance est fraternelle. « Cette épreuve, ça a soudé les équipes », affirme Fanny Domer, infirmière de 30 ans. Un pull à l'effigie du service a même été imprimé en souvenir de la première vague. Sur le torse, au-dessus d'un coronavirus à visage humain mais masqué, trônent fièrement trois lettres : « MIR » pour « médecine intensive réanimation ».

Mais huit mois après le début de la pandémie, une fatigue intense se fait sentir. La crise a eu l'effet d'un tunnel. « On a l'impression que la première vague, c'était hier », témoigne Fanny Domer, qui travaille dans le service depuis 7 ans. Alors que les effectifs étaient complets jusqu'à l'été, quatre de ses collègues sont en arrêt maladie pour épuisement professionnel. « Bizarrement, le contrecoup est arrivé très tard, au mois de septembre », explique l'infirmière. « Les personnels en ont marre, tout revient à la surface, le manque de moyens comme l'insuffisance du Ségur, résume le Pr Gruson, il ne faudrait pas que ça dure… »

Malheureusement, le PU-PH ne se fait pas beaucoup d'illusions, tout comme la majorité de ses collègues qui redoutent la troisième vague. « Je suis confiant jusqu'à Noël mais après on va s'en reprendre une, c'est certain, présage-t-il. À Bordeaux en tout cas, on s'attend à revivre ça par séquence, du moins jusqu'à l'arrivée d'un vaccin. »

Martin Dumas Primbault