Après avoir exploré les mécanismes explicatifs de la dépression chez les professionnels de santé, le troisième volet de l'étude Amadeus, dirigée par le Dr Guillaume Fond et qui vient d’être publié dans le « Journal of nursing management », analyse la manière dont ils sont pris en charge.
À la sortie de la troisième vague de Covid (entre mai et juin 2021), une équipe de chercheurs de l'AP-HM, de la faculté des sciences médicales et paramédicales de Marseille et de la Fondation FondaMental de Créteil a interrogé 10 325 soignants sur leur état de santé mentale. Plus de la moitié des médecins hospitaliers étaient en burn-out et un tiers en dépression (32%), selon les premiers résultats de l'étude.
9 % des soignants en rémission
Ce troisième volet précise que près de 80 % d'entre eux ont déclaré avoir des antécédents d'épisode dépressif (près de 30 % rapportaient avoir fait plus de trois épisodes). La dépression est donc « une problématique chronique chez beaucoup de soignants », résume le Dr Fond.
Malgré cela, à peine 23 % d'entre eux prenaient des antidépresseurs (contre 8 % des médecins) et environ 13 % déclaraient être suivis par un psychiatre. D’autre part, seuls 9 % d’entre eux étaient en rémission de leur dépression. « Les soignants sont censés être exemplaires sur le plan de la santé, mais cela montre bien ce n’est pas le cas », analyse le psychiatre de l’AP-HM.
L’étude a également identifié les facteurs associés à la dépression des soignants : 20 % d’entre eux consommaient des anxiolytiques en 2021, 30 % d’entre eux des hypnotiques. Selon le Dr Fond, il s’agit de « consommations régulières, et non ponctuelles ». Comme la population générale, les professionnels « prennent trop d’anxiolytiques et d’hypnotiques, mais pas assez d’antidépresseurs qui sont pourtant le traitement adapté à leur état de santé », observe le Dr Fond.
Effets négatifs des anxiolytiques
Si les benzodiazépines favorisent l'acide gamma-aminobutyrique (GABA), le principal neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central, ils ont en revanche des « effets négatifs au long cours sur la dépression », précise le psychiatre. Conséquence : « Les personnes sous anxiolytiques ont moins d’énergie, des problèmes de concentration, de motivation, de sommeil… Tout cela entraîne de la dépression persistante. »
Autre problème de taille des anxiolytiques : le risque de dépendance quand ils sont consommés sur une trop longue durée. Le médecin marseillais conseille donc de les consommer de manière ponctuelle. Si la consommation se prolonge – au-delà d’un mois pour les hypnotiques, et au-delà de trois mois pour les anxiolytiques, il est « nécessaire d’être suivi par un psychiatre », recommande le Dr Fond.
L’étude a également mis en lumière d’autres facteurs de risque de dépression : 21 % des soignants avaient une maladie chronique, 14,5 % étaient en état d’obésité (contre 17 % dans la population générale). D’autre part, 24 % des professionnels étaient des fumeurs et 25 % d’entre eux avaient une consommation d'alcool à risque. Enfin, à peine 55 % des soignants avaient « le niveau d’activité physique recommandé suffisant ».
Taux élevés de consommation d'alcool chez les médecins
Les auteurs de l’étude ont aussi découvert que les professionnels dépressifs travaillant dans les services de psychiatrie étaient légèrement mieux pris en charge pour leur dépression. Mais, dans le même temps, ils consommaient plus d'anxiolytiques et d'hypnotiques et présentaient plus de facteurs de risque de dépression (dont le tabagisme et la consommation d'alcool à risque). Le Dr Fond rappelle d’ailleurs que « la consommation de tabac entraîne de la dépression », que « les fumeurs sont plus dépressifs que les non-fumeurs ». Il a d’ailleurs coordonné une étude sur le sujet.
Quant aux médecins, ils ont rapporté des taux plus élevés de consommation d'alcool à risque (26,7 %) que les autres professionnels (contre 16 % chez les infirmières et 9 % chez les aides-soignantes). En revanche, les infirmières, les aides-soignantes et les cadres de santé avaient des taux plus élevés de tabagisme et deux fois plus d'obésité que les médecins (13 %, contre 32 % chez les aides-soignants).
Le psychiatre tient également à rappeler que « les conditions de travail sont le principal facteur de dépression » chez les professionnels. Le deuxième volet de son étude avait découvert que le premier facteur de risque de dépression chez les soignants était le burn-out. Toutes catégories confondues, 84 % des dépressifs était en burn-out, contre 43 % chez les non-dépressifs. Le deuxième facteur était le harcèlement professionnel : 55 % en avaient été victimes chez les dépressifs, contre 33 % chez les non-dépressifs.
D’où l’importance d’améliorer les conditions de travail à l’hôpital. D’autant plus que la réduction du taux de dépression chez les soignants pourrait à terme « améliorer la qualité des soins, limiter le burn-out, le turn-over, les erreurs médicales et l'absentéisme et globalement améliorer le bien-être au travail des soignants et donc celui des patients », conclut l’étude.
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