Au lendemain des annonces faites par Brigitte Bourguignon au congrès des Urgences ce mercredi 8 juin, syndicats d'hospitaliers et de médecins libéraux semblent plutôt déçus et attendent davantage du gouvernement. Ils réfutent aussi l'idée d'une « instrumentalisation politique », évoquée par la ministre.
Pour la Dr Emmanuelle Durand, présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (Snphare), les annonces de la ministre montrent que le gouvernement « n’a pas d’autres solutions que de sortir le portefeuille pour garder les gens à l’hôpital ». Malgré le doublement de leur rémunération, il est possible que « les soignants refusent des heures supplémentaires », poursuit l’anesthésiste-réanimatrice du CHU de Reims. Selon elle, « les gens jettent l’éponge, même si vous leur donnez plus d’argent ». La présidente du Snphare n’est pas sur la même longueur d’onde que Brigitte Bourguignon qui refuse l’idée que « le système s’effondre ». Pour la Dr Durand, « l’hôpital s’écroule, il est à terre, les services et les blocs ferment partout ».
Dégâts collatéraux
Du côté de l’intersyndicale Action praticiens hôpital (APH), les propositions de Brigitte Bourguignon ne sont pas à la hauteur des enjeux. Le syndicat rappelle que le doublement de paiement du temps de travail additionnel (TTA), reste « à la discrétion des ARS, puis des directeurs d’hôpitaux ». À tel point que c’est « en regardant leur fiche de paie que les praticiens savent a posteriori si leur surinvestissement (…) est valorisé ou pas ». APH demande donc l’augmentation de la rémunération du TTA - actuellement 25 euros nets de l’heure – « de manière pérenne », mais aussi une revalorisation « substantielle et immédiate de la permanence des soins hospitalière » ou l’ouverture du chantier du temps de travail et de la pénibilité.
Joint par « Le Quotidien », son président, le Dr Jean-François Cibien, aurait aussi aimé que ces heures supplémentaires ne soient pas soumises à l'impôt en levant « le plafond de la défiscalisation (5 000 euros/an), comme cela a été fait en 2020 ». Quant à la proposition visant à permettre aux élèves infirmiers et aides-soignants d’exercer plus tôt, elle pourrait, comme durant la crise sanitaire, faire des « dégâts collatéraux », juge l’urgentiste du Centre hospitalier d'Agen-Nérac.
« Point de rupture »
Même son de cloche du côté du collectif inter-hôpitaux (CIH), à l’image du Dr François Salachas. Pour le neurologue de la Pitié-Salpêtrière, « on reprend des mesures qui ont montré leur inefficacité. Et ce n'est pas avec ces heures supplémentaires majorées que la confiance va revenir », a-t-il déclaré à franceinfo. Et d'interroger : « Où sont les efforts importants pour changer la nature même du travail actuellement dans les hôpitaux publics, à savoir la souffrance qui est liée au fait de mal faire son travail et de maltraiter les patients ? »
Jeunes Médecins, de son côté, a rappelé la ministre « à la triste réalité ». « Le système de santé s’effondre bel et bien et depuis longtemps, assure le syndicat du Dr Emanuel Loeb. On a conduit les mêmes politiques, avec les mêmes effets : réduction des moyens donnés aux hôpitaux publics et à la formation des soignants, absence ou faiblesse des revalorisations salariales qui ne sont pas à la hauteur de la pénibilité des métiers, problème de gouvernance hospitalière et du système de santé. » La structure estime que « ce ne sont pas les plaintes des soignants » qui donnent une mauvaise image du système de santé, mais plutôt le manque de courage des dirigeants politiques.
Plus loin, plus vite
Également interrogé sur franceinfo jeudi matin, le Pr Rémi Salomon, président de la conférence des présidents de CME de CHU, a qualifié de « tout début » les annonces de la ministre sur les heures supplémentaires, estimant qu'il faut aller « plus loin et plus vite ». « On est arrivé à un point de rupture, à une bascule, avec une sorte de découragement, de désengagement des soignants », a dit le Pr Salomon. Le néphrologue rappelle qu'il faut également mieux payer les gardes et astreintes des soignants.
Seule la Fédération hospitalière de France (FHF) s'est montrée un peu moins critique. Elle estime que ces premières mesures étaient « indispensables » et attend des « décisions urgentes plus structurantes pour garantir l’accès au premier recours, la réponse aux soins non programmés et la permanence des soins » dans chaque territoire. Son président, Frédéric Valletoux, attend également que la « mission flash » débouche sur « des transformations de fond ».
Déconnexion de la réalité
Du côté des libéraux, l’UFML-S a vivement réagi aux propos de la ministre, qui a dit mercredi qu'elle n'acceptera « ni d'instrumentalisation politique, ni que l'on fasse croire aux Français que partout le système s’effondre ». Alors que « le sentiment de tenir à bout de bras, sans moyen, sans écoute, notre système de santé, est global chez tous les soignants, voir la ministre de la Santé penser qu’il s’agit d’une manipulation, pose question. Est-elle déconnectée de la réalité de ce que vivent chaque jour, chaque nuit, chaque heure, les soignants et les patients de France ? », déplore le généraliste de Fronton. Son syndicat a dit vouloir apporter son soutien aux soignants, de l’hôpital à la ville, qui auraient été blessés par cette déclaration.
Toujours chez les libéraux, le SML estime que le système de santé est en train de collapser et invite la ministre à agir rapidement. Il se prononce en faveur de la mobilisation des médecins retraités, dans des conditions attractives et appelle à rouvrir les lignes de permanence des soins en établissement. Outre la mise en place du SAS, le SML, qui participera « volontiers » aux travaux de la mission flash, souhaite aussi la mise en place d'hospitalisations directes dans les services, à la demande du médecin libéral.
Principe de tri
Lors d'une conférence de presse, jeudi après-midi au Congrès, le président de l'association Samu-Urgences de France, François Braun, a affirmé que l'accès aux urgences « ça ne peut plus être open bar » et défendu un « principe de tri » des patients. Selon lui, il faut aussi « arrêter de faire croire que l'on peut avoir partout des urgences ouvertes 24 heures sur 24, sept jours sur sept ». Quitte pour cela à en filtrer l'accès, via un appel préalable au 15, comme certains hôpitaux ont dû s'y résoudre récemment. Notamment à Cherbourg, où le président de la République s'est rendu la semaine dernière et où « ça marche, il n'y a pas de perte de chance » pour les malades, a assuré l'urgentiste.
Un principe de tri est selon lui nécessaire soit par la régulation téléphonique, soit à l'entrée des urgences, pour traiter en priorité les urgences vitales et réorienter les autres patients vers des médecins de garde, ou des consultations sur rendez-vous selon les cas. Il n'a toutefois pas précisé si cette piste figurerait parmi les conclusions de sa mission flash, attendues avant le 1er juillet.
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