La situation ubuesque des Padhue, ces médecins à diplôme étranger exerçant dans les hôpitaux français va-t-elle enfin changer ? Jeudi 18 janvier, plusieurs dizaines d’entre eux se sont retrouvés une fois de plus sous les fenêtres du ministère de la Santé pour témoigner de leur situation ubuesque. Que l’on peut résumer ainsi : les hôpitaux publics ne peuvent tourner sans eux mais la précarité de leur statut les fait vivre avec la peur constante de perdre leur autorisation d’exercice voire d’être expulsés du pays.
Signe d’un bougé des pouvoirs publics, le cabinet de la nouvelle ministre de la Santé Catherine Vautrin a accepté de recevoir pendant une petite heure une délégation. Signe aussi que toute prise de position du Président de la République a des conséquences directes rapides. Deux jours plus tôt, lors de sa conférence de presse, Emmanuel Macron avait assuré que « nombre de médecins étrangers qui tiennent parfois à bout de bras nos services de soins seraient régularisés ». Le 17 janvier, 220 médecins dont le très médiatique urgentiste Mathias Wargon signait une tribune sur Lepoint.fr réclamant à l’Etat d’agir pour sortir les Padhue de la nasse.
« La médecine, c’est de la pratique, pas de la théorie »
Ève, 36 ans, médecin gériatre dans un Ehpad d’Agen depuis 2019, présente à la manifestation, est peut-être déjà une victime de la folie administrative qui cadre les conditions d’exercice des Padhue. Originaire du Cameroun et diplômée en Côte d’Ivoire, elle a déjà passé deux fois les épreuves de vérification des connaissances (EVC) sans succès, même si elle a obtenu largement la moyenne. Elle prend en charge au quotidien avec une autre gériatre 183 résidents. Alors que son chef de pôle se bat depuis des mois pour la garder dans ses effectifs aussi bien en envoyant des courriers à l’administration qu’à l’agence régionale de santé, rien n’y a fait : son contrat va prendre fin la semaine prochaine. Elle est consternée par cette situation : « La médecine, c’est de la pratique, pas de la théorie », s’indigne-t-elle. Si elle se retrouve sans emploi, au RSA, elle va pouvoir consacrer tout son temps à bûcher pour réussir les EVC.
« Faut-il que les hôpitaux continuent de désobéir aux instructions du Centre national de gestion pour que les services puissent tourner ? »
Sadek, 34 ans, pharmacien biologiste à l’Hôpital européen Georges-Pompidou
Une autre médecin oncologue raconte au micro à la cantonade son parcours : « La France a rejeté mon diplôme algérien. J’ai galéré dix-sept mois pour obtenir un poste alors que je réside en France. Je représente tous les Français à la double nationalité. Le Conseil national de gestion (CNG) a supprimé 13 postes de ma spécialité. Avec 12 de moyenne, nous nous retrouvons sans équivalence. La France doit trouver des solutions pour tous mes confrères qui ont trimé pendant des années. »
Quatre postes pour 200 inscrits
Farah, 34 ans Tunisienne, pharmacienne biologiste, est arrivée en France en septembre 2019. L’hôpital Tenon qui l’emploie et où elle est la plus ancienne de son service, a prolongé son contrat jusqu’en juin 2024, mais sans assurance après cette date d’un autre sursis. Les EVC dans sa spécialité n’ont ouvert que 4 postes pour 200 inscrits en 2023, ce qui donne peu d’espoir de réussite. « À deux mois près, j’ai raté la possibilité d’être incluse dans la loi Stocks (dispositif qui permettait d’être titularisé sur constitution de dossier, NDLR). Nous n’avons aucune visibilité. Du jour au lendemain, on décrète que nous n’avons plus les compétences alors que nous avons exercé pendant toutes ces années sans être obligés de passer les EVC. C’est un manque de respect total », déplore-t-elle. Pire, elle constate que déjà beaucoup d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) ont été prononcées contre certains de ses collègues qui mathématiquement n’ont pu bénéficier d’autorisations de travail pour être en mesure de renouveler leur visa.
Un concours d’excellence, pas une épreuve d’évaluation
Sadek, 34 ans, est dans la même situation que Farah, également en France depuis 2019. Il est aussi pharmacien biologiste, mais exerce à l’Hôpital européen Georges-Pompidou. Il a eu son diplôme en Tunisie (doctorat en pharmacie et spécialisation en biologie médicale). Mais il a été maintenu à son poste pour un an supplémentaire jusqu’au 31 décembre 2024. Les EVC dans sa spécialité octroyaient deux lauréats pour 300 candidats. Il s’interroge : « Faudra-t-il licencier les 298 autres personnes déjà en poste pour la plupart ? La moitié des services hospitaliers vont fermer si aucune solution de régularisation n’est apportée ». Et de s’étonner de la difficulté des EVC qui sont selon ce praticien « un concours d’excellence, et pas une épreuve d’évaluation des connaissances ». Ce professionnel perçoit 2 000 euros net mensuels et doit postuler pour chercher des gardes dans d’autres établissements. Et de se questionner : « Faut-il que les hôpitaux continuent de désobéir aux instructions du Centre national de gestion pour que les services puissent tourner ? »
Oury, 35 ans, est médecin néphrologue au centre hospitalier de Laon. Il a acquis une compétence en matière d’hémovigilance. Il est arrivé en France en 2019. Il a obtenu son diplôme de généraliste en Guinée Conakry et sa spécialité dans un autre pays, soit 13 ans d’études. Il a eu la note de 14 sur 20 aux EVC, qui s’est avérée insuffisante pour pourvoir l’un des 52 postes dans sa spécialité qui avait attiré 150 candidats. Alors que son contrat de travail se termine fin février, son titre de séjour a déjà expiré. Il risque l’expulsion par OQTF. Il raconte : « Je suis très déprimé. Je n’ose même pas raconter à ma femme ce que je vis pour ne pas l’inquiéter. Mon chef de service fait tout ce qu’il faut pour me maintenir. Je ne veux pas partir. Ma vie est ici. » Ce praticien a fait signer une pétition dans son établissement pour défendre sa cause. Des patients l’ont également signée, en larmes.
« Tous dans le même panier »
Une autre Padhue qui a contacté la rédaction par les réseaux sociaux raconte son expérience. Française, elle a obtenu son diplôme en chirurgie orthopédique en Algérie et a rejoint son époux en France en 2019. Alors que le nombre de postes ouverts dans sa spé était très restreint (10 en 2019, 34 en 2023), elle a tout fait pour réussir ce concours qu’elle a fini par avoir la troisième fois (22e sur 34 postes). « Avec mon diplôme étranger, je n’ai pas eu le droit d’exercer en tant que faisant fonction d’interne ou en tant que stagiaire associé. Je n’ai pas eu le droit de suivre non plus une formation médicale spécialisée approfondie (DFMSA). » La médecin a donc dû travailler en Algérie sur des contrats courts même si elle a toute sa famille en France. Pour autant, alors qu’elle habite à Bordeaux, elle n’aura pas le choix de son lieu d’affectation, car les postes déjà en place seront prioritaires. La liste des postes pour sa spécialité ne sera délivrée que début février. Autre paradoxe, elle souligne le fait qu’en tant que Française avec un diplôme étranger, elle a vu bien des portes se fermer : « Nous nous sentons français, mais nous avons l’impression d’être mis à l’écart et d’être tous dans le même panier alors que nos situations sont très différentes les unes des autres. »
Pour les syndicats de praticiens SNPADHUE, CPH et APH, les Padhue subissent tout simplement « l’insupportable ». Leur « situation inhumaine n’est pas digne des valeurs de la France, déplorent-ils. Le contrat moral n’a pas été respecté et les impérities administratives ne sont pas du fait de ces praticiens mais d’une incurie qui à nos yeux devient chronique ».
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