La seule et dernière fois que le Dr Mathias Wargon et Xavier Azalbert, directeur de « France soir », s'étaient vus, c'était sur le plateau de l'émission Polonews sur BFM le 2 septembre 2021 où le ton était alors monté très vite. Ils se sont retrouvés, jeudi après-midi, à la 17e chambre du palais de justice de Paris, le second ayant assigné le premier en diffamation pour ses propos tenus lors de ce débat télévisé qui tournait autour d'une tribune sur la gestion de la pandémie signée sur le site « France soir » par un « médecin résistant ». Le texte avait, à l'époque, fortement ému la communauté médicale, en particulier pour sa chute sans ambiguïté – « Un procès devra se tenir. La Veuve s'impatiente » – dans un contexte où de nombreux soignants subissaient des menaces de mort.
Franc-parler
Lors de l'audience correctionnelle, le tribunal a visionné la séquence télévisée de 24 minutes sans que les deux protagonistes n'échangent un regard. Xavier Azalbert est resté impassible et immobile aux côtés de son avocat. Le Dr Wargon après avoir confié au « Quotidien », « ne plus pouvoir voir ses images » n'a pu réprimer son sourire à plusieurs moments.
Appelé ensuite à la barre pendant une quarantaine de minutes, le chef des urgences de l'hôpital Delafontaine de Saint-Denis n'a pas pu résister à quelques bons mots mais a surtout, avec gravité, rappelé le contexte dramatique de l'automne 2021 et la quantité de menaces reçues par de nombreux soignants particulièrement à cette époque où la campagne de vaccination battait son plein. « Je dis beaucoup de gros mots mais ce que je dis, je le crois », a-t-il déclaré au tribunal assumant autant son franc-parler que défendant sa responsabilité de médecin. « Nous avions des patients qui étaient complètement déboussolés par les controverses sur les traitements et certains mouraient », a-t-il rappelé dénonçant que le site France Soir « s'affuble des oripeaux de la Résistance pour faire croire qu'on est des nazis ».
Métaphore
Le plaignant, Xavier Azalbert, qui s'est présenté comme « journaliste scientifique », a expliqué avoir porté plainte car « l'accusation d'antisémitisme est allée trop loin » et argué que la référence à la « Veuve » – surnom donné autrefois à la guillotine – n'était qu'une « métaphore ». Son avocat a demandé au Dr Wargon s'il reconnaissait avoir été « injurieux » pendant l'émission. « Non, j'ai été grossier », a répondu le médecin, récusant fermement avoir traité son contradicteur d'antisémite sur le plateau de télévision.
La défense du Dr Wargon a plaidé la relaxe et réclamé 10 000 euros au plaignant au titre de l'abus de constitution de partie civile. « J'ai dit au tribunal que la condamnation du Dr Wargon équivaudrait à un blanc-seing pour France soir pour censurer toute critique à son encontre, a expliqué au « Quotidien » Laura Ben Kemoun. Le cadre de l'émission était clairement celui d'un débat d'idées où la liberté d'expression doit être protégée. » Sa consœur Tiphaine Mary a également dans sa plaidoirie dénoncé la « procédure bâillon » à l'encontre de son client et a rappelé le contexte sanitaire de l'automne 2021. « C'était une époque où les médecins qui s'occupaient du Covid étaient très fatigués et où ils avaient des patients qui décédaient encore faute d'avoir été vaccinés, raconte-t-elle. J'avais d'ailleurs accompagné plusieurs médecins qui souhaitaient porter plainte face aux menaces qu'ils recevaient. »
Désinformation dangereuse
Des intimidations dont a notamment été victime le Pr Stéphane Gaudry, du service de réanimation médico-chirurgicale de l'hôpital Avicenne, appelé par la défense à témoigner à l'audience. « La désinformation (au sujet du Covid) est dangereuse et a fait des victimes », a souligné avec force le médecin, qui a raconté avoir lui-même subi des menaces, y compris de mort, depuis le premier jour où il a commencé à s'exprimer au journal télévisé sur la pandémie, ce qu'il considère être « de son rôle de médecin ».
La procureure a elle aussi demandé la relaxe du Dr Wargon. « Cette procédure est regardée avec attention par tous les médecins, a commenté Me Mary auprès du « Quotidien ». La décision sera un message adressé aux deux parties : la sphère complotiste d'une part et la communauté médicale de l'autre. » Le jugement sera rendu le 16 juin prochain.
À l’hôpital psychiatrique du Havre, vague d’arrêts de travail de soignants confrontés à une patiente violente
« L’ARS nous déshabille ! » : à Saint-Affrique, des soignants posent nus pour dénoncer le manque de moyens
Ouverture du procès d'un homme jugé pour le viol d'une patiente à l'hôpital Cochin en 2022
Et les praticiens nucléaires inventèrent la médecine théranostique