En mars 2021, la disparition brutale, à l'âge 60 ans du Pr Thierry Frébourg, PU-PH au CHU de Rouen, généticien mondialement reconnu, avait suscité une vive émotion dans la communauté nationale et internationale de la génétique. Mais ce matin, sa famille regrettait toujours l'attitude et le silence de la direction du CHU face à ce décès causé par une embolie gazeuse dans les suites de l'ablation de cathéters centraux par une infirmière, réalisée au sein de l'établissement où exerce également la veuve du praticien.
Lors d'une conférence de presse organisée à Rouen ce mercredi matin, la fille et le frère du Pr Frébourg, ont réclamé que le CHU « reconnaisse ce qui s'est passé » depuis que la famille a reçu les conclusions de la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) de Normandie, début mai. Celle-ci avait relevé que « la prise en charge de monsieur Frébourg par le CHU de Rouen n'ayant pas été conforme aux règles de l'art, la responsabilité du CHU de Rouen est engagée sur le fondement d'une faute ».
Embolie gazeuse
Le Pr Frébourg avait été initialement pris en charge pour une névrite optique par l'administration de corticoïdes en perfusion et la réalisation d'échanges plasmatiques, conformément aux recommandations et bonnes pratiques.
En revanche, la CCI a retenu qu'au moment de l'ablation du cathéter, celui-ci aurait dû être retiré en expiration forcée ou avec une manœuvre de Valsalva pour créer une pression intrathoracique positive empêchant ainsi l'air de pénétrer dans la veine. Le patient aurait également dû rester plusieurs minutes en position de Trendelenburg et l'infirmière aurait dû le repositionner. Il eût été nécessaire aussi de poser un pansement hermétique. Et une fois le début d'embolie constatée, le patient aurait enfin dû être placé à plat ou en décubitus latéral mais pas en position assise.
« Cette accumulation de fautes graves a donc conduit à une embolie gazeuse à forme pulmonaire et à terme au décès du patient », ont conclu les experts. Le Pr Frébourg est décédé le lendemain à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches où il avait été transféré et où un essai d'oxygénothérapie hyperbare avait été tenté.
Fautes d'organisation
La CCI a souligné « le manque de formation et l'expérience insuffisante des professionnels de santé dans le service pour effectuer le geste et le fait que le protocole relatif au retrait des cathéters centraux alors en vigueur ne permettait pas de prévenir le risque d'embolie gazeuse, ce qui caractérise l'existence de fautes d'organisation » au CHU de Rouen. Celui-ci a été condamné à indemniser l'intégralité des préjudices de la famille.
Les proches de l'ancien chef du service de génétique ont précisé mercredi qu'ils n'iraient pas au pénal et que leur but n'était pas l'indemnisation financière. Ils souhaitent en revanche que la direction de l'hôpital « reconnaisse les choses », comme l'aurait fait lui-même le Pr Frébourg s'il avait commis une faute, et que les protocoles de prise en charge soient corrigés.
« Nous ne cherchons pas à minimiser »
« Aucun hommage n'a été rendu à Thierry à l'hôpital », déplore son frère Olivier, écrivain et éditeur, qui pointe aussi l'atmosphère « d'omerta » à l'hôpital face à ce drame. Dans une tribune parue ce mercredi dans Libération, il estime que « l'hôpital dévore ses serviteurs fidèles ». « L'hôpital public était sa maison, sa religion, décrit l'auteur à propos de son frère. La directrice générale du CHU ne décrocha même pas son téléphone pour appeler son épouse, elle-même médecin dans cet hôpital. Pas une seule autorité médicale du CHU ne se manifesta spontanément (...) On est en droit d'exiger d'un hôpital qui n'est pas un établissement comme les autres une morale et une humanité extraordinaires. »
Interrogé par « Le Quotidien », le CHU de Rouen a répondu par courrier électronique accepter les conclusions de la CCI et avoir revu « intégralement les procédures » comme à chaque fois que se produit un événement indésirable. Le CHU a également indiqué qu'un message allait être adressé « directement auprès de la famille dans un premier temps. » « Nous ne cherchons pas à minimiser les faits, écrit-il. Le décès de Pr Frébourg est une grande perte pour le CHU, c’était quelqu'un respecté, d’apprécié, une des grandes figures du CHU. Nous avons déjà eu l’occasion, lors des vœux notamment, de témoigner notre peine à la famille ainsi qu’à ses équipes. »
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